La tentative de la commissaire de l’Union
européenne, Viviane Reding, de rendre le gouvernement français responsable de
ses déportations de masse de Roms s'est arrêtée net après seulement quelques
heures.
Après que le dirigeant de la Commission européenne, José
Manuel Barroso et un certain nombre de chefs d’Etat ont critiqué son
choix de mots, Reding s’est excusée d'avoir dressé un parallèle avec les
déportations effectuées par les nazis. Le président français, Nicolas Sarkozy, a
rejeté avec indignation les accusations faites par Reding en soulignant que son
gouvernement ne céderait pas sur sa politique de déportation. L’attitude
de Sarkozy a immédiatement bénéficié du soutien du chef du gouvernement
italien, Silvio Berlusconi.
Lors du sommet européen de jeudi, Sarkozy s’en est
alors vivement pris à Barroso, incident que la plupart des observateurs ont
considéré être un nouvel affaiblissement de la Commission par les Etats membres
les plus puissants. A présent, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement ont
accepté de discuter, lors de leur prochaine réunion, « d’une
stratégie à long terme pour résoudre le problème. »
C’est pourquoi, il y a fort à craindre que le
conflit au sujet des Roms ne soit que le point de départ de la suppression de
l’une des rares libertés octroyées jusque-là par l’Union européenne
aux travailleurs – la libre circulation, le droit de vivre et de
travailler dans n’importe quel pays membre de l’UE. Même avant que
n'éclate le conflit, le président de la Commission de l’UE Barroso avait
déclaré le 9 septembre au journal espagnol El Pais, « C’est
une erreur de dire que la libre circulation est absolue. »
Il semble que le nationalisme, ainsi que la xénophobie et
le racisme qui y sont associés, sont en train de progresser inlassablement à
travers l’Europe, nonobstant les réserves exprimées par les représentants
individuels de l’élite dirigeante comme Reding. Ce faisant, les droits
humains et les droits des citoyens sont sacrifiés. Pourquoi ?
Les attaques de Sarkozy contre les Roms ne sont pas
populaires. Sa cote dans les sondages est à son plus bas, comme c’est le
cas de son collègue italien Berlusconi. La campagne de Sarkozy contre une
infime minorité de Roms – sur les 65 millions d’habitants que compte
la France, à peine 15.000 Roms détiennent des passeports étrangers –
ainsi que sa discrimination des Musulmans représentent une tentative méprisable
de faire dévier les tensions sociales grandissantes vers des canaux racistes.
Jusque-là, Sarkozy n’a pas réussi. Des dizaines de
milliers sont descendus dans la rue pour protester contre les déportations des
Roms. Et à peine quelques jours plus tôt, trois millions de personnes ont
manifesté contre sa réforme des retraites.
Et pourtant, les efforts pour attiser le racisme et les
sentiments anti-musulmans se multiplient – et pas seulement en France. En
Hollande, au Danemark, en Suisse, en Autriche, en Italie, en Hongrie et dans
d’autres pays, des partis racistes sont en mesure, grâce au soutien de
partisans financiers bien nantis, d’exercer une influence considérable.
En Allemagne, la récente publication à grand renfort de battage médiatique du
livre de Thilo Sarrazin, a été utilisée pour attiser les préjugés racistes
contre les Musulmans.
En dernière analyse, cette vague de nationalisme et
d’obscénités racistes ne peuvent être expliquées par la position
personnelle de tel ou tel politicien réactionnaire. Cette tendance est bien
trop répandue pour cela. C’est la conséquence du déclin et de la
pourriture de la société capitaliste, d'où les vices du passé émergent et
croissent comme des vers.
L’accroissement de l’inégalité sociale –
l’accumulation de privilèges et de richesses d’une infime minorité
et la hausse considérable du chômage et de la pauvreté pour les masses –
n'est pas compatible avec des droits démocratiques et humains. La classe
dirigeante recourt à la xénophobie et au racisme comme un alcoolique à sa
bouteille – même si dans ses moments de sobriété il reconnaît que cela le
mène au désastre.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Léon Trotsky avait
expliqué de manière précise le lien entre la pourriture du capitalisme et
l’accroissement de l’antisémitisme dont il avait anticipé les
conséquences meurtrières :
« Le monde du capitalisme décadent
est surpeuplé… La période du dépérissement du commerce extérieur et du
déclin du commerce intérieur est en même temps la période de
l’intensification monstrueuse du chauvinisme et particulièrement de
l’antisémitisme. A l’époque de son ascension, le capitalisme a sorti
le peuple juif du ghetto pour l’utiliser comme instrument de son
expansion commerciale. Aujourd’hui, la société capitaliste en décrépitude
essaie de presser le peuple juif par tous ses pores : dix-sept millions
d’individus sur les deux milliards qui habitent la terre, c’est-à-dire
moins de un pour cent, ne peuvent plus trouver de place sur notre
planète ! Au milieu des vastes étendues de terres habitables et des
merveilles de la technique qui a conquis pour l’homme le ciel ainsi que
la terre, la bourgeoisie a réussi à faire de notre planète une abominable
prison. »
Aujourd’hui, la chasse aux sorcières contre les
Musulmans remplace l’antisémitisme (quoique, dans certains pays comme la
Hongrie, l’antisémitisme est également à l’ordre du jour). Les
travailleurs musulmans originaires de Turquie et du Maghreb ont été incités à
venir en Europe comme main-d’œuvre à l’époque du boom
économique. Aujourd’hui, ce sont les premiers à perdre leur emploi et à
être assujettis à l’exclusion voire même à être renvoyés chez eux.
La persécution des Roms, toutefois, est restée constante.
Après les Juifs, ils furent le groupe le plus important à être ciblé pour le
génocide nazi. Les nazis les définirent comme race inférieure en leur faisant
subir des stérilisations forcées, en les enfermant dans des « camps pour
tsiganes », en les soumettant au travail forcé et en les tuant
systématiquement dans les camps de concentration.
Environ un million de Sinti et de Roms vivaient en Europe
avant la Seconde guerre mondiale. Il n’a jamais été établi avec précision
le nombre de ceux d’entre eux qui furent tués. Des évaluations modestes
estiment qu’un quart d’entre eux fut tué par les nazis et leurs
alliés. D’autres évaluations avancent le chiffre de 500.000 victimes.
Le fait que les Roms sont une fois de plus devenus la
cible de la campagne raciste menée par Sarkozy et son gouvernement montre à
quel point les choses ont peu changé depuis. Même le crime le plus abominable
du vingtième siècle ne suffit pas à les dissuader de répandre leur poison
raciste.
La commissaire de l’Union européenne Reding a
qualifié la politique française de « honte ». Le terme est faible au
regard de ce qui est réellement en train de se produire. Et pourtant, elle a
été obligée de s’excuser sous la pression des gouvernements européens. Ceci
démontre que l’élite européenne n’a rien appris. Il n’existe
aucun soutien notable dans ses rangs en faveur des droits élémentaires du
citoyen et des droits humains dont la France fut jadis le berceau à travers sa
révolution.
L’Europe est une fois de plus en train d'être
transformée en cette « abominable prison » décrite par Trotsky, avec
toutes les horreurs qui y sont associées. Seule une offensive de la classe
ouvrière pour une Europe socialiste peut mettre fin à cette évolution fatale.