Le gouvernement conservateur libéral britannique du
premier ministre David Cameron et le gouvernement français du président Nicolas
Sarkozy envisagent de plus en plus d'envoyer des troupes au sol en Libye,
intensifiant ainsi la guerre néocoloniale menée contre le régime de Mouammar
Kadhafi.
Hier, lors d’une interview télévisée, Cameron a à
plusieurs reprises refusé d’exclure le lancement d’opération
impliquant des troupes au sol. « Ce que nous avons dit c’est
qu’il n’est pas question d’une invasion ou d’une
occupation, il n’est pas question que la Grande-Bretagne soit présente
sur le terrain, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, »
a-t-il déclaré.
Mais lorsqu’on a demandé au premier ministre
s’il excluait catégoriquement toute forme de présence sur le terrain, il
a répondu : « Ce que j’ai dit, c’est qu’il
n’y a pas de force d’occupation, pas d’invasion. La position n’a pas changé. »
Interrogé sur une possible opération
« temporaire » au sol, il a répondu : « J’ai répondu
à la question. Nous n’allons pas occuper [la Libye], nous n’allons
pas l’envahir. »
Les déclarations de Cameron préparent le
terrain à une intensification majeure de la guerre en Libye. L’ancien
dirigeant du parti Libéral démocrate britannique, Menzies Campbell, a dit au
journal The Guardian : « Les paroles du premier ministre
nécessitent une interprétation prudente. ‘Occupation’
n’implique pas nécessairement un grand nombre de troupes en Libye pour
une période de temps considérable. La réponse du premier ministre pourrait
impliquer une assistance militaire ou un soutien à un niveau bien inférieur,
destinés à encourager la détermination et à améliorer la qualité des efforts
des rebelles. »
Des forces spéciales britanniques opèrent déjà sur le
terrain en violation flagrante du droit international, aux côtés de personnel
de la CIA et d’autres agences de renseignement impérialistes. Se servant
à présent du prétexte de la crise humanitaire dans la ville de Misrata, le
gouvernement Cameron s’apprête à envoyer des troupes de combat.
L’objectif des puissances impérialistes alliées, dirigées par les
Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne est de renverser Kadhafi, est
d’installer un gouvernement fantoche reconnu par les principales sociétés
pétrolières occidentales et de se servir de la Libye comme d’une base
pour des opérations contre les mouvements révolutionnaires des travailleurs et
des jeunes en Tunisie et en Egypte voisines ou dans d’autres parties en
Afrique du Nord et au Moyen Orient.
Le premier ministre britannique a déclaré son intention de
respecter la Résolution 1973 de l’ONU, autorisant la soi-disant
« zone d’exclusion aérienne » tout en se plaignant en même
temps de son rejet explicite d’opérations terrestres. « C’est
parce que nous avons dit qu’il n’est pas question d’une
invasion ou d’une occupation [que] ceci rend les choses plus difficiles à
bien des égards, parce que nous ne pouvons pas déterminer intégralement
l’issue avec ce dont nous disposons, » a-t-il dit.
Axel Poniatowski, un membre influent de l’UMP, parti
au pouvoir du président Sarkozy, et président de la commission des Affaires
étrangères de l’Assemblée nationale, a été plus direct.
« L’usage exclusif de la force aérienne, imposée par la résolution
1973 des Nations unies, montre ses limites face à des cibles mobiles et
indiscernables, » a-t-il déclaré. « Sans information terrestre,
l’aviation de la coalition évolue en aveugle et multiplie les risques de
bavures. »
Poniatowski a exigé que les forces spéciales françaises
soient envoyées en Libye, une décision, a-t-il affirmé, qui ne violerait pas
« l’esprit » de la résolution 1973 de l’ONU.
L’Union européenne a prévu une armée de 1.000
soldats et a élaboré un « concept opérationnel » pour un déploiement
à Misrata, troisième ville de la Libye, située à 200 kilomètres de la capitale
Tripoli. La mission, intitulée EUFOR Libya, a son quartier général des
opérations en Italie, ancienne puissance coloniale de la Libye, et est sous les
ordres d’un contre-amiral italien.
Selon le Guardian, les forces armées « ne
joueraient pas un rôle de combat mais seraient autorisées à combattre si
elles-mêmes ou leurs services humanitaires étaient menacés. »
Cette disposition fondamentale du recours à la force
précipiterait rapidement les forces de l'UE dans des combats actifs contre les
troupes libyennes. Malgré toutes les déclarations publiées par les
gouvernements américain, français et britannique niant toute intention
d’occupation de la Libye, l’intervention impérialiste a une logique
qui lui est propre.
Les médias américains et européens ne cessent
d’intensifier leur campagne de propagande en ce qui concerne la situation
à Misrata. Tout comme la prétendue menace que les forces de Kadhafi étaient
engagées dans des meurtres de masse à Benghazi a été utilisée pour justifier la
première campagne de bombardement de l’OTAN, le conflit à Misrata sert à
présent de prétexte pour une invasion terrestre.
La situation des civils dans la ville est certainement
épouvantable mais les puissances américaines et européennes ont encouragé à
leurs propres fins des rapports fortement exagérés sur des crimes de guerre et
même de « génocide ». Le président américain Barack Obama, David
Cameron et Nicolas Sarkozy ont décrit la situation, dans un article de presse
conjoint publié la semaine passée, comme ressemblant à « un siège digne du
Moyen-âge. » Les médias ont aussi divulgué des rapports non confirmés
selon lesquels les forces de Kadhafi utilisaient des munitions à fragmentation.
A Misrata, ville de 600.000 habitants, quelque 300 civils
auraient été tués durant ces trois dernières semaines de combat. Le secrétaire
de l’ONU, Ban Ki-Moon a dit hier que le gouvernement de Kadhafi avait
promis « un accès sans encombre en Libye par la frontière tunisienne
jusqu’à Tripoli et qu’il assurerait un passage sûr aux travailleurs
humanitaires vers les zones contrôlées par le gouvernement de la Libye. »
Cette annonce n'arrêtera pas les préparatifs d’une
invasion terrestre. Les 27 Etats-membres de l’UE avaient décidé de
préparer la force EUFOR Libya au début du mois – avant
l’intensification des combats à Misrata – et ils attendent à
présent l’autorisation du Bureau de la coordination des affaires
humanitaires de l’ONU pour le déploiement. Le Guardian écrit:
« Avec l'aggravation de la situation en Libye, en particulier à Misrata,
les diplomates à Bruxelles disent que la pression s'accroît sur l’ONU
pour qu'elle autorise la force de l’UE. »
Apparemment, en réaction à cette pression, Ban Ki-moon a
exigé hier que les forces pro-Kadhafi cessent leurs opérations militaires mais
il n'a pas appelé les soi-disant forces « rebelles » à faire de même.
« Vu l’ampleur de cette crise, si les affrontements se poursuivent,
il est absolument nécessaire que les autorités libyennes cessent les combats et
cessent de tuer des gens, » a déclaré Ban lors d’une conférence de
presse à Budapest.
Cette déclaration pourrait annoncer une demande officielle
de l’ONU pour le déploiement d'une force militaire sur le terrain.
Des rivalités féroces entre les puissances impérialistes
apparaissent de plus en plus ouvertement. Le gouvernement français aurait
exercé « une forte pression » sur la chef de la politique étrangère
de l’UE, Catherine Ashton, pour obtenir une autorisation de l’ONU
pour EUFO Libya. Toutefois, les forces armées de l’UE sont en grande
partie composées de soldats allemands. Le gouvernement allemand d’Angela
Merkel s’était abstenu lors du vote de la résolution 1973 du Conseil de
sécurité mais a changé de position depuis – désireux de se garantir sa
part des réserves lucratives du pétrole de la Libye au cas où Kadhafi serait
évincé – et soutient l’éventuel déploiement de troupes au sol. La
crainte du gouvernement Sarkozy d’être devancé par Berlin a sans doute
précipité la demande de Poniatowski d’envoyer davantage de forces
spéciales françaises en Libye.
Le gouvernement russe qui s’était joint à
l’Allemagne en s’abstenant de voter la résolution 1973, continue à
exprimer ses craintes. Le représentant permanent russe auprès de l’OTAN,
Dmitri Rogozin, a mis en garde hier contre les violations américaines et
européennes de la résolution. « Nous disposons d’informations selon
lesquelles certains Etats européens agissent de plus en plus du côté des
rebelles libyens, » a-t-il dit. « Nous demandons un arrêt des
violations de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment de
sa clause imposant un embargo sur l’approvisionnement en armes dans la
zone de conflits… Personne n’a jamais réussi à éteindre un feu avec
du kérosène. »