La démission forcée de Hosni Moubarak, le
dictateur égyptien qui a dirigé le pays durant plus de trois décennies, a
été une importante victoire pour les travailleurs et les jeunes qui ont
participé par millions aux manifestations et aux grèves des dernières
semaines. Les événements qui ont suivi ont cependant montré que cette
révolution n'en est qu'à ses débuts.
Par une série de communiqués publiés ce week-end,
l'armée égyptienne a clairement indiqué quelle est sa réaction aux luttes
révolutionnaires. Son but est de détourner et réprimer le mouvement de
masse, tout en assurant un transfert tactique du pouvoir en maintenant
essentiellement l'ancien régime intact.
L'armée égyptienne veut montrer qu'elle élimine
diverses fabrications légales du régime Moubarak – la constitution mise en
place par le dictateur et le parlement à sa solde. En conformité avec les
mensonges de l'administration Obama que l'armée allait amener une
« transition démocratique », le New York Times a fait l'éloge de ces mesures
« d'une portée considérable qui ont reflété les revendications des
manifestants ».
Cela n'est qu'absurde déformation. L'armée cherche
à se maintenir au pouvoir, en n'accordant aucune des revendications
fondamentales qui poussent des millions d'Égyptiens à manifester. Le pays
est maintenant sous le contrôle d'une junte militaire, qui conserve la
police et tous les pouvoirs d'urgence de l'ancien régime, et qui tente de
gouverner sur la base d'un réseau de vieux copains de Moubarak tels que le
premier ministre Ahmed Shafiq.
Quant à l'administration Obama, après avoir
soutenu Moubarak aussi longtemps que possible, elle soutient le régime
militaire. Samedi, l'administration a déclaré qu'elle accueillait les
mesures prises par les généraux et leur présumé engagement envers la
démocratie. Ayant aidé à la formation de nombreux officiers en Égypte, elle
vise à les utiliser pour défendre ses intérêts dans ce pays et au
Moyen-Orient. Cela signifie non seulement défendre ses intérêts stratégiques
et militaires, mais surtout mettre en déroute l'opposition révolutionnaire
de la classe ouvrière.
Intimement lié au monde des affaires de l'Égypte,
le corps des officiers est hostile à la vague de grèves qui secoue l'Égypte
et aux demandes des travailleurs pour de meilleurs salaires et conditions
sociales. Bien qu'elle ne se croit pas encore suffisamment en position de
force, l'armée indique qu'elle souhaite s'en prendre aux grévistes. Dans une
déclaration dénonçant le « chaos et le désordre », le Haut Conseil militaire
a affirmé qu'il allait interdire les réunions de syndicats ouvriers ou
professionnels, rendant en réalité les grèves illégales.
Dans six mois, ou peut-être plus, l'armée envisage
de tenir des élections sur la base d'une constitution qu’elle rédigera
seule, sans dissoudre le Parti national démocrate (PND) de Moubarak.
Autrement dit, l’armée espère mettre à profit la période de six mois pour
essouffler le mouvement de protestation et donner une couverture
pseudo-démocratique à un régime pas plus sensible aux demandes de la
population que celui qui était contrôlé par le détesté Moubarak.
Ce fait politique fondamental est caractérisé par
la personne du maréchal Mohamed Tantawi Hussein, maintenant officiellement
le dirigeant d'Égypte, comme décrit par l'ambassadeur américain en Égypte
Francis Ricciardone dans les câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks.
Décrivant Tantawi en mars 2008 comme étant dévoué envers le traité de 1979
avec Israël et fermement « opposé à des réformes économiques et
politiques », Ricciardone résume les politiques de Tantawi ainsi: « Lui et
Moubarak se concentrent sur la stabilité du régime et le maintien du statu
quo ».
L'affirmation selon laquelle cela correspond aux
demandes des manifestants est un mensonge répugnant. Les millions de
personnes participant maintenant aux grèves et aux manifestations, et les
milliers de personnes qui ont été tuées ou torturées, n'ont pas lutté pour
préserver l'ancien régime.
« L’opposition » officielle égyptienne indique
néanmoins qu’elle soutient l'armée. Après avoir souligné la nécessité de
« la loi et l’ordre » vendredi, Mohammed ElBaradei a déclaré dimanche:
« Nous avons confiance en l'armée et nous faisons appel au peuple afin qu’il
lui donne la chance de mettre en œuvre ce qu'elle a promis ».
Mohamed el-Katatni, un dirigeant des Frères
musulmans, a déclaré: « L'objectif principal de la révolution a été
atteint. »
Ces déclarations montrent clairement qu’aucune
base n’existe dans la classe capitaliste égyptienne, ou chez ses bailleurs
de fonds à Washington ou dans les capitales des autres puissances
impérialistes, pour une véritable démocratie. Les demandes élémentaires des
travailleurs et des masses opprimées – pour de meilleurs salaires et
conditions de vie, pour l’égalité sociale et pour la fin de la domination
impérialiste – sèment la crainte parmi toutes les sections de
l’establishment politique. Aux prises avec un soulèvement de masse de la
classe ouvrière, qui menace leurs intérêts de classe élémentaires,
l’ « opposition » pro-capitaliste réagit en appuyant la dictature.
Cela confirme un principe de base de la théorie de
la révolution permanente élaborée par Léon Trotsky : la bourgeoisie des pays
opprimés ne peut mener une lutte pour la démocratie et pour la fin de la
domination impérialiste. Une telle lutte, comme l’écrit Trotsky dans La
Révolution permanente, « e
st inévitablement et très
rapidement placée devant des tâches qui la forceront à faire des incursions
profondes dans le droit de propriété bourgeois. La révolution démocratique,
au cours de son développement, se transforme directement en révolution
socialiste et devient ainsi une révolution permanente.»
La poursuite de la révolution et la lutte pour
défendre ses intérêts amènent la classe ouvrière et les masses opprimées
dans un conflit encore plus direct avec l’armée, l’opposition officielle et
l’impérialisme américain.
Pour que cette lutte aille de l’avant, il est
fondamental de construire des organes indépendants de démocratie ouvrière,
en opposition à l’État dirigé par l’armée et la police. Ces organes
jetteront les bases pour le transfert du pouvoir vers la classe ouvrière.
Une lutte pour unifier les travailleurs de l’Égypte avec la classe ouvrière
de toute la région, ainsi qu’avec les travailleurs dans les pays
capitalistes avancés – d’abord et avant tout ceux aux États-Unis, est aussi
nécessaire. Le soulèvement révolutionnaire en Égypte fait partie d’une lutte
des travailleurs et des opprimés partout à travers le monde contre l’assaut
généralisé du patronat et de l'élite financière.
Cela nécessite surtout la construction d’un
nouveau parti dédié à mener ces luttes jusqu’à leur conclusion logique : la
révolution socialiste. Le WSWS appelle tous ses lecteurs et ses
sympathisants en Égypte et dans le monde entier à se joindre à cette lutte
pour construire un tel parti.