Lundi, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy ont présenté un plan conjoint pour restaurer la confiance des marchés financiers dans l'euro. Il sera envoyé à tous les membres de l'UE aujourd'hui et est censé être voté le vendredi au sommet des chefs d'état et de gouvernement de Bruxelles. « Nous sommes déterminés à obtenir une décision à ce sommet, » a insisté Sarkozy.
Ce plan a deux volets. En premier lieu, il garantit que les investisseurs internationaux n'auront plus jamais à payer la facture pour un pays de la zone euro. Une « coupe » de la dette comme cela s'est fait en Grèce, où les investisseurs ont abandonné 50 pour cent de leurs créances, ne pourra plus arriver, ont promis Merkel et Sarkozy.
En second lieu, il forcera les états de la zone euro à introduire des mesures de réductions budgétaires extrêmement strictes. Les pays ayant un déficit budgétaire annuel dépassant trois pour cent du PIB seront punis automatiquement ; les 17 pays de la zone euro seraient contraints d'imposer un budget que la constitution obligerait à être en équilibre (la « règle d'or ») suivant le modèle allemand, et la Cour de justice européenne veillerait à son application.
De plus, l'entrée en vigueur d'un Mécanisme européen de stabilité (MES) permanent qui remplacera le Fonds européen de stabilité financière (FESF) serait avancée d'un an, à la fin 2012.
Pour appliquer cette discipline budgétaire plus stricte, Merkel et Sarkozy veulent changer les traités européens en mars 2012. Si possible, ils veulent le faire dans le cadre de l'Union européenne et de ses 27 membres. Cependant, si des pays comme la Grande-Bretagne continuent à s'y opposer, ils n'excluent pas de le faire seuls. « Alors nous aurons un accord à 17, et ceux qui voudront venir plus tard feront comme ils voudront. » a menacé Sarkozy.
La proposition franco-allemande répond aux exigences des marchés financiers internationaux. Ils ont insisté pour que des pays surendettés de la zone euro équilibrent leurs budgets au détriment du public, et que les investisseurs privés soient exemptés de tout risque – même s'ils ont bénéficié de taux d'intérêt élevés.
Dans le cas de la Grèce, la chancelière Merkel a insisté pour que les investisseurs privés acceptent une « coupe » de la dette – pas parce qu'elle serait hostile aux banques mais parce que ce serait moins cher pour l'Allemagne. Quand Merkel et Sarkozy se sont rencontrés il y a un an à Deauville en France pour conclure un accord de sauvetage de l'euro, Merkel a eu l'avantage sur ce point.
Les marchés financiers ont réagi à cela en augmentant les taux d'intérêt des gouvernements européens jusqu'à des niveaux à couper le souffle, forçant un pays après l'autre à avoir recours au Fonds de sauvetage européen. Un représentant de la Banque centrale européenne (BCE) a qualifié la contribution privée à la coupe de la dette grecque « une terrible méprise, » parce que les investisseurs ne peuvent plus avoir confiance dans le fait qu'ils récupéreront l'argent qu'ils ont prêté aux pays de la zone euro.
Merkel a maintenant laissé tomber et exclu toute participation privée à une coupe pour les autres pays. Elle a justifié son revirement en disant : « les prêts en euros ne devraient pas être moins sûrs que les obligations des autres pays du monde. »
Sarkozy quant à lui a accepté des pénalités automatiques pour les états qui dépassent la limite du déficit. À Deauville, il avait rejeté une telle approche, parce que cela retire de la marge de manœuvre fiscale aux gouvernements pour réagir aux changements économiques ou à la pression sociale.Les pénalités automatiques et la « règle d'or » les forceraient à faire de massives coupes dans les dépenses publiques, même si cela devait causer une récession massive et des troubles sociaux.
Les marchés financiers ont réagi positivement à la proposition de Merkel et Sarkozy jeudi. Les taux d'intérêt des emprunts d'Etat italiens et espagnols ont nettement chuté, et le marché des actions a augmenté. Mais ce plan n'est pas allé assez loin, aux yeux des responsables financiers.
Jeudi, l'agence de notation Standard & Poor's (S&P) a accentué la pression sur le sommet européen à venir, menaçant de baisser la note de tous les pays européens, y compris l'Allemagne. Si les pays d'Europe les plus forts économiquement perdaient leur note "AAA", cela augmenterait le coût du fonds de sauvetage européen, plaçant un point d'interrogation sur toutes les mesures acceptées précédemment pour résoudre la crise.
Les représentants de haut rang de l'UE étaient visiblement énervés par l'action de S&P, qu'ils considèrent comme la voix des intérêts financiers américains. Le chef de l'Eurogroupe Jean-Claude Juncker a décrit la décision de S&P comme un « coup mettant KO tous les états qui cherchent à réduire leur déficit budgétaire. » Pour le Premier ministre du Luxembourg cela était « inéquitable » et « complètement excessif, ». Il était « étonné » que cela intervienne juste avant un sommet européen crucial.
Merkel et Sarkozy ont réagi à cette annonce de l'agence de notation en jurant leur totale loyauté aux marchés financiers. « La France et l'Allemagne, en toute solidarité, confirment leur détermination à prendre toutes les mesures nécessaires, en lien avec leurs partenaires et les institutions européennes, pour s'assurer de la stabilité de la zone euro, » ont-ils écrits dans une déclaration commune.
Mais les marchés financiers ne trouveront pas le repos tant que tous les gains sociaux obtenus par la classe ouvrière européenne après la seconde guerre mondiale n'auront pas été détruits. Pour eux, les allocations et les retraites en Europe sont toujours bien trop élevées ; les salaires aussi et les conditions de travail trop rigides ; la santé et l'éducation trop chères à maintenir, et le secteur public trop développé. Tout ce qui ne satisfait pas à leur soif insatiable de profits doit être réduit et éliminé.
Ils ne se satisfont pas de déclarations d'intention, ils veulent des actes. Les gouvernements technocratiques en Grèce et en Italie ont maintenant commencé à réaliser cela. Au début du mois, le gouvernement grec a licencié 16.000 employés du service public et drastiquement réduit les salaires dans les entreprises publiques. Dans les jours à venir, un nouveau budget d'austérité sera soumis au Parlement. Le gouvernement italien a accéléré la réduction des retraites, que leurs prédécesseurs avaient essayé de faire passer sans succès pendant 20 ans.
L'Europe rappelle de plus en plus les années 1930, lorsque des mesures d'austérité drastiques similaires ont entraîné une pauvreté de masse, la dictature et la guerre. Mêmes certains politiciens bourgeois et commentateurs font de tels parallèles.
Sous le titre « l'ombre allongée des années 1930, » l'éditorialiste du Financial Times Gideon Rachman a écrit le 28 novembre : « Le risque d'une grave crise économique en Europe est sévère. Le risque de défauts de paiement de la dette souveraine et de la fin de l'euro augmente – et avec cela, les risques liés : banques en faillite, panique populaire, récession profonde et chômage de masse […] les leçons des années 1930 sont que la dépression mondiale affaiblit les démocraties et entraîne l'apparition de nouvelles forces politiques radicales – et, au passage, augmente les risques de conflits internationaux. »
L'ex-chancelier allemand Helmut Schmidt, 92 ans, a lancé une mise en garde, dans un discours qui a reçu beaucoup d'attention au congrès du SPD, contre la rechute de l'Europe dans les conflits armés. Il s'en est pris au « lobby bancaire globalisé » et à « quelques milliers de traders financiers aux États-Unis et en Europe, ainsi que certaines agences de notation qui ont pris en otage les gouvernements politiquement responsables d'Europe. »
Mais les réponses offertes par les critiques de Merkel et Sarkozy – la régulation des marchés financiers, les emprunts européens, les prêts de la BCE, etc – ne font qu'exacerber la crise ou ne prennent pas en compte la réalité économique et politique.
Les sociaux-démocrates et les verts – comme les gouvernement américain et britannique – appellent à relâcher la pression sur l'euro en inondant les marchés financiers avec de l'argent frais de la BCE et les emprunts européens.
Mais c'est la même voie que les gouvernements avaient choisie au cours de l'effondrement financier de 2008, ce qui a apporté la crise actuelle. Le transfert de milliers de milliards des caisses publiques vers les banques a contribué de manière significative à la crise actuelle. Et l'essentiel de cet argent est allé dans les transactions spéculatives, qui visent maintenant l'euro et l'UE.
Sans mettre les marchés financiers sous contrôle et sans saisie des énormes richesses qui se sont accumulées tout en haut de la société, il ne peut y avoir de solution à la crise. Mais aucun des partis établis en Europe ne voudrait ou ne serait capable de s'engager sur cette voie. Ils sont tous trop liés au capitalisme et aux privilèges qui vont avec.
Les conservateurs, les socio-démocrates, les verts et les partis "de gauche" s'accordent pour dire qu'il n'y a pas d'alternative à l'austérité. Les programmes de grands travaux et de relance économique, comme ceux appliqués dans les années 1930 par Franklin Roosevelt aux États-Unis, ne sont même plus envisagés.
Le capitalisme international est dans une crise sans issue, qui ne peut être résolue que par la mobilisation de la classe ouvrière européenne s'appuyant sur un programme socialiste. Les principaux groupes économiques et financiers doivent être expropriés et placés sous contrôle démocratique, leurs ressources énormes utilisées pour répondre aux besoins sociaux et non à enrichir le 1 pour cent le plus élevé. Cela exige l'établissement de gouvernements ouvriers et les États socialistes unis d'Europe.
(Article original paru le 7 décembre 2011)