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Des protestations d’étudiants et de travailleurs en Algérie et au Maroc

Par Antoine Lerougetel
24 février 2011
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Des protestations antigouvernementales ont eu lieu le week-end dernier en Algérie et au Maroc alors que des milliers de personnes descendaient dans la rue pour manifester leur opposition contre des régimes autocratiques, la corruption de la classe dirigeante et des conditions de vie d’une pauvreté désespérante.

Les protestations de samedi à Alger étaient plus faibles que celles qui avaient eu lieu une semaine plus tôt dans la capitale algérienne et qui avaient été brutalement attaquées et réprimées par quelques 30.000 policiers. Environ 500 manifestants avaient tenté de se rendre sur la Place du 1er Mai dans le centre de la capitale, mais ils furent matraqués et repoussés par la police qui les a ensuite encerclés.

Des véhicules de répression des émeutes munis de canons à eau se tenaient prêts à intervenir et un hélicoptère de la police survolait la place. Le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika avait refusé d’autoriser le défilé et avait fait arrêter l’une des figures de l’opposition, Belaid Abrika, un défenseur des droits de la minorité berbère.

Le premier ministre Ahmed Ouyahia avait dit le 16 février que l’état d’urgence imposé en Algérie depuis près de 20 ans, serait levé à la fin du mois mais il reste encore en vigueur et interdit pratiquement toute forme de protestation publique et d’opposition au régime.

Au Maroc voisin, plusieurs milliers de personnes ont participé à des rassemblements de l’opposition, dont 3.000 dans la capitale Rabat, et 1.000 à Casablanca, la plus grande ville du pays. D’autres protestations avaient aussi lieu dans le port de Tanger et à Marrakech.

Les manifestants ont réclamé des réformes pour l’ouverture du système politique, une monarchie où le roi Mohammed VI détient, derrière une façade parlementaire, littéralement tous les pouvoirs. Sur les banderoles ont pouvait lire, « Le roi doit régner pas gouverner » et « les gens veulent une nouvelle constitution. » Les gens scandaient, « A bas l’autocratie, » et nombre d’entre eux brandissaient des drapeaux tunisiens et égyptiens, pour exprimer leur sympathie aux soulèvements populaires qui avaient eu lieu dans ces pays.

Dans un effort pour éviter les troubles, le gouvernement a proposé 1,4 milliards d’euros supplémentaires de subvention pour les denrées alimentaires et autres produits de base et il n’y eut aucun effort de la police pour réprimer les manifestations. A Rabat, le service de bus de la ville a été fermé pour éviter que les gens ne se rendent sur le lieu du défilé.

Le mouvement de protestation s’est poursuivi en Algérie en dépit d’une mobilisation massive de violence de la part de l’Etat. De jeunes chômeurs, des travailleurs et des étudiants se sont joints à la lutte en faveur de conditions de vie décentes, d’emplois et de droits dans les villes et les grands centres partout dans le pays.

Leur colère et leur détermination ont été attisées par le fait qu’ils n’ont pas bénéficié de la richesse du pétrole qui a rapporté environ 150 milliards de dollars (93 milliards de livres sterling) de devises étrangères à l’Algérie ; il n’y a presque aucune dette extérieure. La bureaucratie militaire qui dirige l’Etat, la bourgeoisie nationale et les investisseurs impérialistes en ont été les bénéficiaires.

Après la répression et la dispersion de la manifestation du 12 février, les organisateurs s’étaient rencontrés le lendemain pour décider d’organiser un deuxième rassemblement le 19 février et, par la suite, un autre tous les samedis. Ali Yahia Abdennon de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) a rapporté qu’« hier la police a violemment bastonné de nombreux manifestants, parmi eux une femme enceinte, des femmes d’un certain âge, un journaliste, des jeunes hommes et femmes, nous devrions continuer de manifester jusqu’à ce que nous obtenions nos droits. »

Le quotidien algérien de langue française El Watan a publié de nombreux articles sur les luttes en cours dans d’autres villes :

Le 13 février, une foule de jeunes s’étaient rassemblée devant le siège de la wilaya (division administrative) de Annaba pour exiger 7.000 emplois qui avaient été promis antérieurement et le gouverneur a été la cible de jets de pierres. Quelqu’un a été empêché par son frère de se suicider, un des gestes de désespoir survenant partout dans le pays. Mercredi et jeudi des jeunes réclamant du travail à Tadmait près de Tizi-Ouzou en Kabylie ont bloqué des routes, brûlant des pneus et endommageant des bureaux administratifs.

Dans la région productrice de pétrole d’Hassi-Messaoud, des jeunes ont occupé les bureaux de la mairie pour protester contre la pauvreté et l’oppression. Mahmoud Zegoune, le porte-parole du comité des chômeurs d’Hassi-Messaoud a dit à El Watan : « Les gendarmes m’ont demandé de calmer les manifestants et de leur demander de rentrer chez eux. Mais je leur ai répondu qu’il est de notre droit de manifester notre exaspération. La misère et la pauvreté vont nous affamer. Nos familles n’ont même pas de quoi manger. Comment alors ne pas protester et manifester ? »

D’autres ont protesté à Touggout devant le bureau local de l’Agence pour l’Emploi.

Les infirmiers et le personnel paramédical ont entamé le 8 février une grève illimitée malgré les intimidations de leurs directions faisant depuis un service réduit dans les hôpitaux et les polycliniques. Ils exigent la reconnaissance de leurs qualifications et la démission du ministre de la Santé, Ould Abbès ; ils ont défilé en scandant : Ould Abbès dehors », « Promulguez notre statut », « Statut et dignité ».

Un mouvement de grève universitaire a débuté le 14 février à l’université de Mohamed Boudiaf de M’sila en opposition à un décret qui comporte la non reconnaissance de leurs diplômes de sciences et de technologie dans la fonction publique. Jeudi, dans le cadre de protestations qui se sont étendues à plusieurs universités, des centaines d’étudiants et de titulaires de ce diplôme ont campé devant le ministère de l’Enseignement supérieur à Alger.

Des divisions au sein des milieux dirigeants craignant la révolution sociale se sont manifestées par la publication le 17 février d’une lettre ouverte destinée au président et adressée par l’ancien secrétaire général du Front de Libération nationale « au frère Abdelaziz Bouteflika, ». Le FLN avait mené la guerre de libération nationale contre l’occupation coloniale française et demeure encore, avec l’armée, l’épine dorsale du régime.

Cet ancien responsable dit: « Les voix qui revendiquent le changement de ce régime, qui sont soucieuses qu’il advienne dans un climat de paix et de libre débat, sont nombreuses. » Il lance un appel à peine voilé aux partis de l’opposition pour qu’ils aident la bourgeoisie algérienne et la bureaucratie d’Etat à désarmer la rébellion et à stabiliser le régime.

Des rebellions nationales spontanées se sont développées depuis le 3 janvier en réponse aux fortes augmentations des prix des produits de première nécessité. Entre le 3 et le 10 janvier, des émeutes et des protestations ont eu lieu dans la plupart des villes algériennes et qui ont été déclenchées par de fortes hausses des prix des denrées alimentaires de base dont l’huile, le sucre et la farine.

Alors que des émeutes locales sont un fait courant en Algérie depuis 2005, celles survenues actuellement furent les premières à se propager simultanément dans la plupart des régions du pays. De jeunes travailleurs ont barré les routes, ont incendié des pneus et saccagé des bâtiments gouvernementaux, exigeant des logements sociaux et cherchant à stopper la démolition des bidonvilles. Trois manifestants sont morts aux mains de la police, plus de 800 personnes auraient été blessées. Au moins 1.100 personnes auraient été arrêtées dont de nombreux jeunes adolescents.

Le gouvernement a cherché à calmer la situation en annonçant le 8 janvier des réductions passagères d’impôts sur le sucre et l’huile de table. Les protestations se poursuivent. Le 20 janvier, plus d’un millier de personnes ont manifesté en exigeant des logements dans le quartier de Saïd Hamdine à Alger. Cinq personnes ont été tuées et 800 autres blessées par la police le 22 janvier lorsque 20.000 policiers ont été déployés pour empêcher que se déroulent des manifestations à Tizi-Ouzou en Kabylie.

Le 2 janvier, plus de 500 personnes avaient manifesté devant les locaux de la daïra (subdivision administrative) de Khemis El Khechna pour exiger de meilleurs branchements d’eau et de gaz et de meilleurs logements pour leurs villes voisines, Chebachebb et El Kerma. A Tizi-Ouzou, le même jour, les parents de jeunes, détenus durant les protestations de début janvier, ont organisé un sit-in devant le bâtiment administratif de la wilaya en réclamant la libération de leurs enfants qui furent provisoirement relâchés le lendemain.

Dans d’autres villes, les mairies ont été occupées et les routes principales bloquées par des gens réclamant de meilleures routes, des branchements de gaz, d’eau potable et d’eaux usées ainsi que l’éclairage public. Des jeunes revendiquant des emplois ont barré la route principale RN 12 à Naciria près de Boumerdes et incendiaient des pneus et d’autres objets.

Le 30 janvier, 600 ouvriers d’usine avaient manifesté devant le bâtiment de la wilaya de Bouira et exigé d’être réemployés par l’ENAD, l’entreprise allemande de détergents. Egalement le même jour, des jeunes sans emploi de la wilaya d’Ouargla ont manifesté à Touggourt contre le chef de l’agence locale pour l’emploi, accusé de clientélisme.

Une coalition d’organisations d’« opposition » soi-disant de gauche s’était regroupée le 20 janvier pour former la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) dans le but d’empêcher que le mouvement ne se transforme en révolution.

Les organisations formant le CNCD comprenaient le Front des Forces socialistes (FES), le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) à prédominance kabyle, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et des syndicats officiellement reconnus tels le SATEF et le SNAPAP.

Ces organisations font partie de l’opposition officielle tolérée et utilisée par la dictature. Elles lancent de vagues appels à la démocratie mais n’ont aucune perspective pour le renversement du régime. Leur principal objectif est de protéger le capitalisme algérien et ses maîtres impérialistes contre le développement d’un mouvement révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière.

(Article original paru le 21 février 2011)

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