Le régime militaire égyptien a menacé de rendre les grèves illégales
tandis que continue l’agitation sociale à la suite du renversement du
président Hosni Moubarak.
À partir du 14 février, une vague de grèves a éclaté en Égypte. Des
actions revendicatives ont causé la fermeture d’usines de produits
chimiques, pharmaceutiques et textiles, en plus de l’aéroport du Caire. Les
cheminots ont installé des traverses sur les rails pour arrêter les trains.
Les banques et les bureaux gouvernementaux ont également été fermés. Au
point stratégique du canal de Suez, environ 1500 travailleurs ont organisé
des manifestations à Ismaïlia, à Suez et à Port-Saïd le 17 février,
revendiquant de meilleurs salaires et une assurance médicale. Des
techniciens et des administrateurs faisaient partie des protestations.
L’un des plus importants conflits a impliqué 15 000 ouvriers à Misr
Spinning and Weaving à Al-Mahalla Al-Kubra. La plus importante usine
d’Égypte, laquelle emploie 24 000 personnes dans le delta du Nil, a été le
lieu d’une grève et d’une occupation qui ont débuté le 10 février en soutien
aux protestations anti-Moubarak, aidant à précipiter sa chute un jour plus
tard. Le conflit s'est poursuivi le 14 février, avec des revendications
d'augmentations de salaire, de la démission du directeur de l’entreprise et
de trois autres cadres, puis d'un syndicat libre. Un char a été stationné à
l’extérieur de l’usine par l’armée.
L’industrie du textile égyptienne emploie 48 pour cent de la main-d’œuvre
totale du pays. En plus, 6000 travailleurs ont fait grève à Spinning and
Weaving de Damietta.
Vendredi le 18 février, après deux avertissements lancés plus tôt,
l’armée égyptienne a menacé que la vague de grève serait maintenant
considérée illégale. Le Conseil suprême des forces armées « ne tolérera pas
la poursuite de ces actes illégaux qui présentent un danger à la nation, et
ils les confronteront », a-t-il annoncé.
Certains groupes « organisent des manifestations qui nuisent à la
production et créent des conditions économiques graves qui peuvent mener à
une détérioration de l’économie du pays », a dit l’armée. « La poursuite de
l’instabilité et ses conséquences vont porter atteinte à la sécurité
nationale ».
L’ordre interdisant les grèves et l’action revendicative est venu le jour
suivant les célébrations auxquelles avaient participé millions de gens, qui
soulignaient une semaine depuis l’évincement de Moubarak. Walid
Abdel-Sattar, un cadre de l’industrie de l’énergie a commenté, « Bien que
cette déclaration aurait dû être faite beaucoup plus tôt, je crois que
l’armée a simplement permis au peuple de faire entendre ses revendications
et de profiter de l’esprit de liberté ».
La junte n’a jamais voulu offrir de véritable « liberté ».
En réponse à la menace, le Centre des services pour les syndicats et les
ouvriers a rapporté ce jour-là que les ouvriers de Misr Spinning occupaient
l'usine pour une quatrième journée et avaient « refusé de mettre fin à leur
protestation jusqu’à ce que leur revendication principale soit satisfaite,
soit l’expulsion du directeur de la compagnie ».
Dimanche, la grève de Misr a pris fin. Faisal Naousha, un des dirigeants
de la grève, a dit à l’AFP « nous avons mis fin à la grève, l’usine est en
marche. Nos exigences ont été satisfaites », y compris une augmentation
salariale de 25 pour cent et le renvoi d’un cadre impliqué dans la
corruption.
Les banques ont aussi été ouvertes dimanche. La Banque centrale d'Égypte
avait fermé toutes les banques le 14 février après des grèves et des
occupations à des succursales et des bureaux le jour d’avant. Selon Ahram
Online, les employés continuaient à « montrer clairement qu’ils n’avaient
pas renoncé à leurs demandes ». Les employés des banques « contestent le
système de comité de directeurs et les grandes inégalités dans les salaires…
Il avait été demandé aux protestataires de nommer des comités de 10 à 20
membres pour communiquer leurs demandes à la Banque centrale d'Égypte. Les
réunions de comité devraient débuter lundi. Les employés de la Banque Misr,
la deuxième plus grande banque égyptienne, a déjà nommé ses négociateurs,
refusant les demandes de la Banque centrale de nommer des gérants de
l’administration pour les représenter. »
Toujours dimanche, des journalistes travaillant pour des magazines et des
journaux d’État ont protesté devant l’Agence des journalistes pour demander
à la junte militaire de remplacer les rédacteurs en chef et ceux qui gèrent
le travail d’édition. Les journalistes les accusent de corruption et
d’hypocrisie. La police militaire a encerclé le bureau d’Ousama Saraya, le
rédacteur en chef du quotidien Al-Ahram, afin de le protéger contre les
manifestations attendues.
En plus de la répression directe de la classe ouvrière, le régime
militaire travaille fort à la cooptation des « mouvements d’opposition »
bourgeois et petit-bourgeois dans le but de donner du crédit à ses
prétentions de préparer une transition vers un régime démocratique et civil.
La mise en accusation la plus accablante de ceux qui rivalisent pour
faire partie du présumé remplacement démocratique à la gouvernance directe
du régime militaire est leur engouement à discuter avec la junte militaire,
même si celle-ci menace une répression massive de la classe ouvrière.
Presque aussi condamnable est le statut privilégié du chef de la Ligue
arabe, Amr Moussa, pour le poste de président.
Moussa est un proche allié de Moubarak et ceux qui lui ont succédé, le
vice-président Omar Souleimane et le commandant en chef des forces armées,
Mohammed Hussein Tantaoui. Pendant le soulèvement, Moussa a été présenté
comme un opposant afin de pouvoir presser les manifestants à permettre à
Moubarak de demeurer à la tête sa dictature vieille de trente ans, jusqu’à
la fin officielle de son mandat au pouvoir. Même maintenant, Moussa a dit de
Moubarak, dans le journal espagnol El Pais, « Pour l’instant, il est à la
retraite, nous devons le traiter comme un ex-président, avec tout le respect
qu’il mérite. »
Dans la même entrevue, il a donné son aval à l’armée et sa prétention de
transition vers un régime démocratique et a soutenu ses efforts pour
démobiliser l’opposition. « Le Conseil suprême a pris de grandes mesures,
comme des réformes constitutionnelles, la dissolution du parlement et des
appels au public pour un retour au travail et le rétablissement du calme »,
a-t-il dit.
Les Frères musulmans sont aussi en discussions avec le régime et ont
l’intention de former un parti nommé Liberté et Justice. Ils ne vont pas
présenter de candidat pour la présidence cette année et vont seulement
entrer dans la course dans moins du quart des sièges pour le prochain
parlement, afin de montrer leur loyauté aux dirigeants militaires égyptiens.
Samedi, les tribunaux ont approuvé un nouveau parti, le Parti Al-Wasat
(Parti du centre), dirigé par d’anciens membres des Frères musulmans, Aboul
Ela Mady et Essam Sultan.
D'autres partis en construction sont directement mis de l'avant et
financés par des intérêts commerciaux et des représentants de l'ancien
régime.
Wael Ghonim, un cadre de Google qui a été l'un de ceux qui ont appelé aux
toutes premières manifestations, négocie présentement avec des affiliés du
Parti national démocrate de Moubarak (PND), y compris l'ancien président du
PND Hossam Badrawy, dans le but de former un nouveau parti politique.
Abdel Moneim Imam dirige un groupe qui appuie l'ancien directeur de
l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed ElBaradei, et est en
négociations avec Naguib Sawiris, le président d'Orascom Telecom Holding
SAE, à propos de la formation d'un parti.
Ces manoeuvres prennent place au moment même où le Conseil suprême des
forces armées déclare que, « Les conditions politiques instables empêchent
toute nouvelle constitution. »
Les puissances impérialistes jouent toutes leur rôle pour essayer de
maintenir la junte au pouvoir.
Durant les derniers jours, Moussa a discuté intensivement avec le
sous-secrétaire d'État américain chargé des Affaires politiques, William
Burns, et le conseiller à la Maison-Blanche, David Lipton, au cours du
sommet de la Ligue arabe au Caire. Burns en a profité pour offrir un cadeau
de 150 millions de dollars au gouvernement égyptien afin de « soutenir la
transition qui prend place ».
« Je viens d'avoir une longue et très intéressante conversation avec le
secrétaire général Amr Moussa sur les développements en Égypte et à travers
la région. Comme d'habitude, j'en ai appris beaucoup », a-t-il dit aux
médias.
La haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères
et la politique de sécurité, Catherine Ashton, a offert une plus grosse
somme d'aide financière au régime, expliquant à des journalistes au Caire
que, « Nous discutons déjà de la possibilité d'accorder un milliard de
dollars de soutien supplémentaire par le biais de leurs programmes de
financement . » Elle a rassuré la junte qu'aucune condition n'allait être
liée à cette aide quant aux droits démocratiques. « Soyons clairs »,
a-t-elle affirmé. « C'est à l'Égypte de déterminer son avenir. »
Malgré ce soutien financier, la junte est devant une situation explosive,
alimentée par l'impact du mouvement de masse en Libye contre le régime de
Khadafi et ailleurs au Moyen-Orient.
Au Caire et dans la deuxième plus importante ville d'Égypte, Alexandrie,
des manifestations contre Khadafi ont pris place devant les ambassades
d'Algérie et de Bahreïn. On pouvait lire sur une affiche, « Mission : Pays
arabes libres – Quand : Maintenant ».
La foule scandait, « Les gens veulent les pays arabes unis contre les
régimes militaires. »
Plusieurs convois égyptiens d'aide médicale ont été organisés pour la
Libye. Un ressortissant libyen, Abdoul, qui était impliqué dans le mouvement
contre Moubarak, a raconté à l'émission The World Today du réseau ABC:
« J'ai parlé à un médecin là-bas, hier ou avant hier, et ils manquent de fil
pour faire les points de suture... Il y a des milliers et des milliers de
blessés et ils n'ont même pas de place pour les recevoir. »
La junte surveille et cherche à contrôler ces actes de solidarité et les
relations politiques qui se développent entre les protestataires en Égypte
et au Caire. L'armée a affirmé qu'elle renforçait présentement la frontière
avec la Libye, mais qu'elle allait permettre aux malades et aux blessés
d'entrer par le point de passage de Saloum et d'être soignés dans deux
hôpitaux de campagne.