La décision unilatérale du PDG de Fiat, Sergio Marchionne, de résilier toutes les conventions collectives à partir de janvier 2012 est une atteinte historique aux gains fondamentaux des travailleurs obtenus au cours de dizaines d'années de luttes difficiles.
Cette action fait suite à la décision de Marchionne de retirer Fiat de la fédération italienne des employeurs industriels, Confindustria, pour se libérer de toutes les normes salariales et de conditions de travail dans les négociations à venir.
En octobre, Marchionne a réitéré ses menaces de fermer toutes les productions en Italie si les travailleurs n'acceptent pas de faire des concessions très larges. « Fiat ne peut pas se permettre de produire en Italie dans un contexte d'incertitudes qui la sépare des conditions existant dans le reste du monde industrialisé, » a-t-il déclaré.
Le patron de Fiat se sert en grande partie des nouvelles normes de salaires au rabais établies par l'United Auto Workers (UAW) aux États-Unis chez Chrysler (qui appartient à Fiat depuis 2009) pour détruire les conditions de travail des travailleurs italiens.
Fiat envisage d'appliquer à tous ses sites italiens les conditions déjà imposées aux travailleurs de l'usine de Pomigliano près de Naples et de Miraflori à Turin. En particulier, elle veut abolir les conventions collectives nationales en faveur de conventions d'établissements spécifiques au groupe Fiat, limiter le droit de grève et imposer des horaires plus longs, y compris les week-ends. Elle veut également limiter le pouvoir des représentants du personnel à l'échelon local, établir des règles plus strictes pour les arrêts maladie et des pauses plus courtes.
Comme dans ses usines Chrysler américaines, Fiat veut également établir des emplois « de deuxième catégorie » à bas salaire et importer une « flexibilité du travail » à l'américaine, qui lui permettrait de licencier les travailleurs à volonté pour raison économique et d'utiliser les licenciements massifs pour forcer les travailleurs à accepter des réductions de salaires et d'autres concessions.
La longue liste des mesures d'austérité mises en place par les précédents gouvernements Prodi et Berlusconi ainsi que le gouvernement « technocratique » actuel du banquier Mario Monti servent également à entamer la sécurité de l'emploi et les conditions de travail, et à réduire de nombreux travailleurs au statut de main d'œuvre d'appoint.
Les dirigeants de Fiat ont clairement dit qu'ils veulent exploiter la crise économique pour restructurer leurs opérations mondiales et faire monter les profits. S'exprimant devant des analystes de l'industrie en octobre, le président de Fiat, John Elkann s'est vanté de ce que la compagnie se servirait de la crise pour « recalculer ses priorités et saisir des opportunités, » comme elle l'avait faite pour le rachat de Chrysler en faillite en 2009.
La première victime des plans industriels du gouvernement et de Marchionne, qu'ils appellent cyniquement le projet « Fabrica Italia [l'Usine Italie] », a été la fermeture de l'usine de Termini Imerese en Sicile la semaine dernière, après 41 ans de service.
Après des années de dures batailles contre la fermeture de l'usine, les travailleurs se sont vus offrir une pitance (des incitations à la mobilité dans le jargon officiel) et des plans de retraite anticipée (d'un montant moyen de 22 850 euros par travailleur) avant d'être jetés dehors. Dans cette région économiquement ravagée du Sud de l'Italie, où peu d'opportunités se présentent, quand il y en a, la fermeture de cette usine conduira des milliers de familles à la misère. Pour 21,5 millions d'euros, Fiat a pu abandonner à leur propre sort 640 familles et délocaliser la production vers des régions qui garantissent des coûts plus bas et des profits plus élevés.
« C'est fini, il n'y a plus d'avenir, il n'y a plus rien, » déclarait dans la presse locale Francesco Li Greci, qui a travaillé 34 ans sur ces chaînes de montage. Un autre se lamentait, « M. Marchionne ne sait pas ce qu'il fait. Qu'est-ce qu'on va faire de nos familles ? » Son collègue a ajouté, « J'ai des soucis de santé au cœur après avoir travaillé 36 ans ici. Ils nous ont traités comme des chiens. »
Marchionne a été bien récompensé pour ses attaques contre les travailleurs, empochant 3,1 millions d'euros en 2010. Mais il n'aurait jamais pu faire autant de dégâts sans la complicité des syndicats, qui ont forcé les travailleurs à accepter le chantage de la compagnie.
L'accord signé en juin dernier par les principales confédérations du travail, la CGIL, la CISL, l'UIL et Confindustria (à laquelle appartenait encore Fiat à l'époque) a préparé le terrain pour la dernière action de Marchionne en accélérant le processus de « restructuration » des relations de travail.
Les syndicats CISL et UIL ont ouvertement soutenu la décision de Marchionne d'abroger les conventions nationales. Le secrétaire de la CISL, Raffaele Bonanni, a rassuré le PDG, « nous ne ferons pas grève contre Fiat, » tandis que Luigi Angeletti, de l'UIL, a applaudi la fin de ces accords parce que cela « donne vie à un nouveau contrat qui relancera l'industrie automobile de notre pays. »
Leur position sur la fermeture de Termini Imerese est également parlante. Bonanni a accueilli à bras ouverts les propositions d'autres investisseurs, comme le propriétaire de DR Motors Massimo Di Risio, qui salivaient d'avance à l'idée d'imposer des salaires de misère en rachetant l'usine.
Dans une déclaration qui révèle son entière soumission au capitalisme et l'impasse que représentent les syndicats nationaux, Angeletti a affirmé que, « à l'ère de la mondialisation, les emplois ne peuvent être défendus que si l'on est compétitif. »
Le rôle de la FIOM-CGIL – traditionnellement associée aux staliniens de l'ex Parti communiste italien (PCI) – est encore plus perfide. En fin de compte, ils soutiennent les actions de Marchionne comme les autres syndicats mais en se positionnant de manière à détourner toute résistance des travailleurs. D'un côté ils se présentent comme un syndicat militant, et de l'autre ils signent avec les autres la liquidation de l'avenir des travailleurs.
Termini Imerese est un cas d'école. Après avoir appelé à une série de grèves ponctuelles pour que les travailleurs se défoulent, la FIOM-CGIL ne s'est pas contentée de signer l'accord final, elle a également contribué à diminuer le montant des indemnités de licenciement, encore une concession aux employeurs. Le dirigeant du FIOM, Enzo Masini a plastronné, « pour montrer que les travailleurs sont des gens responsables, nous sommes prêts à réduire les primes de départ. »
Comme si ce n'était pas assez, dans un communiqué officiel, les représentants de la CGIL ont vanté les mérités du travail du banquier Corrado Passera, le nouveau ministre du développement économique dans le gouvernement Monti, « pour avoir construit une solution s'appuyant sur le respect de tous les intérêts présents. » En d'autres termes, le syndicat accorde sa confiance à un gouvernement de banquiers nommés de manière antidémocratique par la Banque centrale européenne.
Comme pour Angeletti de l'UIL, la soumission de la CGIL au système capitaliste est évidente dans son attitude envers DR Motors. « Maintenant il faut que l'acheteur confirme sa capacité à reprendre la production et relancer l'usine. » Le fait que le nouvel accord d'entreprise ne paiera qu'une fraction des anciens salaires n'est même pas mentionné par la CGIL.
En fait, la FIOM-CGIL soutient la décision de Marchionne de mettre un terme aux accords collectifs. L'unique condition qu'elle pose est que l'appareil syndical conserve sa position légalement reconnue afin de faire la police dans la main d'œuvre et de continuer à percevoir des cotisations.
La secrétaire nationale Susanna Camusso a dit cela clairement, affirmant, « Si la décision de Fiat d'appliquer la convention de Pomigliano dans toutes les usines est réelle, il serait utile de créer un front commun avec CISL et l'UIL pour s'assurer que les syndicats soient présents sur les lieux de travail et soient libres d'exercer leurs prérogatives. »
La grande peur des dirigeants syndicaux est que la décision de Marchionne ne provoque une rébellion des travailleurs qu'il ne serait pas à même de contrôler. Avec le soutien de la pseudo-gauche italienne, du Parti démocrate aux pablistes de Sinistra Critica [gauche critique], le dirigeant de la FIOM Maurizio Landini s'en est remis aux banquiers qui dirigent l'Etat en disant, « Le nouveau gouvernement [Monti] doit nous dire quelle est sa position sur le cas Fiat. »
Au début de la semaine, tous les syndicats, y compris la FIOM, ont entamé des négociations avec Fiat pour une nouvelle convention. Le simple fait qu'un accord de remplacement aux conventions collectives soit discuté confirme que les syndicats entrent en jeu pour imposer des conditions qui ressembleront à celles qui sont imposées aux travailleurs américains, voire même pires.
Au nom de la « compétitivité nationale » les syndicats de l'automobile des deux côtés de l'Atlantique sont en compétition pour voir qui pourra imposer les coupes les plus profondes aux salaires et aux retraites de leurs propres membres. Cela ne fait que souligner la nécessité de rompre avec les organisations nationalistes et pro-capitalistes et d'unifier les travailleurs de l'automobile de par le monde contre les exigences des grandes entreprises et des banques.
Ce à quoi l'on peut s'attendre en Italie, c'est que les conventions signées à Pomigliano et Miraflori deviennent la nouvelle norme. Cela ne se limitera pas à l'industrie automobile : le nouveau gouvernement prépare un premier plan d'austérité de 25 milliards d'euros qui s'en prendra aux retraites, à l'enseignement public, aux services sociaux – tout cela au nom d'une plus grande productivité et de l'efficacité. Ce ne sont que des phrases d'accroche pour déguiser le caractère de classe de ces mesures brutales, qui appauvriront les travailleurs et enrichiront ces mêmes banquiers qui sont responsables de la crise.
(Article original paru le 2 décembre 2011)