Par Louis Girard
8 septembre 2010
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Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2006, le gouvernement du
parti conservateur de Stephen Harper a fait de la défense des intérêts
capitalistes canadiens dans l’Arctique une priorité. La visite récente de
Harper dans cette région était la cinquième de son mandat.
L’élite dirigeante canadienne et les autres puissances qui
possèdent un territoire dans l’Arctique voient la fonte de ses glaces, liée
au réchauffement climatique, comme une occasion en or de faire d’immenses
profits. Dans les dernières années, la compétition pour le contrôle des
ressources lucratives de la région s’est accrue.
L’Arctique, qui recouvre 40 pour cent du territoire
canadien, possède d’immenses ressources énergétiques rendues de plus en plus
accessibles par la fonte des glaces. Il est évalué que l’Arctique possède
l’équivalent de 90 milliards de barils de pétrole et 25 pour cent des
réserves de pétrole et de gaz naturel qui n’ont pas encore été découvertes.
La fonte des glaces pourrait aussi permettre d’ouvrir une nouvelle route
maritime intercontinentale, le passage du Nord-Ouest, qui permettrait aux
compagnies d’économiser des sommes importantes dans le transport de leurs
marchandises et qui serait un atout géopolitique très important pour celui
qui la contrôlerait.
La visite de Harper en Arctique a été une occasion pour son
gouvernement de chercher un rapprochement avec les Etats-Unis afin de
promouvoir les intérêts canadiens dans l’Arctique en opposition aux
revendications russes sur la région.
C’est le message, déguisé en langage diplomatique, qu’on
retrouve dans l’Énoncé de la politique étrangère du Canada pour l’Arctique,
publié quelques jours avant le départ du premier ministre pour le Grand
Nord. Le gouvernement y annonce l’intention du Canada de « promouvoir une
région arctique stable et régie par des règles où les droits des États
souverains sont respectés conformément au droit international et aux
principes de démocratie. » Dans une remarque visant la Russie, l’Énoncé
identifie les Etats-Unis comme étant le « premier partenaire » du Canada
dans l’Arctique.
Deux raisons principales expliquent ces attitudes opposées
du Canada à l’égard de ces deux grandes puissances. Premièrement, on
s’attend à ce que le Canada et la Russie présentent des conclusions
conflictuelles à la Commission des limites du plateau continental des
Nations Unies en décembre 2013. Les différents Etats impliqués ont jusqu’à
cette date pour présenter un mémoire sur le territoire marin leur
appartenant. Selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer,
les Etats côtiers ont droit aux fonds marins qui sont le prolongement de
leur plateau continental jusqu’à concurrence de 200 miles marins. Ils
peuvent avoir plus seulement s’ils sont capables de prouver que leur plateau
continental s’étend au-delà de 200 miles marins. Le Canada et la Russie sont
présentement en train de cartographier les fonds marins arctiques afin de
revendiquer leur possession des fonds marins.
La deuxième raison, plus fondamentale, est que le Canada, en
tant que puissance de second ordre, s’est toujours vu contraint de bâtir des
alliances avec la grande puissance de l’époque, d’abord la Grande-Bretagne
puis les Etats-Unis, afin d’obtenir sa part dans le contrôle des ressources
et des marchés.
Étant donné que Washington a des conflits importants avec
Moscou même 20 ans après la Guerre froide, la classe dirigeante canadienne
voit dans son puissant voisin du sud, avec lequel elle entretient un
partenariat économique et géopolitique de longue date, un allié vital pour
l’aider à défendre ses intérêts dans l’Arctique dans le cadre d’une lutte
commune contre Moscou. Le Canada voit aussi dans le Danemark et d’autres
membres de l’OTAN, comme la Norvège, des alliés potentiels importants pour
défendre ses intérêts dans l’Arctique.
De manière générale, les médias de la grande entreprise, qui
jubilent devant les occasions de profit en Arctique, appuient cette
orientation. Dans un éditorial, le Globe and Mail décrit la nouvelle
politique du gouvernement comme « un mélange salutaire de pragmatisme et de
principe, qui offre un réel espoir d’une présence canadienne plus vigoureuse
en Arctique. »
Mais c’est une politique pleine de contradictions. On a beau
lire dans l’Énoncé que le Canada « ne prévoit pas de contestation militaire
dans l’Arctique », les immenses ressources en jeu poussent inévitablement
les grandes et moyennes puissances rivales – les Etats-Unis, la Russie, le
Canada, le Danemark, et la Norvège – à développer leurs présences militaires
dans cette région.
En fait, des conflits importants opposent déjà le Canada à
ceux qu’il considère comme des alliés. Les Etats-Unis n’ont jamais reconnu
le contrôle du Canada sur le passage du Nord-Ouest et sont en désaccord avec
lui sur la délimitation de la frontière dans la mer de Beaufort, une mer
riche en hydrocarbures. Un conflit oppose aussi le Canada au Danemark
concernant l’île de Hans, qui est stratégiquement située entre le Groenland
(une possession du Danemark) et le Canada et qui se trouve au milieu d’un
autre passage maritime potentiel, le détroit de Nares.
Un des buts importants de la visite de Harper en Arctique
était de promouvoir l’opération Nanook, une opération militaire annuelle
depuis 2007, qui est destinée à renforcer la souveraineté canadienne dans le
Grand-Nord. Pour la première fois, le Canada a invité les Etats-Unis et le
Danemark à se joindre à lui. Le Canada a envoyé environ 900 soldats pour
participer à l’opération. Ils sont accompagnés par environ 600 soldats
américains et danois. Harper a indiqué « qu'au fur et à mesure que croît
l'importance stratégique de l'Arctique canadien, l'opération Nanook est plus
précieuse que jamais. »
Ces exercices militaires sont manifestement dirigés contre
la Russie. Le Ministre de la Défense, Peter Mackay a récemment dit que la
Russie ne serait pas invitée dans de futurs exercices militaires. De plus,
au même moment que Harper faisait sa tournée en Arctique, lui et son
gouvernement ont encore fait des vagues à propos du fait que des avions
militaires russes se soient approchés de l’espace aérien canadien. Harper en
a profité pour justifier l’achat par son gouvernement, quelques semaines
plus tôt, de 65 nouveaux chasseurs furtifs, au coût de 16 milliards de
dollars canadiens.
Dans les dernières années, le gouvernement Harper s’est
régulièrement servi du vol d’avions militaires russes près du territoire
canadien pour pointer du doigt les ambitions de la Russie dans l’Arctique,
entrer dans les faveurs des Etats-Unis et générer un appui populaire pour la
militarisation de l’Arctique.
Or, même les analystes militaires canadiens reconnaissent
que les ambitions de la Russie dans l’Arctique sont à peu près les mêmes que
celles du Canada. Un article du Globe and Mail écrit par Murray
Brewster relate que lorsque ces analystes avaient étudié un premier document
émis par Moscou en 2008 concernant sa politique de l’Arctique, ils en
étaient venus à la conclusion que la stratégie du gouvernement russe était
« remarquablement similaire à la stratégie nordique du Canada », cette
stratégie étant d’appeler à la coopération avec les partenaires arctiques et
en même temps de faire leurs propres déploiements militaires dans cette
région.
De son côté, le Canada, dans les dernières années, a annoncé
des milliards de dollars de dépenses dans l’Arctique afin de développer sa
présence militaire et aussi de favoriser le développement économique. En
effet, si la classe dirigeante veut exploiter et contrôler les ressources
naturelles dans cette région aride et très peu peuplée, elle doit aussi
développer les infrastructures économiques. Cela lui sert d’une part à
favoriser le commerce et aussi à assurer un meilleur déploiement des forces
militaires.
Dans l’Énoncé, le Canada fait état de ses efforts pour
« faciliter les possibilités d’investissements et de commerce » dans cette
région, notamment par « l’amélioration du transport aérien et maritime qui
facilitera l’accès à travers les régions polaires ».
La dernière visite de Harper en Arctique a été une occasion
d’annoncer d’autres investissements dans cette région : entre autres, la
mise en place d’un centre d’entraînement des Forces canadiennes à Resolute
Bay, un des villages les plus nordiques du pays et la mise en place
d’installations de mouillage et de ravitaillement en eau profonde à
Nanisivik afin de soutenir la Marine canadienne. En plus d’avoir déjà acheté
des brise-glace de classe polaire, le gouvernement est en train de
développer sa propre capacité pour construire un brise-glace. Selon une note
d’information sur le site du premier ministre, ce serait « le plus grand et
le plus puissant que le Canada ait jamais possédé ». Dans les dernières
années, les autres puissances ont fait des investissements similaires en
Arctique.
Un autre projet important que Harper a annoncé est
l’investissement de près 500 millions de dollars pour le développement de
satellites Radarsat qui seront déployés en 2015. En parlant de ces
satellites, Harper a fait le lien entre les développements militaires dans
l’Arctique et d’autres aventures militaires canadiennes : « De l’Afghanistan
à l’Arctique, de la côte somalienne jusqu’aux plages de Nootka Sound [sur
l’île de Vancouver où l’armée canadienne a récemment pris le contrôle d’un
bateau chargé de réfugiés tamouls provenant du Sri Lanka], nous serons en
mesure de voir ce que les méchants sont capables de faire. »
Malgré ses manœuvres diplomatiques, l’élite dirigeante
canadienne sait très bien qu’elle devra continuer à développer sa présence
militaire dans l’Arctique pour défendre ses intérêts. John Ibbitson, dans un
article du Globe and Mail, reconnaît qu’avec la fonte des glaces en
Arctique, « les compagnies d’exploration de pétrole salivent » et les
conflits frontaliers doivent être réglés. Vu les immenses ressources en jeu,
il se doit d’admettre cependant que la diplomatie a ses limites et en vient
à la conclusion que le meilleur moyen de défendre les intérêts du Canada
dans l’Arctique est de développer et militariser cette région : « La
meilleure façon d’affirmer sa souveraineté est de se trouver à la place que
tu affirmes être à toi. »
Dans un autre article du Globe and Mail, Rob Huebert,
qui est directeur associé au Centre d’études militaires et stratégiques de
l’Université de Calgary, décrit les rapprochements militaires entre le
Canada, les Etats-Unis, le Danemark et la Norvège et en vient à cette
conclusion : « Pendant les 20 dernières années, aucun de ces quatre Etats
n’a senti le besoin d’entraîner leurs forces militaires dans le Grand Nord.
Pourtant, il y a maintenant un effort clair par les quatre pour avoir une
capacité beaucoup plus puissante et coordonnée dans cette région. Ils
peuvent bien dire à leurs citoyens que tout va bien dans l’Arctique, mais
leurs actions suggèrent que ce n’est pas ce qu’ils croient. Une nouvelle ère
de sécurité dans l’Arctique est en train d’émerger, peu importe que l’on
veuille l’admettre ou non. »