France: les dirigeants du Parti socialiste réclament une augmentation de
la répression d’Etat contre les jeunes et les travailleurs
Par Antoine Lerougetel
4 septembre 2010
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Les dirigeants du Parti socialiste ont réclamé une forte augmentation des
pouvoirs répressifs de l’Etat contre les travailleurs et les jeunes. C’est
la réaction du parti aux expulsions en masse de Roms par le président
Nicolas Sarkozy et à ses projets d’étendre les pouvoir d’annuler la
nationalité française d’immigrants naturalisés.
Depuis le discours prononcé par Sarkozy le 30 juillet à Grenoble lançant
cette campagne raciste, plus de 900 Roms roumains ont été déportés et bien
plus d’une centaine de leurs camps démantelés dans des conditions de grande
détresse.
Sarkozy a profité des émeutes provoquées par deux meurtres distincts par
la police d’un Rom et d’un jeune immigrant en juillet pour intensifier sa
politique islamophobe et anti-immigration dans le but de renforcer sa base
politique. Après une humiliante défaite pour l’UMP (Union pour un mouvement
populaire) au pouvoir lors des élections régionales et la confrontation à
une opposition de masse à sa politique d’austérité, la cote de confiance de
Sarkozy a chuté à 34 pour cent. Il est également affaibli par des scandales
de corruption et des allégations que lui et son parti on accepté un
financement politique illégal en échange d’abattements fiscaux dans
l’affaire Woerth/Bettencourt.
Le Parti socialiste a réagi à la controverse sur la politique de Sarkozy
par un nouveau virage à droite. A la fin de son université d’été à La
Rochelle, il a lancé des appels sécuritaires tout en les mêlant à des
critiques droitières atténuées de Sarkozy. Cette réaction souligne l’absence
de toute représentation significative au sein de l’establishment politique
français en faveur d’une défense des droits démocratiques.
La première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, a dit qu’en
matière de sécurité « la crédibilité a changé de camp ». Aubry, qui est
également maire de Lille, a ajouté, « Dans nos villes, nous sommes au
premier rang. Nous savons de quoi nous parlons. » Elle a annoncé qu’il y
aurait un débat sur la sécurité au sein du parti débouchant sur la
publication le 2 octobre d’un « pacte national » sur la question.
Un ténor du PS, François Rebsamen, sénateur-maire de Dijon, a dit
brièvement, « Le PS [Parti Socialiste] ce n’est pas la Ligue des Droits de
l’Homme ». Le Monde a commenté que les remarques de Rebsamen montraient que
le PS ne s’adonnait pas à la dénonciation morale de la politique de Sarkozy
mais plutôt à une critique de l’inefficacité de la politique actuelle.
De telles opinions sont largement répandues au sein de la direction du
PS. Lionel Jospin, le premier ministre socialiste (1997-2002) sous l’ancien
président gaulliste Jacques Chirac, s’est plaint dans le Monde du 23 août
que « le gouvernement n’augmente pas les moyens de lutte contre la
délinquance : il les réduit. Il a supprimé en trois ans neuf mille postes de
policiers et de gendarmes (alors que, sous mon gouvernement, outre les vingt
mille adjoints de sécurité, les effectifs des seuls policiers avaient
augmenté de plus de cinq mille). »
Ségolène Royal, rappelant sa politique durant sa campagne électorale en
tant que candidate présidentielle en 2007, où elle rivalisait avec Sarkozy
sur le plan sécuritaire, a réitéré son appel pour « la sécurité durable et
l’ordre juste » et pour que l’armée prenne en main les jeunes délinquants.
Le Parisien-Aujourd’hui en France reprend sa déclaration, « Au lieu de
fermer les régiments comme le gouvernement le fait actuellement, il faut
repenser l’utilisation de ces lieux d’éducation et d’encadrement pour
permettre aux jeunes de se remettre sur les rails. »
Dans une interview accordée à Libération le 27 août, elle a déclaré,
« C’est une faute de penser que le thème de la sécurité est de droite… la
sécurité fait partie de la question sociale, puisque ceux qui souffrent de
l’insécurité au quotidien – dans les quartiers, dans les transports, à
l’école – sont ceux qui souffrent de la précarité économique et sociale. »
Le PS cherche à faire appel à l’hostilité de masse contre la politique de
Sarkozy – dont les similitudes avec la politique du gouvernement pro-nazi de
Vichy durant la Deuxième guerre mondiale a été largement remarquée – tout en
mettant en avant leur propre remède sécuritaire. Les déportations de
milliers de Juifs vers les camps de la mort avaient été précédées de la
déchéance de la nationalité de 15.000 citoyens français naturalisés dont
7.000 Juifs. De nombreux opposants politiques au régime de Vichy, dont le
général Charles de Gaulle, furent également déchus de leur nationalité.
Certains critiques des projets de Sarkozy ont affirmé qu’il serait
impossible de légiférer sur la révocation de la nationalité des immigrants
délinquants naturalisés parce que cela allait à l’encontre de la
constitution française qui garantit le principe de l’égalité devant la loi
sans distinction d’origine et d’ethnie.
Toutefois, Eric Besson, le ministre de l’Immigration et de l’Identité
nationale, et ancien secrétaire national à l’économie du PS, a fermement
déclaré au Parisien qu’« il suffit de revenir à l’Etat de droit qui
prévalait jusqu’en 1998 : en clair, étaient passibles de déchéance de la
nationalité française toutes celles et tous ceux qui avaient commis des
crimes, passibles de plus de cinq ans de prison, et qui l’avaient fait dans
un délai de dix ans après l’acquisition de la nationalité. »
Dans une interview dans le Monde, Patrick Weil, un spécialiste reconnu
des questions liées à la constitution a noté, « La loi interdit depuis 1998
de créer des apatrides par la déchéance qui ne peut donc concerner que des
doubles nationaux. Si Nicolas Sarkozy revenait sur ce principe, ce serait
une inacceptable régression qui choquerait bien au-delà de nos frontières. »
Il a ajouté toutefois, « Rappelons que la France a signé, sans toutefois les
ratifier, deux conventions internationale, celle de 1961 qui lutte contre
l’apatridie et celle du Conseil de l’Europe de 1997 qui interdit de créer
l’apatridie par la déchéance. »
Le fait que le PS n’ait jamais ratifié ces conventions alors qu’il était
au pouvoir est un autre témoignage du caractère droitier de sa politique. En
effet, sa position droitière en matière sécuritaire le range parmi les
forces politiques de droite qui elles aussi pour des raisons d’ordre
tactique critiquent Sarkozy.
L’éditorial du Monde du 25 août en commentant les critiques envers
Sarkozy au sein de l’UMP a remarqué, « La rupture au sein de la droite
paraît consommée. » Il a noté qu’il y avait des raisons de former « une
sorte de ‘tout sauf Sarkozy’ qui dépasse les repères droite-gauche. »
Plusieurs personnalités de droite, dont les trois premiers ministres qui
avaient servi sous l’ancien président gaulliste Jacques Chirac se sont
distancés des propositions contenues dans le discours prononcé par Sarkozy à
Grenoble : Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin. Ils
ont critiqué les mesures de Sarkozy car elles rappellent trop clairement le
passé fasciste de la France et car elles sont trop nocives non seulement à
l’ordre social mais aussi à la place internationale de la France.
Dans un article d’opinion publié dans le Monde, Villepin a qualifié le
discours de Sarkozy à Grenoble de « tache de honte sur notre drapeau » et
d’une « indignité » pour « la patrie des droits de l’homme. » Il a aussi
exprimé sa crainte pour la gouvernance de la France parce que « la rupture
entre le sommet de l’Etat et la nation est en marche. » Il a appelé au
rassemblement des forces et à l’organisation d’une « alternative
républicaine. »
Le Pape et plusieurs dignitaires catholiques français ont aussi critiqué
Sarkozy, notamment au sujet des déportations des Roms et du démantèlement de
leurs camps.
Malgré ses critiques envers les mesures de Sarkozy, le PS ne mène pas de
lutte claire et nette contre les mesures de Sarkozy mais reflète les
ambitions politiques d’autres sections de la classe dirigeante qui sont
également engagées dans une politique droitière. Comme le remarquait Patrick
Weil dans son interview dans Le Monde, « La destitution du président de la
République existe aussi, mais nul ne l’instrumentalise pour demander le
départ de Nicolas Sarkozy. »
(Article original paru le 1er septembre 2010)