Avec les forces du CNT tenant à présent Gharyan, ils sont aussi en mesure
de bloquer un oléoduc allant à Tripoli et de couper Tripoli des forces
pro-Kadhafi dans le Sud. Les forces du CNT basées à Misrata sont également
en train de progresser sur Tripoli venant de l’Est, attaquant la ville de
Zlitan.
Les avions de chasse de l’OTAN ont bombardé Tripoli vendredi tandis que
les responsables de l’OTAN soutiennent que leurs raids de jeudi ont détruit
quatre cibles militaires ainsi que des installations antiaériennes à
Tripoli.
Des correspondants de l’AFP et de l’AP à Tripoli ont fait état de pannes
d’électricité de plus en plus courantes et de coupures du service de
téléphonie mobile. Selon la chaîne TV d’actualités MSNBC, des familles
« fuient leurs maisons pour éviter une éventuelle attaque des rebelles sur
Tripoli. »
Le Comité international de la Croix-Rouge a mis en garde contre une
« rapide détérioration de la situation humaine, » alors que des responsables
à Genève de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)
commencent à se préparer à un exode massif de travailleurs immigrés de
Tripoli. Jusque-là, seuls quelque 600.000 étrangers sur un nombre estimé
entre 1,5 et 2,5 millions – en grande partie des travailleurs migrants
d’Asie ou d’Afrique attirés par la richesse relative de l’économie
pétrolière – ont quitté le pays. Nombre de ceux qui sont restés se sont
réfugiés dans la capitale pour échapper à la violence qui règne dans
d’autres parties de la Libye.
La porte-parole de l’IOM, Jemini Pandya, a fait état de projets visant à
évacuer des milliers de travailleurs égyptiens bloqués à Tripoli : « Nous
envisageons toutes les options qui nous sont offertes, mais se sera
probablement par voie maritime… Nous disposons d’un créneau très restreint
pour mener à bien cette opération en raison des combats. »
Des responsables occidentaux et du CNT font des déclarations visant
apparemment à terroriser la population de Tripoli pour qu’elle se rende. Le
dirigeant du CNT, Moustafa Abdel Jalil a dit que « l’étau était en train de
se resserrer » et qu’il prévoyait un « véritable bain de sang » à Tripoli
dont il rejette la faute sur la résistance continue de Kadhafi et de ses
partisans.
Le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a exhorté
la population de Tripoli à se soulever contre Kadhafi : « Nous espérons que
les habitants de Tripoli, qui malheureusement sont déjà en train de fuir,
comprendront que le régime a nui à son propre peuple et qu’ils rejoindront
le processus de changement politique en retirant toute marge de manœuvre au
régime de Kadhafi. »
Malgré les tentatives de Frattini de présenter l’OTAN comme étant motivée
par des inquiétudes concernant la population libyenne, les succès militaires
du CNT sont dus à une campagne de bombardement impitoyable menée par les
forces américaines et européennes contre la Libye.
Derek Flood, un analyste de la Jamestown Foundation, groupe de réflexion
américain qui se trouve à présent en Libye occidentale, a dit à CNN que les
forces du CNT étaient « tributaires de l’OTAN, » en ajoutant : « elles
n’opéreraient pas sans un affaiblissement préalable des cibles par l’OTAN. »
L’OTAN a effectué contre Zawiya des raids aériens durant plusieurs jours
avant que les rebelles puissent avancer, touchant une dizaine de fois des
« cibles clé », selon un porte-parole de l’OTAN, avant que le CNT ne
progresse sur Zawiya. Des avions de combat britanniques ont aussi coulé un
navire transportant des soldats libyens qui tentaient apparemment de fuir la
ville. Micah Zenko du Conseil des relations étrangères américain a dit à CNN
que l’OTAN coordonnait ses bombardements avec les forces du CNT grâce à un
réseau de soldats des Forces spéciales (« Special Forces ») et de
« militaires sous contrat » retraités de l’armée qui opéraient sur le sol
libyen.
Ces événements démasquent les affirmations fausses et hypocrites des
puissances occidentales selon lesquelles leur intervention militaire en
Libye a pour but de protéger des civils qui protestent contre le régime
Kadhafi. En fait, l’OTAN livre une guerre impérialiste qui est menée au
mépris de la vie des Libyens afin de mettre en place un régime droitier au
centre d’une région qui est ébranlée par des luttes de masse
révolutionnaires contre des dictatures soutenues par les Etats-Unis en
Egypte et en Tunisie.
Les grandes puissances tentent aussi apparemment de négocier le départ de
Kadhafi de la Libye. Lundi l’ancien premier ministre français, Dominique de
Villepin, a participé à des discussions entre des responsables du régime
Kadhafi et des représentants du CNT qui se sont tenues sur l’île tunisienne
de Djerba. Il a déclaré au quotidien français Le Parisien que les
pourparlers étaient « extrêmement difficiles » mais a refusé tout autre
commentaire, disant que ceci risquerait de compromettre les chances de
succès des discussions.
Le régime par lequel l’OTAN compte remplacer Kadhafi est d’un caractère
des plus droitiers et réactionnaires. Le CNT a rédigé à Benghazi une
« déclaration constitutionnelle » de 14 pages qui a été présentée à l’AFP.
Elle expose la fondation d’un gouvernement islamiste droitier en Libye. Elle
stipule, « La Libye est un Etat démocratique indépendant ou tous les
pouvoirs dépendent du peuple. Tripoli est la capitale, l’Islam est la
religion, la Charia Islamique est source principale de la législation. »
Le document aurait été rédigé par l’activiste islamique Mohammed Bousidra
qui a accordé le 5 août une interview au quotidien canadien Globe and
Mail. Le journal a rapporté que Bousidra « envisage de transformer les
mosquées en machine politique. Ceci fait de lui, de l’avis de beaucoup, la
figure qui détient le plus de pouvoir politique et le plus susceptible de
contrôler la direction du pays en cas de départ du dictateur. »
Bousidra a présenté sa vision d’un Etat fantoche islamique
fondamentaliste et pro-impérialiste en Libye. Il a assuré au Globe and
Mail qu’il « resterait favorable à l’Ouest et à ses gouvernements et
entreprises pétrolières. » La conclusion incontournable est que les 42
milliards de barils de pétrole de la Libye seront dénationalisés et saisis
par des firmes pétrolières occidentales.
Bousidra a aussi insisté pour dire que l’alcool et l’homosexualité
devraient devenir strictement illégaux en Libye ainsi que « l’éloge de toute
religion autre que l’Islam. »
Le Globe and Mail a expliqué, « le réseau de M. Bousidra est
extraordinaire : il inclut les Frères musulmans bannis de longue date ; la
Brigade des Martyrs du 17 Février qui est la force combattante la plus
importante parmi les armées rebelles et qui est dirigée par l’influent
religieux Ismail al-Sallabi ; le religieux qui est encore plus populaire, le
frère de M. Sallabi qui est basé à Doha [au Qatar], l’émir Ali Sallabi ; et
une demi-douzaine d’autres Imams bien connus en Libye dont d’anciens membres
plus modérés du Groupe islamique des combattants libyens, banni de longue
date. L’entourage de M. Bousidra est opposé à l’Islamisme extrême d’Al Qaïda
et d’autres groupes radicaux.
La distinction que le Globe and Mail fait entre les membres du
Groupe islamique des Combattants libyens (LIFG) et Al Qaïda est, toutefois,
en grande partie imaginaire. Le LIFG a été fondé dans les années 1980 par
des vétérans libyens de la guerre russo-afghane et il partage donc des liens
historiques avec Al Qaïda. Al Qaïda est issu de Maktab al Khidama (MAK), le
groupe qui a supervisé le recrutement international, le financement et le
réapprovisionnement en volontaires musulmans pour cette guerre.
Le gouvernement américain, quant à lui, affirme ouvertement que les deux
groupes travaillent étroitement ensemble. Dans son annonce offrant une
récompense d’un million de dollars pour la capture du membre du LIFG, Atiyah
Abd al-Rahman, (« $1
million reward for the capture of LIFG member Atiyah Abd al-Rahman »),
le programme Récompense pour la Justice américain prétend qu’al-Rahman
« recrute et facilite l’obtention d’entretiens avec d’autres groupes
islamiques pour opérer sous Al Qaïdai. Il est aussi membre du Groupe
islamique des Combattants libyens et d’Ansar al-Sunna. Atiyah maintient des
contacts réguliers avec des responsables de haut rang d’Al Qaïda. »
La collaboration entre des groupes islamistes d’extrême droite et les
pays de l’OTAN démasque davantage encore le cynisme de la « guerre contre le
terrorisme » menée par les Etats-Unis et les puissances européennes. Tout en
citant Al Qaïda comme étant le mal absolu qui justifie la guerre et des
attaques brutales contre les droits démocratiques, ils sont capables de
collaborer avec des forces identiques lorsque cela va dans le sens de leurs
intérêts impérialistes.
(Article original paru le 20 août 2011)