La Grande-Bretagne et la France, les deux puissances
européennes qui sont le fer de lance de la guerre contre la Libye, sont en
train de franchir un nouveau pas vers une escalade de l’intervention
militaire. William Hague a annoncé mardi que jusqu’à 20 officiers
militaires britanniques se rendaient à Benghazi pour diriger les forces luttant
contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. La France a déployé des capacités
aériennes supplémentaires dont le porte-avions Charles de Gaulle.
La décision britannique est la plus
fatidique car qu’elle donne un signal clair selon lequel les puissances
de l’OTAN, y compris les Etats-Unis, seront en fin de compte obligées
d’envoyer des troupes terrestres au cas où la campagne de frappes
aériennes et les attaques mal organisées des rebelles ne réussissent pas à
évincer Kadhafi.
Il y a eu des rapports contradictoires concernant les
conseillers; le journal britannique The Guardian les a décrits comme
étant « une équipe militaire franco-britannique conjointe », tandis
que d’autres agences d’informations ont dit qu’il
s’agissait de Britanniques uniquement. L’équipe franco-britannique
conseillera les rebelles sur la collecte de renseignement, de la logistique et
des communications. Une indication qui témoigne de la gravité de la décision
est que l’équipe sera dirigée à partir d’un quartier général
inter-armée… » En d’autres termes, des officiers de
l’OTAN, et non pas le groupe croupion d’anciens agents de la CIA,
de Kadhafi et d’Al Qaïda, exerceront véritablement le commandement et le
contrôle des opérations des soi-disant « rebelles. »
Le ministre britannique des Affaires étrangères, Hague,
s’est employé à nier l’évidence – que l’envoi des
officiers de l’OTAN était un pas important sur la voie menant logiquement
et inexorablement à l’invasion de la Libye par les puissances
impérialistes.
Se référant à la nouvelle mission britannique, il a dit,
« Ils conseilleront le Conseil national de transition (CNT) sur la manière
d’améliorer les structures d’organisation militaires, les
communications et la logistique, y compris sur la manière de mieux distribuer
l’aide humanitaire et de procurer l’assistance médicale. »
Malgré les références aux fonctions de non combattant,
l’arrivée des officiers britanniques signifie une conversion officielle
de la force « rebelle » en une opération militaire dirigée par les
impérialistes et l’abandon de tout prétention que le conseil sis à
Benghazi représente une résistance indigène au régime Kadhafi.
Les « rebelles » ne sont guère plus indépendants
des puissances impérialistes que l’Alliance du Nord en Afghanistan qui
avait été utilisée en 2001 par le gouvernement Bush pour chasser les Taliban et
pour établir un régime fantoche qui a encore à sa tête quelqu’un nommé
par les Etats-Unis, le président Hamid Karzaï.
Hague n’a pas expliqué comment les responsabilités
de collecte de renseignement – obligatoirement liés à la direction des
opérations sur le terrain et au ciblage des frappes aériennes de l’OTAN
– pourraient cadrer avec sa présentation de la mission comme étant
purement humanitaire.
Il a affirmé, « Ce déploiement est pleinement
conforme aux termes de la résolution UNSCR 1973, à la fois en fonction de la
protection des civils et aux dispositions excluant expressément une force
d’occupation étrangère sur le sol libyen. Conformément à nos obligations
en vertu de cette résolution, nos officiers ne seront pas impliqués dans la
formation ou l’armement des forces combattantes de l’opposition.
Ils ne seront pas non plus impliqués dans la planification ou l’exécution
des opérations militaires du CNT ou dans la fourniture de toute autre forme de
conseil opérationnel militaire. »
Seuls ceux qui sont désespérément naïfs ou volontairement
aveugles peuvent croire de telles sottises évidentes. Les officiers militaires
britanniques ne sont pas l’Armée du salut. Leur métier est de planifier
et d’exécuter des missions de combat. Ils vont à Benghazi non pas pour
tenter de remédier à une crise humanitaire – il n’y en a pas dans
cette ville qui est bien pourvue en denrées alimentaires et en fournitures
médicales, et qui n’est pas attaquée militairement – mais pour
parer à l’incapacité militaire évidente des forces anti-Kadhafi qui ne
disposent ni de compétences techniques ni de discipline de combat.
Le régime Kadhafi a rejeté avec mépris la déclaration de
Hague. Le vice-ministre libyen des Affaires étrangères, Khaled Kaïm, a dit lors
d’une conférence de presse à Tripoli, « S’il y a un quelconque
déploiement de quelque personnel armé que ce soit sur le sol libyen, il y aura
des combats. Le gouvernement libyen ne considérera pas cela comme une mission
humanitaire, mais comme une mission militaire. »
La décision britannique pourrait bien être destinée à provoquer
une telle réaction. Au cas où les officiers britanniques seraient visés par les
tirs des troupes de Kadhafi, l’OTAN est susceptible de s’en servir
comme d'un casus belli (cas de guerre) pour justifier le déploiement de
forces terrestres au nom de la « légitime défense » pour la mission
« humanitaire. »
L’annonce par Hague du déploiement d’officiers
britanniques à Benghazi a suscité un débat dans la presse capitaliste
britannique sur la logique de l’escalade.
L’ancien ministre britannique des Affaires
étrangères, David Owen, à présent pair libéral, a, en écrivant dans le Times
de Londres, réclamé publiquement la création de « zones sûres »
selon le modèle d’interventions impérialistes précédentes en Bosnie et
dans la région kurde de l’Irak, à commencer par une zone
d’exclusion autour de Misrata. « Tout comme Benghazi a été sauvé en
l’espace de quelques heures, Misrata doit l’être aussi, »
a-t-il écrit. « Nous ne disposons probablement que de
quelques jours. »
En écrivant dans le Guardian, le chroniqueur Simon
Tisdall a fait remarquer, « En suggérant que Benghazi, sur le point
d’être détruit le mois dernier par les forces de Kadhafi, aurait été un
nouveau Srebenica sans l’intervention, les alliés doivent à présent,
logiquement, proposer le même niveau de protection à Misrata et dans
d’autres villes. Ceci ne pourra être obtenu que par une intervention sur
le terrain.
Dans une déclaration citée par la presse britannique, Lord
Dannatt, ancien chef d’état major des armées britanniques, a décrit
l’envoi de conseillers militaires comme étant « une nouvelle
démarche entièrement logique pour atteindre des objectifs légitimes. » En
réfutant les critiques de certains députés britanniques à l’encontre de
la décision, il a ajouté, « Certains diront toujours ‘dérive de
mission’, mais [la Grande-Bretagne devrait] interpréter le mandat de
l’ONU de façon large pour éviter un effondrement de la mission. »
Eviter « l’effondrement de la mission »
est le motif principal de l’intensification du bombardement de la Libye,
qu’ont accepté vendredi dernier à Berlin les ministres des Affaires
étrangères de l’OTAN. Selon des rapports de presse, des commandants de
l’OTAN ont révélé que le bombardement était élargi. Il ne s'agit plus
uniquement des cibles militaires ouvertes tels les chars et l’artillerie,
mais on inclut à présent les systèmes de communication et même les échanges
téléphoniques, au nom de la frappe contre des installations « de commande
et de contrôle. »
Dans cette logique, toute installation qui pourrait être
utilisée à des fins de communication entre le gouvernement libyen à Tripoli et
ses forces armées n’importe où dans le pays est la cible de bombes et de
missiles.
Les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN ont
entendu l’appel en faveur d’avions de combat supplémentaires pour
compléter ceux mobilisés par la France, la Grande-Bretagne, le Canada, le
Danemark, la Norvège et la Belgique, les six pays engagés dans la guerre
aérienne en Libye. Les responsables de l’OTAN ont dit à la presse que la
France a pris la relève en fournissant des avions de combat supplémentaires, en
rapprochant le porte-avions Charles de Gaulle de la côte libyenne et en plaçant
ses avions sous le commandement de l’OTAN.
La Grande-Bretagne a renforcé son rôle dans la guerre
aérienne avec le sous-marin nucléaire HMS Triumph qui a tiré lundi et mardi des
missiles de croisière sur des cibles libyennes. La Grande-Bretagne a aussi
fourni du matériel de guerre aux forces anti-Kadhafi, dont 1.000 gilets
pare-balles et 100 téléphones par satellite.
Le ministre italien des Affaires étrangères, Franco
Frattini, a dit que l’OTAN envisagerait aussi d'envoyer de
l’équipement technique tels des radars et des appareils
d’interception des communications.
Dans une interview accordée mardi à Al Jazeera (en
anglais), la chef de la politique étrangère de l’Union européenne,
Catherine Ashton, a confirmé que l’UE avait officiellement proposé de
dépêcher 1.000 soldats à Misrata, la troisième plus grande ville de la Libye,
qui est détenue par l’opposition mais qui est assiégée par les troupes de
Kadhafi. Elle a dit qu'il fallait juste une demande des représentants des
Nations-Unies responsables des opérations de secours à Misrata.
Ce n'est pas la même chose qu'un nouveau mandat du Conseil
de sécurité de l’ONU où la Russie et la Chine n’autoriseraient
vraisemblablement pas le déploiement de troupes terrestres de L’OTAN en
Libye. Un conseiller du gouvernement russe, Azhdar Kurtov, de l’Institut
russe de la recherche stratégique, a accusé la France d’intensifier la
guerre parce qu’elle n’a pas réussi à évincer Kadhafi.
« Kadhafi reste fermement au pouvoir, » a-t-il
dit. « Le coût des opérations augmente chaque jour qui passe et ceci
pousse Paris à recourir à d’autres méthodes pour mener la guerre
anti-Kadhafi. »
Le général de brigade Mark van Uhm, chef des opérations
interalliées de l’OTAN, a dit que les frappes aériennes avaient détruit
plus de 40 chars et nombre de véhicules blindés de transport de troupes
mobilisés par les forces pro-Kadhafi. Il a dit que plus de 30 pour cent des
forces de Kadhafi avaient été « éliminées », évaluation qui suggère
que le bombardement a tué des milliers sinon des dizaines de milliers de
soldats libyens et de membres de la milice – un bilan humain qui éclipse
même les affirmations les plus invraisemblables concernant le nombre de victimes
civiles provoquées par la guerre civile.