Le
30 juillet, trois jours avant la date de clôture des inscriptions fixée au 2
août, 23,5 pour cent seulement des 7,5 millions d'électeurs s'étaient inscrits
sur les listes électorales pour l'élection d'une Assemblée constituante qui se
tiendra le 23 octobre. Les autorités électorales qui avaient lancé la campagne
d'inscription sur les listes électorales le 11 juillet ont dû prolonger la date
limite fixée au 14 août.
Le
manque d'intérêt de la population pour l'élection d'une Assemblée constituante
est un verdict dévastateur des tentatives du gouvernement de transition
tunisien de se donner un vernis de légitimité pseudo-démocratique. Avec la
tranche d'âge des 41-51 ans formant la proportion la plus importante de ceux
qui s'inscrivent, les jeunes travailleurs, force motrice de la révolte qui a
contraint le président Zine El Abidine Ben Ali à s'enfuir en Arabie saoudite
le 14 janvier, préfèrent dans leur grande majorité ignorer cette élection.
C'est parce que ce gouvernement est largement vu comme la continuation de la
dictature de Ben Ali.
De
même, le procès par contumace du dictateur et de son épouse pour détournement
de fonds suscite peu d'intérêt. Les menaces de longues peines d'emprisonnement
et de lourdes amendes ne veulent rien dire car le gouvernement de transition ne
cherche aucunement à faire extrader d'Arabie saoudite Ben Ali et son épouse.
Les principaux éléments de la machine politique corrompue de Ben Ali ne sont
pas non plus révélés au grand jour.
Béatrice Hibou, directrice de recherche au Centre
d'études et de recherches internationales(CERI) de Paris qualifie le procès de « mascarade
pour montrer qu'on fait quelque chose ». Elle ajoute, « la Tunisie est dans un rapport de
forces entre le mouvement social et le
système qui veut continuer, débarrassé des formes
aggravées de prédation et de répression. Dans le gouvernement,
l'administration, la justice, ce sont en grande partie des gens de l'ancien
régime qui sont toujours en place.»
La correspondante tunisienne de Jeune Afrique,
Frida Dahmani a écrit que beaucoup voient « une contre-révolution en
marche. Ceux qui tenaient le haut du pavé le 14 janvier craignent qu'on ne leur
confisque leur révolution. » Elle cite la bloggueuse Lina Ben Mhenni: «Les
libertés reculent avec un retour de la violence policière et du silence dans
les médias. »
L'économiste
Mahmoud Ben Romdane du Parti ex-stalinien Ettajdid, qui travaillait avec le
régime de Ben Ali et qui est partie intégrante du gouvernement actuel, a
commenté avec suffisance: «Nous sommes parvenus à 'institutionnaliser' la
révolution. »
Dans le numéro du 7 juillet de Jeune Afrique,
Dahmani interviewe le profeseur Fahdel Moussa, doyen de la faculté de droit et
des sciences politiques et sociales de l'université de Tunis, qui rend les
luttes sociales actuelles responsables de la crise économique et sociale du
pays: «Cette évolution démocratique et politique ne s'est pas accompagnée d'un
développement économique et social en raison des revendications sociales.... La
première priorité, c'est le renforcement de l'ordre et de la sécurité, sans
quoi on ne peut pas organiser d'élections crédibles. »
Le 1er août, Al Jazeera citait Maria Cristina
Paciella, chercheuse à l'Institut des Affaires internationales: «Les Tunisiens
ne font pas confiance au système et cela peut les empêcher de
participer, » dit-elle, désignant les nombreux membres du précédent régime
qui sont toujours en capacité d'influencer l'élection.
Ceci
ne veut pas dire que l'opposition populaire a cessé. Les grèves et les
protestations sont incessantes étant donné qu'aucun des problèmes sociaux
sous-tendant la révolte contre Ben Ali n'a été résolu. En fait, ils se sont
aggravés. Le chômage est passé de 13 à 19 pour cent, les salaires sont toujours
bas, les conditions de travail fondées sur l'exploitation et il y a toujours
une pénurie de logements décents.
Une
grève des travailleurs des raffineries crée une pénurie de carburants. Jeudi
dernier, selon l'agence de presse tunisienne TAP, à Béja-Nord, des travailleurs
au chômage ont manifesté devant le bureau du gouverneur régional exigeant sa
démission du fait de son incapacité à trouver une solution pour le chômage.
Les
petits agriculteurs sont en colère du fait des bas prix que les acheteurs des
grandes entreprises leur donnent pour leurs produits, tandis que l'inflation
est officiellement estimée à 3,1 pour cent.
La
vacuité de la rhétorique pseudo-démocratique du gouvernement de transition se
manifeste dans les négociations acharnées du gouvernement de transition pour
attirer l'investissement des impérialistes français, américains et autres. Ils
ont à coeur de présenter la Tunisie comme un pays où les multinationales
peuvent faire de gros profits.
Les
17 et 18 mai derniers, le premier ministre intérimaire de Tunisie Beji Caid
Essebsi a fait une visite officielle à la France durant laquelle il s'est
entretenu avec le premier ministre François Fillon et le président Nicolas
Sarkozy avant le sommet du G8 les 26-27 mai, qui a promis une aide de 10 milliards
de dollars d'aide économique. Il s'agit d'un acompte pour la collaboration de
la Tunisie avec l'impérialisme dans l'étouffement des mouvements
révolutionnaires de par le monde arabe.
Prenant
la parole le 8 juin sur l'élection d'une Assemblée constituante, Essebsi a dit:
« Il est impérieusement nécessaire de rompre définitivement avec toutes
les formes de grèves et de protestations en prévision de l'organisation
d'élections démocratiques, libres et transparentes, le 23 octobre
prochain. » Il a ajouté que « la conjoncture économique et sociale
que connaît le pays ne tolère plus de telles perturbations notamment face à la
détérioration des principaux secteurs économiques. »
La
détermination de la bourgeoisie tunisienne à recourir aux méthodes antidémocratiques
les plus brutales pour défendre sa richesse parvient à peine à être dissimulée
par la campagne pour l'Assemblée constituante.
Quelque
100 partis politiques se présentent à l'élection. Le parti islamiste Eennadha
enregistre 14 pour cent d'intentions de vote dans les sondages, suivi par le
Pari démocrate progressiste (PDP), un parti des classes moyennes qui était
toléré par Ben Ali et qui enregistre 5 pour cent. Mais le plus gros contingent
d'électeurs est composé par les 70 pour cent d'« indécis. »
Le
Parti Ennadha aurait pris la direction de nombreux comités de défense de la
révolution qui se sont développés durant le soulèvement anti-Ben Ali, puisque
la plupart des partis soi-disant de gauche de la classe moyenne qui y
participaient, se sont laissés happer par le processus électoral de l'Assemblée
constituante. Au lieu de cela ils participent à un organe gouvernemental, la
Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la
réforme politique et de la transition démocratique.