Selon une série de sondages,
l’appui pour le parti social-démocrate du Canada a bondi durant les deux
dernières semaines. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) espère gagner plus de
25 pour cent des voix et a la possibilité de déloger les libéraux en tant que
deuxième plus grand parti du parlement. Les Canadiens iront aux urnes lundi le
2 mai. Ce sera la quatrième élection fédérale en six ans.
Le NPD n’a jamais obtenu 20 pour
cent du vote populaire dans une élection nationale. Lors de l’élection
d’octobre 2008, le NPD a reçu 18,2 pour cent du vote, obtenant 37 des 308
sièges de la Chambre des communes.
Les sondages montrent maintenant que le
NPD a une seconde place ferme quant aux intentions de vote, devant les
libéraux. Parti favori de la classe dirigeante canadienne pour gouverner le
pays pendant le dernier siècle, les libéraux sont présentement très en dessous
du total de 26 pour cent des votes qu’ils avaient obtenus lors de la
dernière élection et qui a été le pire résultat de leur histoire.
Certains sondages d’opinion donnent
au NPD jusqu’à 30 pour cent d’appui à travers le pays. Ceci est le
double de l’appui qu’ils recevaient dans les premières semaines de
la campagne.
Ce qui rend l’évidente montée de
l’appui au NPD exceptionnelle est qu’elle a débuté et est
concentrée au Québec, la seule province majoritairement francophone du pays et
un désert électoral pour les sociaux-démocrates du Canada. Selon les sondages,
le NPD est maintenant le parti favori de plus de 35 pour cent des Québécois et il
a délogé le Bloc Québécois (BQ), le parti nationaliste québécois et
souverainiste qui est entré dans la campagne électorale en détenant 47 des 75
sièges de la province, comme le parti le plus populaire du Québec.
Bien que le NPD, à un moment ou à un
autre, ait formé le gouvernement en Ontario, en Nouvelle-Écosse et dans trois
des quatre provinces de l’Ouest, il n’a jamais été une force
politique significative au Québec. Il n’a jamais fait élire de député à l’Assemblée
nationale du Québec et n’a que deux députés fédéraux dans la province.
Ailleurs au Canada, la bureaucratie
syndicale fournit au NPD un appui financier et organisationnel significatif.
Mais au Québec, pendant des décennies, les syndicats se sont alignés sur le
Parti Québécois (PQ) un parti pro-indépendance, ainsi que sur son parti frère,
le Bloc Québécois. Cela demeure vrai. Une réunion spéciale du conseil général
des 600 000 membres de la Fédération des travailleurs et travailleuses du
Québec (FTQ) a voté, avec une forte majorité, le 11 avril, pour appuyer le BQ
et mobiliser l’appareil de la FTQ derrière sa campagne.
Dans le but de prendre pied au Québec, la
direction du NPD a fait la promotion des récents succès électoraux de Thomas
Mulcair, faisant de lui un des deux chefs adjoints parlementaires du parti et
le présentant comme un possible successeur au présent chef fédéral, Jack
Layton. Un ancien ministre provincial du cabinet libéral, Mulcair a remporté
les élections partielles de 2007 pour le NPD dans une circonscription
montréalaise et a été réélu lors des élections générales de 2008.
La direction du NPD, cependant, est aussi
surprise que tout le monde par la soudaine vague de soutien pour son parti au
Québec. Tous sauf une poignée de ses candidats au Québec sont des novices
politiques et/ou sont inconnus. Dans la plupart des 75 circonscriptions, le
parti n’a même pas de bureau de campagne électorale.
Il reste à voir si la hausse du soutien
pour le NPD enregistré par les firmes de sondages se transférera dans une
hausse de son vote le 2 mai, sans parler d’une augmentation majeure de sa
représentation au parlement.
Le taux de participation lors de la
dernière élection fédérale a été de 59,1 pour cent, le plus bas record
historique. Les plus jeunes électeurs, qui sont traditionnellement ceux qui
votent le moins, sont, selon les sondages d’opinion, ceux qui soutiennent
le plus le NPD.
Néanmoins, il n’est pas trop tôt
pour tirer certaines conclusions.
L’appui soudain pour le NPD au
Québec est le produit d’une hostilité répandue face au gouvernement
conservateur de droite de Harper, qui est associé par la population aux banques
de Bay Street et aux barons du pétrole de l’Alberta, à la promotion du
militarisme et au conservatisme social. C’est aussi le produit d’un
mécontentement grandissant face à l’establishment politique traditionnel
de la province, fédéraliste et souverainiste.
Le parti libéral fédéral, maintenant mené
par Michael Ignatieff, un partisan enthousiaste des guerres d’Irak et
d’Afghanistan, est une organisation distincte du parti libéral du Québec,
qui forme maintenant le gouvernement provincial. Mais il y a beaucoup de
chevauchement entre les deux partis en termes de personnel et de politiques et
ils sont correctement perçus par la population comme frères politiques.
Le gouvernement libéral du Québec de Jean
Charest, en place depuis 8 ans, émet, depuis longtemps, une odeur de fin de
régime. Son soutien populaire a chuté après une série de scandales et son
dépôt, en mars 2010 et 2011, de deux budgets d’austérité, coupant dans
les dépenses sociales tout en augmentant les frais de scolarité universitaires,
le coût de l’électricité et une série de frais et de taxes à la
consommation.
La plus grande partie de
l’augmentation de l’appui pour le NPD est survenue au détriment du
BQ. Le BQ se présente comme un parti progressiste, proche des travailleurs.
Mais il a régulièrement fait des accords pour soutenir le gouvernement
minoritaire conservateur, a appuyé, avec enthousiasme, l’intervention
militaire canadienne en Afghanistan jusqu’en 2009 et, comme le NPD, était
prêt, en décembre 2008, à appuyer une coalition menée par le parti libéral qui
était engagé à poursuivre la guerre jusqu’en 2011. De plus, le BQ est le
frère junior du PQ. En tant que parti provincial en alternance du gouvernement
de la bourgeoisie québécoise, le PQ a imposé des coupes massives dans les
dépenses sociales, tout en abaissant les impôts pour les entreprises et les
riches, lorsqu’il a formé le gouvernement du Québec (1994-2003).
Encouragés par le soutien excessif de la
bureaucratie syndicale, le PQ et le BQ se basent depuis longtemps sur leurs
importantes majorités dans les circonscriptions électorales ouvrières où le
français est prédominant. Mais le PQ a perdu un demi-million de votes dans
l'élection de 2003 et a été relégué au troisième rang à l'Assemblée nationale
entre avril 2007 et décembre 2008.
Lors des trois dernières élections
fédérales, le BQ a pu conserver le gros des sièges du Québec en se présentant
comme le parti le mieux positionné pour empêcher que Harper et ses
conservateurs obtiennent une majorité parlementaire. Mais sa part du vote au
Québec diminue constamment, de 49 pour cent en 2004 à 38 pour cent en 2008. Il
semble maintenant que son appui diminue encore plus rapidement. Selon les
sondages, le BQ n'obtient à peine plus que le quart des intentions de vote.
Certains analystes ont comparé la
soudaine montée de l'appui pour le NPD à celle de l'Action démocratique du
Québec (ADQ) durant la campagne électorale québécoise de 2007. Du jour au
lendemain, l'ADQ était passée d'un parti marginal au statut d'opposition
officielle.
Mais certaines différences importantes
sont à considérer. L'ADQ est un parti populiste de droite qui, aidé par des
sections des médias de la grande entreprise, avait recueilli des appuis en alimentant
l'hostilité envers les immigrants et les minorités religieuses. Mais comme en
2007, de nombreux Québécois se rangent derrière un parti jusque-là marginal
pour exprimer leur colère envers l'establishment politique traditionnel. Dans
le cas de l'ADQ, son appui s'est évaporé quand les Québécois ont compris qu'il
défendait un programme de droite de coupes sociales, de privatisations et de
conservatisme social.
La dernière décennie au Québec a été
ponctuée d'éruptions soudaines de protestations de masse : en 2003 contre
la guerre en Irak, en décembre 2003 contre la première vague de mesures
régressives du gouvernement Charest et en 2005 lors de la grève étudiante. Mais
ces luttes ont été systématiquement trahies et étouffées par les syndicats.
C'est pourquoi la colère sociale et la possibilité de profonds changements dans
l'intérêt des travailleurs ne se sont exprimées politiquement que de manière
déformée et pervertie.
De façon significative, la soudaine
montée de l'appui pour le NPD au Québec ne semble avoir trouvé qu'un faible
écho en Ontario, bien que ce soit la région du pays la plus touchée par la
crise financière et le ralentissement économique et celle qui héberge les
sections les plus puissantes de la classe ouvrière.
En Ontario, le NPD est associé à
l'appareil conservateur des syndicats et à son imposition de baisses de salaire
et de concessions, y compris chez les trois grands constructeurs automobiles
basés à Détroit. De plus, les travailleurs de l'Ontario ont vécu l'expérience
amère d'élire un gouvernement provincial néo-démocrate en 1990 dans l'espoir
d'être protégés de la récession. Le résultat a été que les sociaux-démocrates
ont fait fi de leurs promesses de réforme et ont imposé un « contrat
social » de coupes dans les salaires et les emplois d'un million
d'employés de la fonction publique et ont réduit les dépenses sociales.
La montée de l'appui pour le NPD au
Québec et nationalement a provoqué l'intensification des attaques des autres
partis de la grande entreprise contre lui et a démontré combien tous ces partis
peuvent être à droite.
Le chef libéral Michael Ignatieff, qui a
ignoré le NPD durant la première partie de la campagne afin de présenter les
libéraux comme la seule alternative gouvernementale aux conservateurs, attaque
maintenant le NPD à toute occasion et critique son irresponsabilité de gauche.
Mardi, Ignatieff a traité le NPD de « bande de scouts » pour appeler
au retrait de toutes les troupes canadiennes d'Afghanistan.
Hier, deux anciens premiers ministres
provinciaux néo-démocrates qui sont maintenant députés du Parti libéral, Bob
Rae de l'Ontario et Ujjal Dosanjh de la Colombie-Britannique, ont publié une
déclaration dénonçant la plateforme électorale du NPD, la qualifiant de
« série de grandes promesses qui ne reflètent aucunement ce qu'il faut
vraiment pour gouverner », et « ce qu'il faut pour avoir une économie
productive et viable ».
En fait, la plateforme électorale du NPD
propose des augmentations des dépenses sociales faibles et ciblées, promet
d'équilibrer rapidement le budget, maintiendrait la majorité des baisses
d'impôts aux sociétés de Harper et toutes les baisses d'impôt aux riches des
derniers gouvernements libéraux et conservateurs, et ne toucherait pas aux
dépenses militaires records.
Pour établir une nette différence entre
le NPD « financièrement irresponsable » et ses libéraux, Ignatieff a
fait appel aux services des anciens premiers ministres libéraux Jean Chrétien
et Paul Martin pour qu'ils l'accompagnent dans sa campagne. Entre 1993 et 2004,
le duo Chrétien et Martin a supervisé les plus grandes coupes en dépenses
sociales de l'histoire du Canada et a transformé le système de taxation en
faveur de la grande entreprise et des riches.
Le BQ, quant à lui, intensifie ses appels
ethnonationalistes et dénonce le NPD comme faisant partie d'une coalition
anti-Québec et affirme que seul le BQ va donner la priorité aux intérêts des
Québécois, ce qui veut dire en fait les intérêts de l'élite québécoise.
Dans son attaque contre le NPD, le chef
du BQ Gilles Duceppe a mentionné que les sociaux-démocrates avaient appuyé la
Loi sur la clarté, une loi réactionnaire qui menaçait de partitionner le Québec
dans le cas où ce dernier ferait sécession.
Pendant ce temps, Harper continue de
soutenir que l'élection de tout sauf un gouvernement majoritaire conservateur
mettrait en danger la reprise économique au Canada. Que Harper puisse affirmer
que le Canada va bien économiquement tandis que 1,5 million de personnes sont
officiellement sans emploi et que les salaires réels des travailleurs stagnent
depuis trois décennies montre clairement au nom de qui il s'adresse.
Aucun des partis, y compris le NPD, ne
s'est opposé à Harper sur cette question. Seules de timides critiques sur la
croissance généralisée de l'inégalité sociale, de la pauvreté et de
l'insécurité économique qui affectent de larges couches de la population ont
été formulées. Cela vient montrer que la véritable coalition dans la politique
au Canada en est une des quatre partis de la grande entreprise contre la classe
ouvrière, qu'elle parle anglais, qu'elle soit québécoise ou immigrante.
De manière prévisible, le NPD a réagi à
l'attention accrue qui lui était portée en allant encore plus vers la droite.
Le chef du NPD Jack Layton a répliqué aux attaques contre la plateforme du NPD
en insistant sur le fait que son parti serait prêt, si nécessaire, à reporter
ses promesses de dépenses sociales pour assurer l'équilibre budgétaire d'ici
quatre ans. De plus, comme il l'a fait par le passé, Layton a souligné qu'il
considérait les gouvernements néo-démocrates au Manitoba et en Nouvelle-Écosse (des
gouvernements qui ont été louangés par le quotidien de la grande entreprise, le
Globe and Mail, et d'autres médias du patronat pour leurs politiques de
droite), comme ses modèles.
Bien sûr, il y a des ultra-réactionnaires
au National Post ou dans les tabloïds du Sun qui ragent de voir
le soutien se développer pour le NPD « socialiste » et qui accusent
les sociaux-démocrates d'inciter à la guerre de classe en ayant la témérité de
laisser entendre que les travailleurs peinent à joindre les deux bouts. Mais
les commentateurs les plus perspicaces sont bien conscients que la bourgeoisie
canadienne a avec le NPD un outil malléable à qui, tout comme ses alliés des
syndicats, elle peut faire confiance pour détourner le mécontentement populaire
dans des avenues inoffensives, étouffer la lutte de classe, et favoriser le
déploiement des Forces armées canadiennes dans des guerres impérialistes, comme
dans le cas des guerres en Afghanistan et en Libye.
Dans une chronique publiée mercredi dans
le Globe and Mail, le chroniqueur politique Jeffrey Simpson a admis que
les différences de politiques qui séparent le NPD et les libéraux des
conservateurs sont mineures : « Dans cette campagne, au milieu de
publicités assassines et de rhétorique exagérée, on peut entendre le silence de
l'accord. Et cet accord est surtout selon les conditions de Stephen Harper...
Les disputes au sujet des taxes et des revenus ne touchent qu'une très faible
partie de ce qu'Ottawa dépense et collecte dans une année. »
La veille, dans le Toronto Star,
l'ancien rédacteur du Globe, Edward Greenspon, faisait le contraste entre le
prétendu radicalisme du NPD trois décennies plus tôt et le NPD
d'aujourd'hui : « Dans les dernières années, affirme Greenspon, le
NPD s'est repositionné d'un parti de principe à un parti de pragmatisme,
devenant ainsi une entité politique moins admirable, mais plus capable. Le NPD
joue la carte des promesses et des réalisations aussi bien que les autres
partis de la supposée vieille garde. ...
« Et il n'est pas particulièrement
socialiste. Ces nouveaux néo-démocrates renoncent aux déficits (du moins en
paroles); appellent à des baisses d'impôt pour la petite bourgeoisie et
adoptent la ligne dure sur la criminalité. Vingt ans plus tard, la troisième
voie de Tony Blair arrive enfin à Ottawa. »