Ceux qui manifestent contre le gouvernement au Caire, à Suez, Alexandrie et dans les autres villes d'Égypte ont débordé d'énormes contingents de police anti-émeutes vendredi, s'emparant des commissariats, encerclant des bâtiments gouvernementaux et incendiant le quartier général du Parti national démocratique (PND) au pouvoir, au cours d'un mouvement explosif qui a ébranlé la dictature du Président Hosni Moubarak, établie il y a 30 ans avec le soutien des États-Unis.
Le régime avait déployé la police sur des ponts, dans les rues et sur les routes, arrêté le métro et coupé les accès Internet ainsi que le téléphone portable pour tenter d'empêcher les travailleurs et les jeunes de se rassembler au Caire et dans d'autres villes. La police en uniforme, mais aussi des officiers et civil, ont attaqué et arrêté des reporters pour tenter d'empêcher les informations sur les événements de la journée d'être connu de toute la population égyptienne, et plus largement du Moyen-Orient et du reste du monde. Le seul fournisseur d'accès Internet ayant continué à fonctionner était Noor Data Networks, qui relie la bourse égyptienne aux autres marchés internationaux. Mais à la fin des prières vendredi, les gens se sont précipités à la sortie des mosquées, se répandant dans les rues des villes et des villages de tout le pays. La police a usé de gaz lacrymogènes, de canons à eau, de balles en caoutchouc et de matraques pour intimider et disperser les foules, mais cela n'a servi à rien. Le ministère de l'intérieur a donné l'ordre à la police anti-émeutes de se servir de munitions réelles contre les manifestants.
Des informations variables mettent entre 13 et 20 morts sur le compte de la violence policière, et des centaines de gens ont été blessés, certains par balles. Cependant, dans des conditions de blocage quasi-complet des communications dans presque tout le pays, il est probable que le nombre réel de morts et de blessés soit bien plus élevé.
L'on ne sait pas combien de gens ont été arrêtés, mais les estimations se montent à des centaines.
La police n'a pas été en mesure d'empêcher les manifestants d'incendier le quartier général du PND au Caire. À Suez, les manifestants ont occupé le quartier général de la police et se sont emparés des armes. Des faits similaires ont été rapportés dans d'autres villes.
Un groupe de manifestants a encerclé l'Hôtel de luxe Hilton. Des invités ont été contraints de se réfugier sur les balcons pour échapper aux lacrymogènes. Durant une bonne partie de la journée, le centre du Caire et d'autres grandes villes égyptiennes comme Alexandrie et Suez a ressemblé à un champ de bataille.
Au cours des affrontements, le dirigeant de l'opposition, Mohamed El Baradei, de l'Association nationale pour le changement, avait reçu l'ordre de la police de ne pas quitter une mosquée près du centre-ville du Caire où il participait à la prière du vendredi. El Baradei, ex-directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, est venu de Vienne, où il réside, dans le but avoué de faire dérailler un mouvement révolutionnaire et d'offrir ses services pour une transition « pacifique » vers un nouveau gouvernement bourgeois.
D'autres villes du pays ont vu un grand nombre de manifestants. Près de 40.000 manifestants ont pris d'assaut le QG du parti dirigeant à Mansurya, et 15 000 ont manifesté dans les rues de Louxor, dans le sud de l'Égypte.
À Alexandrie, les manifestants ont souvent débordé la police. Certains policiers ont été désarmés et frappés avec leur propre matraque. Les manifestants ont mis le feu à des véhicules de police.
Certains des combats les plus acharnés ont été rapportés à Suez, où 15.000 policiers anti-émeutes étaient mobilisés pour disperser la foule avec des lacrymogènes. Les chars ont été déployés dans les rues de la ville après la tombée de la nuit.
Il y aurait eu 80.000 manifestants à Port Saïd, l'embouchure du canal de Suez. La police anti-émeutes a également eu à faire aux manifestants à Ismaïlia, Fayoum et Shbin Elkoum.
Il y a eu plusieurs reportages mentionnant des policiers se débarrassant de leur uniforme pour rejoindre la foule qui demandait le départ de Moubarak.
Lorsqu'à la fin de l'après-midi, la foule a menacé d'occuper le ministère des Affaires étrangères et celui de l'information au Caire, la télévision nationale égyptienne a annoncé que Moubarak avait déclaré un couvre-feu au Caire et dans d'autres grandes villes et envoyé l'armée dans les rues.
Au Caire, au moins, il semble que l'armée se soit abstenue d'attaquer directement les manifestants, et il y a eu des reportages faisant état d’affrontements entre l'armée et la police. Le régime, certainement à l'instigation de Washington, cherche à encourager les illusions que l'armée est soit neutre, soit le protecteur du peuple, dans l'espoir que la menace immédiate d'une révolution puisse être contenue et que de meilleures conditions puissent être créées pour écraser violemment la révolte.
Vers minuit, heure égyptienne, comme il y avait encore des milliers de manifestants dans la capitale et ailleurs, Moubarak a finalement pris la parole sur les ondes pour s'adresser à la nation. Il a déclaré avec arrogance qu'il garantirait la sécurité, fait des promesses creuses de prendre en compte les griefs économiques et politiques du peuple, et annoncé qu'il renvoyait le gouvernement actuel et en nommerait un nouveau. L'essentiel était qu'il refusait de démissionner comme le demandaient les manifestants.
Cela n'a fait qu'enrager les manifestants encore plus, dont le nombre est remonté en flèche après l'allocution de Moubarak.
Une heure plus tard, le Président Barack Obama a fait une brève déclaration télévisée essentiellement en soutien à Moubarak, tout en affirmant hypocritement que les États-Unis soutenaient les droits de l'homme et en demandant au gouvernement égyptien de se retenir dans sa violence contre les manifestants. Obama a parlé du « partenariat » entre les États-Unis et le « gouvernement et le peuple » égyptien, négligeant l'historique de repressions sanglantes du gouvernement, culminant dans les violences massives de vendredi, et le désir profond des masses de se debarasser enfin d'un tel « partenaire».
Obama déclarait que les États-Unis soutenaient les droits de l'homme en Égypte le jour même où WikiLeaks publiait des messages du Département d'état indiquant que les États-Unis savaient et étaient complices de l'usage de la torture et des assassinats contre les opposants politiques par le régime.
L'intervention de l'armée en Égypte représente un tournant dans la montée des masses laborieuses dans divers pays arabes, dont la Tunisie, l'Algérie, le Yémen et la Jordanie. Pour la première fois dans l'histoire récente, un régime arabe a mobilisé son armée à grande échelle pour intervenir contre les manifestations politiques.
Il ne peut y avoir aucun doute que l'intervention de l'armée égyptienne a été discutée et approuvée par Washington. À la conférence de vendredi, le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, a confirmé que le Pentagone était en lien constant avec le haut commandement militaire égyptien.
Des manifestations anti-gouvernementales ont également eu lieu vendredi en Jordanie. Environ 1.500 manifestants se sont rassemblés au centre-ville d'Amman et des centaines d'autres ont défilé dans d'autres villes. En Syrie également, l'accès à Internet a été suspendu vendredi pour empêcher la diffusion des informations sur les troubles en Égypte. Les manifestants en Égypte on promis de défiler à nouveau samedi.
(Article original paru le 29 janvier 2011)
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