Entre un et trois millions
de personnes, selon respectivement les chiffres de la police et ceux
des syndicats, ont défilé jeudi dans 232 villes de
France contre les coupes imposées sur les retraites par le
président Nicolas Sarkozy.
Ces coupes vont allonger
de deux ans l'âge légal de départ à la
retraite qui passera de 60 à 62 ans, et faire passer de 65 à
67 ans l'âge auquel les retraités peuvent prétendre
à leur retraite sans se voir infliger une décote.
C'était la deuxième mobilisation de masse sur cette
question en l'espace d'un mois.
Selon
les estimations du journal La Croix,
la « réforme » permettra au
gouvernement de reprendre chaque année quatre milliards
d'euros à la classe ouvrière.
Les deux journées
d'action de ce mois de septembre ont été, à ce
jour, les plus suivies contre les coupes sur les retraites imposées
par Sarkozy, dépassant de 40 pour cent la dernière
mobilisation record du mois de juin. Jeudi, selon les syndicats, 55
pour cent des enseignants du primaire et 45 pour cent de ceux du
secondaire ont fait grève, ainsi que 50 pour cent des
cheminots. Selon les chiffres officiels, 20 pour cent des cinq
millions de fonctionnaires français étaient en grève
dans les hôpitaux, les collectivités territoriales,
l'éducation et autres secteurs gouvernementaux.
Les
manifestations reflétaient l'opposition à la politique
de Sarkozy. Des sondages ont enregistré 68 pour cent de
soutien pour les manifestations dans la population globale, et 80
pour cent chez les 18-24 ans. Le quotidien Libération
mentionnait un sondage révélant que 45 pour cent des
Français étaient « révoltés »
par la situation économique et sociale du gouvernement, avec
seulement 18 pour cent disant avoir « confiance »
dans la situation actuelle et 29 pour cent seulement disant soutenir
Sarkozy.
La colère monte non
seulement contre les mesures d'austérité de Sarkozy,
mais aussi contre sa politique de persécution des musulmans
et des Roms.
Selon les syndicats,
300.000 personnes ont défilé à Paris et 220.000
à Marseille. Il y avait aussi des centaines de manifestations
dans des villes plus petites, dont 35.000 à Nice dans le sud
de la France et 10.000 dans le nord, à Amiens.
Manifestation parisienne
Cette journée
d'action, comme les précédentes, avait été
appelée par la CGT (Confédération générale
du travail, liée aux staliniens) et la CFDT (Confédération
française démocratique du travail, liée au
Parti socialiste.) Elle était soutenue par le Parti
socialiste, le Parti communiste, les Verts et le Nouveau parti
anticapitaliste ainsi que d'autres soi-disant partis
« d'extrême-gauche » et même par
les partisans de l'ancien premier ministre gaulliste dissident
Dominique de Villepin.
La journée d'action
était néanmoins appelée sur la perspective
discréditée consistant à faire pression sur le
sénat, dominé par les conservateurs, afin qu'ils
modifient la réforme votée au parlement le 15
septembre. Les débats sur la loi ont commencé au
sénat et le vote aura lieu à la mi-octobre.
Il existe un fossé
béant entre le désir de lutter de la classe ouvrière
et la politique traitresse des fédérations syndicales
et de leurs soutiens politiques.
Malgré
les très nombreuses fermetures d'écoles primaires, il
n'y a pas eu de tentatives sérieuses de la part des syndicats
de bloquer les services publics et les opérations
gouvernementales. Libération
a écrit : « Le
gouvernement ne bougera pas (ou alors à la marge) puisqu’il
a fait du report de l’âge légal à 62 ans
et de la retraite sans décote à 67 ans, une
question de principe. Les syndicats le savent bien, et c’est
en partie pour cela qu’ils n’ont pas voulu s’aventurer
sur le sentier risqué de la grève reconductible. Un
ministre régalien le confirme : “Si la CGT
avait voulu bloquer les transports, elle en avait les moyens. Mais
elle a un pacte tacite avec l’Elysée car elle a compris
que le Président ne reculerait pas." »
A
Paris, les reporters du World
Socialist Web Site ont vu des
pancartes faites à la main exprimant des positions bien plus
radicales que les banderoles officielles des syndicats, par exemple
« Voleurs de démocratie ! »
« Réclamons tous la déchéance de
nationalité », « A la retraite, Sarkozy
raciste » « Femme et mère :
condamnée aux travaux forcés jusqu'à 67ans. »
Une infirmière, a
dit, « Je ne pense pas qu'il y ait de différence
entre la gauche et la droite en France. A mon avis, c'est la même
chose. On doit rompre avec eux pour trouver la base commune pour
tous. »
Le WSWS a parlé à
Hasan un électricien ayant 40 ans d'expérience qui a
dit que c'était la première fois qu'il participait à
une journée d'action contre la politique de Sarkozy.
« Je suis venu
du Maroc en 1971, » a-t-il dit. « J'avais 19
ans et j'étais à l'école. »
Il a fait remarquer que
les patrons français ne voulaient que les travailleurs les
plus costauds : « Pour l'interview, ils nous ont
emmenés dans un garage et nous ont dit de nous mettre tout nu
et ils nous ont observés. Ils ont renvoyé plein de
gens. Après ça, on a pris un train pour la France ;
on a traversé l'Espagne. J'avais 19 ans et j'étais
jeune, alors je pensais que la France, c'était le paradis et
la liberté. »
Il a ajouté qu'au
Maroc, « on pensait que les gens en France avaient de
belles voitures et de belles chemises et que toute la vie ici c'est
comme ça. C'est une image fausse. »
Il a raconté son
arrivée en France : « On était
vraiment des étrangers. En 1971, il n'y avait pas beaucoup de
gens d'Afrique du Nord. Et puis on a aussi vu de vrais racistes. On
nous faisait des remarques méchantes. Le patron du café
nous a dit qu'il ne servait pas les Arabes. Notre patron qui était
Italien l'a forcé à nous servir le café. »
Manifestation de Nice
Il a expliqué que
ses patrons étaient étaient bien contents quand, jeune
homme, il faisait le plus d'heures dans l'entreprise, mais que
récemment, maintenant qu'il vieillissait, ils se montraient
plus exigeants. Il a dit espérer que les coupes sur les
retraites ne passeraient pas.
Il a dit de la politique
anti-Roms et anti-burqa de Sarkozy : «C'est pourri. Il
cache sa politique. Avec le Front national au moins on sait à
qui on a affaire. Mais Sarkozy veut toujours plus. »
A
Marseille le WSWS a parlé avec Jean-François, 42 ans,
qui travaille au CNRS : « Je
ne ressens pas immédiatement la crise, mais ce qui change,
c’est l’absence de politique. »
« Il
y a une dégradation de la société on ne tient
plus compte du bien-être, on supprime des emplois dans la
fonction publique. Il y a un lien entre la campagne
anti-immigrés et la politique de rigueur : oui on dit
que ce sont des « salauds de pauvres » et on
s’en prend à eux au lieu de se poser la question sur le
système qui est aujourd’hui à bout de souffle,
on ne parle pas des autres problèmes. »
Il a ajouté qu'avec
des gens comme Dominique Strauss-Kahn se présentant à
l'élection présidentielle, il pouvait facilement
imaginer un gouvernement du Parti socialiste utilisant l'armée
contre les travailleurs en grève, comme en Grèce et en
Espagne.
Germain,
élagueur, a dit « Oui,
je pense que l’on doit tous s’unir au-delà des
frontières, il faut faire la révolution, des sous, il
y en a et on nous demande de travailler de plus en plus. »
« Je
ressens les effets de la rigueur, on nous enlève de plus en
plus de liberté en particulier dans les grandes villes comme
Paris, Lyon et Marseille, il y a des flics de partout. j’ai
l’impression que l’on revient aux temps des rois. »
Une partie de la manifestation d'Amiens
A Amiens, Thibault,
Jordan, Jérémy, Yohan et Rafaël, lycéens
de la Hotoie faisaient grève. Ils ont parlé de leur
crainte du chômage. Lorsqu'on leur a demandé comment
ils envisageaient leur avenir, l'un d'entre eux a répondu :
« Travailler plus longtemps pour rien gagner. »