Le Conseil national libyen, un groupe
installé à Benghazi et qui parle pour les forces rebelles qui combattent le
régime de Kadhafi, a sélectionné un collaborateur de longue date de la CIA pour
mener ses opérations militaires. La sélection de Khalifa Hifter, un ancien
colonel de l'armée libyenne, a été rapportée par McClatchy Newspapers jeudi et
le nouveau chef militaire a été interviewé par un correspondant de ABC News
dimanche soir.
L'arrivée de Hifter à Benghazi a été
rapportée en premier lieu par Al-Jazira le 14 mars, et elle a ensuite bénéficié
d'un portrait flatteur dans le tabloïde britannique proguerre Daily Mail,
le 19 mars. Le Daily Mail a décrit Hifter comme étant l'une des
« deux têtes d'affiche militaires de la révolution » qui « est
récemment revenu d'un exil aux États-Unis afin de donner aux forces rebelles au
sol une certaine cohérence tactique ». Le journal n'a pas fait référence à
ses liens avec la CIA.
McClatchy Newspapers a publié un portrait
de Hifter dimanche. Intitulé « Le nouveau chef des rebelles a passé la
majeure partie des vingt dernières années dans les banlieues de
Virginie », l'article montre qu'il a déjà été un haut commandant pour le
régime de Kadhafi, jusqu'à « une aventure militaire désastreuse au Tchad à
la fin des années 1980 ».
Hifter a par la suite passé à
l'opposition anti-Kadhafi, en émigrant finalement aux États-Unis, où il a vécu
jusqu'à il y a deux semaines, lorsqu'il est retourné en Libye pour prendre les
commandes à Benghazi.
Le portrait de McClatchy conclue :
« Depuis son arrivée aux États-Unis au début des années 1990, Hifter a
vécu dans les banlieues de la Virginie à l'extérieur de Washington DC ».
Le journal cite un ami qui « dit qu'il n'est pas sûr de ce que Hifter a
fait pour subvenir à ses besoins et que Hifter s'est surtout consacré à aider
sa famille nombreuse ».
Pour ceux qui savent lire entre les
lignes, ce portrait est une indication à peine voilée du rôle de Hifter en tant
qu'agent de la CIA. Comment un ancien haut commandant de l'armée libyenne
pourrait-il entrer aux États-Unis au début des années 1990, seulement quelques
années après les attentats de Lockerbie, pour ensuite s'installer près de la
capitale américaine, sinon avec la permission et l'aide active des agences de
renseignements américaines ? Pendant deux décennies, Hifter à vécu à
Vienna, en Virginie, à moins de dix kilomètres des quartiers généraux de la CIA
situés à Langley
L'agence connaissait très bien le travail
militaire et politique de Hifter. Un article du Washington Post du 26
mars 1996 décrit une rébellion armée contre Kadhafi en Libye et se sert d'une
autre orthographe pour épeler son nom. L'article cite des témoins de la
rébellion qui rapportent que « son chef est le colonel Khalifa Hifter, qui
provient d'un groupe semblable aux contras qui est installé aux États-Unis et
qui porte le nom d'armée nationale libyenne ».
Les contras, auxquels ils font référence,
sont des forces terroristes financées et armées par le gouvernement américain
dans les années 1980 contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua. Le
scandale Iran-Contra, qui a secoué l'administration Reagan en 1986 et 1987,
impliquait la révélation des ventes illégales d'armes américaines à l'Iran, les
recettes servant à financer les contras malgré une interdiction du Congrès. Les
congressistes démocrates ont étouffé le scandale et se sont opposés aux appels
à la destitution de Reagan pour son appui financier aux activités clairement
illégales d'une cabale d'anciens agents des services de renseignement et de
conseillers de la Maison-Blanche.
Un livre publié par Le Monde diplomatique en 2001,
intitulé Manipulations africaines, retrace les liens avec la CIA encore
plus loin, remontant à 1987, rapportant que Hifter, alors colonel de l'armée de
Kadhafi, a été capturé lorsqu’il combattait au Tchad dans une rébellion
soutenue par la Lybie contre le gouvernement d'Hissène Habré, lui soutenu par
les États-Unis. Il est passé au Front national du Salut de la Libye (FNSL), le
principal groupe anti-Kadhafi, qui avait le soutien de la CIA américaine. Il a
organisé sa propre milice, qui opérait au Tchad jusqu'à ce que Habré soit
renversé par un rival appuyé par la France, Idriss Déby, en 1990.
Selon ce livre, « la force Haftar, créée et financée
par la CIA au Tchad, s'est volatilisée avec l'aide de la CIA peu après que le
gouvernement a été renversé par Idriss Déby ». Le livre cite également un
rapport du Congressional Research Service du 19 décembre 1996, qui mentionne
que le gouvernement américain fournissait une aide financière et militaire au
FNSL et qu'un certain nombre de membres du FNSL ont été mutés aux États-Unis.
Cette information est disponible à toute personne qui
effectue une recherche rapide sur Internet, mais elle n'a pas été mentionnée
par les médias de la grande entreprise aux États-Unis, sauf dans la dépêche du
McClatchy, qui évite toute référence à la CIA. Aucun des réseaux de télévision,
qui célèbrent activement les « combattants de la liberté » de l'est
de la Libye, n’a pris la peine de signaler que ces forces sont désormais
commandées par un collaborateur de longue date des services de renseignement
des États-Unis.
Les libéraux et fervents de « gauche » de
l'intervention américano-européenne en Libye n’en ont pas pris note non
plus. Ils sont trop occupés à acclamer l'administration Obama pour son approche
multilatérale et « consultative » de la guerre, supposément si
différente de l'approche unilatérale et de type « cowboy » de
l'administration Bush en Irak. Que le résultat soit le même : la mort et
la destruction dans la population, le piétinement de la souveraineté et de
l'indépendance d'un ancien pays colonial ne veulent rien dire pour ces
apologistes de l'impérialisme.
Le rôle d’Hifter, décrit avec justesse il y a 15 ans
comme le chef d'un « groupe semblable aux contras », démontre les
forces de classe réelle à l'œuvre dans la tragédie libyenne. Quelle que
soit la véritable opposition populaire qui a été exprimée dans la révolte
initiale contre la dictature corrompue de Kadhafi, la rébellion a été récupérée
par l'impérialisme.
L'intervention américaine et européenne en Libye ne vise
pas à apporter la « démocratie » et la « liberté », mais à
installer au pouvoir des laquais de la CIA qui dirigent tout aussi brutalement
que Kadhafi, tout en permettant aux puissances impérialistes de piller les
ressources pétrolières du pays et utiliser la Libye en tant que base
d'opérations contre les révoltes populaires qui prennent place à travers le
Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.