Une grève nationale des travailleurs du secteur de la santé se poursuivait mercredi contre le régime militaire du président algérien Abdelaziz Bouteflika, tandis que les manifestations des chômeurs et des jeunes se propageaient dans tout le pays.
Le régime de Bouteflika est ébranlé par la vague de luttes révolutionnaires des travailleurs qui ont lieu en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en particulier en Égypte et en Tunisie. D'après un communiqué du 5 février du Front de libération nationale (FLN) au pouvoir, Bouteflika a annoncé que l'état d'urgence imposé il y a 19 ans – au début de la guerre civile algérienne – serait prochainement suspendu.
Le régime algérien a été touché le mois dernier par une série d'émeutes de la jeunesse contre les prix élevés de la nourriture dus à la suspension des subventions étatiques et à l'augmentation mondiale des prix.
Mercredi, les infirmières et les paramédicaux poursuivaient une grève nationale indéfinie commencée la veille. Les travailleurs de la santé en grève effectuent un service minimum pour les actes les plus simples et les urgences. Le régime a refusé de négocier avec le petit syndicat des paramédicaux (SAP), préférant passer un accord avec le syndicat officiel UGTA (Union générale des travailleurs tunisiens).
Cependant, les paramédicaux n'ont pas confiance dans les négociations avec les autorités de l'Etat. Une pancarte dans la manifestation devant la Clinique des brûlés de l’avenue Pasteur à Alger disait « Arrêtez l’hémorragie de promesses. »
D'après les reportages, la grande majorité des 100 000 travailleurs du secteur de la santé participent à la grève. Ils demandent des augmentations de salaires, l'intégration de leurs programmes de formation dans le système universitaire, et la réintégration des représentants syndicaux qui ont été licenciés.
Le porte-parole du SAP, Lounes Ghachi, expliquait : « Les directeurs d’hôpitaux ont été instruits d’empêcher la grève, en procédant à des menaces et des intimidations, mais sans parvenir à entamer la détermination des paramédicaux. »
Hier, des intérimaires en fin de contrat à l'usine chimique publique ENAD à Sour-El-Ghozlane manifestaient devant les locaux de la direction pour récupérer leurs emplois. Les licenciements avaient commencé en mars dernier. D'après des entretiens accordés à Liberté, les travailleurs menacent de se suicider si leurs demandes ne sont pas acceptées.
Le directeur de l'usine a déclaré à Liberté qu'il refusait de réembaucher les travailleurs : « Moi je n'ai jamais promis leur réintégration. »
Les jeunes au chômage bloquent également les routes nationales qui relient bon nombre de villes algériennes. Les jeunes de Naciria et Boumerdès ont bloqué la RN 12 hier demandant des emplois et le paiement d'une indemnité de chômage mensuelle de 12 000 Dinars algériens, soit environs 120 euros.
Les jours précédents, il y a eu des reportages faisant état de violentes échauffourées entre la police et les jeunes chômeurs sur la RN 12 près de Naciria, sur la RN3 entre Skikda et Constantine, et avec 200 jeunes sur la route d'Alger à Tizi-Ouzou.
Les travailleurs de l'usine à lait "la vallée" à Tazmalt ont également fermé la route Bejaïa-Algers, demandant la réintégration de 40 travailleurs renvoyés en raison de la chute de la demande pour le lait en poudre.
Tout le spectre politique officiel se prépare à une montée des luttes sociales en Algérie. Il y a des reportages faisant état de cargaisons importantes de gaz lacrymogènes et de tenues anti-émeute arrivant au port d'Alger. Pendant ce temps, essayant de canaliser la colère des travailleurs et des jeunes vers les voies les moins dommageables pour l'élite algérienne, « l'opposition » officielle a tardivement appelé à une manifestation.
La Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) – une coalition d'organisations de défense des droits de l'homme, de syndicats et de partis "d'opposition" officiels tolérés par le régime de Bouteflika, dont le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) – a annoncé un projet de marche d'une journée le 12 février à Alger. Les autorités du district d'Alger ont formellement refusé d'autoriser cette marche, mais le CNCD a dit qu'il la ferait quand même.
Il semble que les autorités se servent de la marche pour identifier les jeunes mécontents et mesurer l'opposition au régime. D'après Radio Kalima, les officiels locaux autour d'Alger organisent des réunions avec la jeunesse et les « associations, maisons de jeunes, et toutes les structures locales » qui risquent de participer à ce rassemblement leur demandant de ne pas y aller.
« Des rapports sur ces discussions seront rendus par les maires au Wali d'Alger qui transmettra immédiatement au ministre de l'Intérieur qui coordonne l'opération anti-marche du 12 février, » a expliqué la station de radio.
La principale crainte du régime et de l'opposition officielle est l'entrée en masse de la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire contre le régime, comme cela s'est passé en Égypte.
Dans un entretien avec le quotidien de référence El Watan, l'avocat et activiste des droits de l'homme Mokrane Aït Larbi écrivait : « On n'a pas besoin d'être un grand spécialiste pour constater que le pouvoir n'a aucune légitimité populaire et que l'opposition est faible et complaisante, pour ne pas dire inexistante. »
Larbi ajoutait que « le changement du système par un mouvement insurrectionnel n'est pas à exclure » prévenant qu'il ne souhaitait que des changements « pacifique. »
Ces commentaires, reflétant les craintes parmi les couches privilégiées des classes moyennes, que ne se développe un mouvement indépendant de la classe ouvrière, ont reçu des échos plus explicites dans un article du dirigeant du RCD Saïd Saidi dans Causeur.
Il y écrit : « En 2010 on a enregistré 9700 émeutes, d'ampleur inégale [en Algérie]. Si on ajoute le fait que les classes moyennes qui ont accompagné et canalisé la révolution en Tunisie n'existent quasiment pas en Algérie, la conclusion est claire: l'autisme du pouvoir couplé à une exaspération populaire trop longtemps contenue peut mener à une déflagration qui aura des répercussions nationales et régionales inédites. »
Son article, intitulé « Algérie : l'impasse historique, » se termine par un résumé remarquable de l'impasse du nationalisme petit-bourgeois algérien – la philosophie politique du FLN dans sa guerre contre l'impérialisme français, et celle de Saidi également.
« La conscience nationale algérienne, fraîche et fragile, est née de la résistance à la violence d'une colonisation de peuplement qui a pulvérisé normes sociales et valeurs communautaires. La prédation plus massive encore, compte tenu des ressources disponibles, perpétrée par le régime a généré une fureur que la fuite des cadres et des jeunes ne parvient pas à dissoudre. En vérité, nous ne vivons pas seulement une crise historique majeure, nous sommes dans une impasse historique. »
C'est effectivement le problème historique qui se pose aux régimes militaires d'Afrique du Nord, à leur "opposition" officielle, et à leurs groupes "de défense des droits de l'homme", tandis que la classe ouvrière entre dans la lutte révolutionnaire dans toute la région.
(Article original paru le 10 février 2011)
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