WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Le Sénat français a voté hier à 177 voix contre 153 pour entériner les coupures dans les retraites du président Nicolas Sarkozy au mépris d’une vaste opposition populaire et de grèves qui se poursuivent. Le gouvernement a également augmenté le recours à la police pour briser les grèves dans le secteur pétrolier, qui ont causé de fortes pénuries de carburant, en lançant un raid policier massif sur une raffinerie occupée à Grandpuits, près de Paris.
Les gendarmes sont arrivés à Grandpuits hier à trois heures du matin et ont « réquisitionné » les grévistes pour les forcer à se remettre au travail. A quatre heures trente, cinquante travailleurs grévistes ont rejoint leurs collègues à la raffinerie.
Aux environs de sept heures, un « cordon citoyen » de 80 personnes, comprenant des travailleurs d’autres usines et des habitants du quartier, s’est formé pour bloquer la réquisition. A neuf heures, les gendarmes ont chargé. Trois travailleurs ont été blessés dans la bousculade, selon la CGT (Confédération générale du travail).
Michel Guillot, préfet de Seine-et-Marne, est venu en personne pour réquisitionner tout le personnel de la raffinerie, au nom de la « défense nationale », et forcer les travailleurs à réalimenter les stations-service de la pétrolière Total dans la région.
Charles Foulard, un syndicaliste de CGT-Total, a dénoncé la police pour avoir empêché « l’exercice du droit de grève » et a souligné que la « défense nationale » ne s’appliquait pas du point de vue légal, la France n’étant pas en état de guerre ni de siège. Mais la CGT, qui est politiquement liée au Parti communiste français (PCF), a émis un communiqué promettant uniquement « des actions symboliques » contre le démantèlement de l’occupation de Grandpuits.
Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), a émis un bref communiqué, où il dit : « Pour défendre les salariés en grève, le droit de grève, je propose à l'ensemble des premiers responsables des partis politiques, des associations, des syndicats de réagir ensemble contre cette agression inadmissible à l'égard du monde du travail et de ses droits. »
C’est une manœuvre cynique. La CGT, le PS (Parti socialiste) et les autres organisations ont clairement indiqué qu’ils n’avaient aucune intention de riposter sérieusement à la répression policière. La déclaration de Besancenot s’inscrit dans la ligne défendue par le NPA, à savoir : semer des illusions dans la CGT et le PS; et encourager la vaine notion que la contestation sera suffisante en soi pour changer la politique du gouvernement Sarkozy et de la classe dirigeante en son ensemble.
Sarkozy a mis un terme aux débats sur le projet de loi en utilisant le pouvoir accordé au gouvernement par l’article 44-3 de la Constitution, qui lui permet de contourner le processus d’amendements et de forcer la lecture du projet de loi devant le Sénat, suivie d’un vote. Des dizaines de cars de police entouraient le Sénat pendant le vote.
Le parti UMP (Union pour un mouvement populaire) au pouvoir et l’Union centriste, une faction du Sénat contrôlée par le MoDem (Mouvement démocrate) droitier de François Bayrou, ont voté en faveur du projet de loi. Les sénateurs du PS bourgeois « de gauche » et du PCF ont voté contre.
Une Commission mixte paritaire (CMP), formée de sept sénateurs et de sept députés de l’Assemblée nationale, va maintenant travailler à réconcilier la version de la loi votée hier avec celle votée par l’Assemblée nationale en septembre. Une fois que la CMP aura achevé son travail, un vote final aura lieu aux deux chambres du Parlement. Il est prévu le 27 octobre.
Telle que votée par le Sénat, la loi augmente à 62 ans l’âge minimal de la retraite et à 67 ans l’âge minimal pour avoir droit à une pension à taux plein. Elle augmente la période minimale de cotisation de 40,5 à 41 ans, et permet de nouvelles hausses si l’espérance de vie continue de croître.
La loi augmente le taux de cotisation des travailleurs du secteur public de 7,85 à 10,55 pour cent du salaire, le niveau actuellement en vigueur dans le secteur privé. Elle permet aux travailleurs souffrant d’un « taux d'incapacité physique » égal ou supérieur à 20 pour cent de partir à la retraite, mais seulement à 60 ans et s’ils peuvent prouver que cette incapacité est reliée au travail.
Dans une concession aux demandes pro libre-marché de l’Union centriste, les sénateurs UMP ont ajouté une clause visant à examiner un système de retraite « par points » en 2013. Selon un tel projet, le gouvernement serait autorisé à fixer la valeur de chaque point gagné par un travailleur durant sa vie active, faisant baisser la valeur des points, et donc les pensions des travailleurs, si l’espérance de vie augmentait. Cela permettrait au gouvernement d’imposer des coupes majeures de manière arbitraire.
La première secrétaire du PS Martine Aubry a condamné les actions du gouvernement comme étant un « coup de force permanent », accusant Sarkozy de « méprise[r] le Sénat et la démocratie ».
En fait, cette description s’applique tout autant au PS qu’à Sarkozy. Bien qu’ayant fait campagne pour laisser formellement l’âge de la retraite à 60 ans, le PS soutient des clauses de la « réforme » qui forceraient en pratique les gens à travailler plus longtemps avant d’avoir droit à une pension.
Aubry a déclaré la semaine passée sur la chaîne de télévision France 2 qu’elle approuvait l’allongement de la période de cotisation de 41,5 à 42 ans, et le PS a voté en faveur des clauses de l’actuel projet de loi qui allongent la période de cotisation. Et une vive querelle a éclaté au sein du PS après qu’un de ses porte-parole, Benoît Hamon, a déclaré qu’ « on préfèrerait » une situation où les travailleurs cotiseraient au plan public de pension pendant seulement 40 ans.
Dans une entrevue à France Inter, Manuel Valls, un haut dirigeant du Parti socialiste, a condamné la direction du parti pour avoir émis certaines critiques du projet de loi de Sarkozy sur les retraites. Il a qualifié l’allongement de la durée de cotisation d’ « inévitable » et a déclaré : « Il y a un langage de gauche qui consiste à croire qu'être de gauche c'est uniquement aligner des slogans, porter des idées des années 70, 80, 90 ». Et il a ajouté : « Si nous gagnons [la prochaine élection présidentielle] en 2012, il faudra le faire avec un langage de vérité. »
Le gouvernement veut à tout prix mettre fin aux grèves du secteur pétrolier qui ont eu un effet paralysant. Le ministre de l’écologie et de l’énergie Jean-Louis Borloo a déclaré hier qu’environ 2500 des 12300 stations-services de France sont encore complètement à sec. Il a dit qu’il y aurait seulement une « lente amélioration ». Mais il a souligné que le raid policier sur Grandpuits « va très sensiblement améliorer la situation » dans la région métropolitaine de Paris, tout en écartant tout rationnement de l’essence.
La classe dirigeante mobilise des soutiens de partout en Europe. Jean-Louis Schilansky de l’UFIP (Union française des industries pétrolières) a fait savoir que des « quantités importantes de carburants » avaient « été importées pour pallier l’arrêt des raffineries ». Et il a ajouté : « Les importations viennent de l'Europe entière, c'est tout le système européen que nous mobilisons pour approvisionner le marché français. »
Dans une nouvelle attaque sur les travailleurs du secteur pétrolier, un juge a approuvé hier les projets de la compagnie pétrolière Total visant à fermer sa raffinerie de Dunkirk.
Le vote du Sénat et les assauts policiers sur des grévistes montrent une fois de plus qu’en lançant des grèves de masse contre les coupes de Sarkozy, les travailleurs et les étudiants sont confrontés à une lutte politique contre le gouvernement et toute la classe dirigeante. Cette lutte ne peut être victorieuse que si elle est menée indépendamment des syndicats et des partis soi-disant « de gauche ». Les premiers s’efforcent d’affaiblir et d’arrêter le mouvement de grève et les seconds veulent avant tout que les grèves et la contestation n’échappent pas au contrôle des syndicats.
Les syndicats ont montré leur désir d’étouffer le mouvement en refusant d’organiser la moindre action pour défendre les travailleurs pétroliers contre les assauts policiers ou répondre à de tels assauts par un élargissement de la grève à d’autres secteurs de l’économie. Leur principale revendication dès le début a été que le gouvernement négocie avec eux les coupes dans les retraites, au lieu d’un rejet clair et principiel des coupes.
Il ne fait aucun doute que Sarkozy a consulté les leaders syndicaux dans les coulisses, y compris le chef de la CGT, Bernard Thibault, et que les chefs syndicaux ont fourni des garanties qu’ils ne répondraient pas à une escalade des assauts policiers contre les travailleurs pétroliers en grève.
Les syndicats sont devenus la ligne critique de défense de Sarkozy et de la classe dirigeante française, dans un contexte où les travailleurs s’efforcent d’étendre la lutte en direction d’une grève générale, des milliers de lycéens et d’étudiants se mobilisent derrière eux, la population appuie largement les grèves, et Sarkozy est haï et honni par une grande majorité du peuple français.
Un sondage BVA-Canal+ publié hier a révélé que 69 pour cent de la population appuie la poursuite des grèves contre les coupes, malgré le vote du Sénat. Des sondages précédents avaient indiqué que six Français sur dix appuyaient les appels à la grève générale contre la politique de Sarkozy. Au cours des dernières semaines, des manifestations contre les coupes ont régulièrement rassemblé plus de trois millions de manifestants, et des lycéens et des étudiants ont bloqué leurs institutions en guise de protestation.
Mais en faisant savoir jeudi qu’elle attendrait jusqu’au 28 octobre (le lendemain du vote final de la loi) avant de lancer de nouvelles actions, l’alliance intersyndicale a donné le feu vert au gouvernement pour qu’il passe à l’offensive contre les grévistes entretemps. Sarkozy va chercher à briser les grèves et à étouffer les protestations des lycéens et des étudiants, en souhaitant que ces derniers ne manifestent pas la semaine prochaine pendant les vacances scolaires de la Toussaint.
Ces événements soulignent l’importance politique de l’appel lancé par le World Socialist Web Site aux travailleurs pour qu’ils forment des comités d’action, indépendants des syndicats et des partis « de gauche ». Ces comités, en tant qu’organes véritablement démocratiques de lutte, mèneraient la lutte pour une grève générale avec comme objectif le renversement du gouvernement Sarkozy et son remplacement par un gouvernement ouvrier.
Cette perspective d’une action politique et militante de masse et indépendante de la classe ouvrière est diamétralement opposée à celle du PCF stalinien et des organisations de la classe moyenne supposément « de gauche », tel que le NPA, qui cherchent à torpiller la résistance de la classe ouvrière et à la détourner derrière l’élection en 2012 d’un autre gouvernement réactionnaire du Parti socialiste.
L’aspect le plus critique de la situation est l’absence d’une direction politique indépendante dans la classe ouvrière. Des dizaines de millions de travailleurs veulent répondre aux scènes de violence policière contre les grévistes par une grève générale, et s’opposent à la loi sauvage votée par le Parlement au mépris de la volonté populaire. La mise en place de comités d’action et la construction d’une direction révolutionnaire dans la classe ouvrière revêtent maintenant une importance cruciale dans la lutte pour repousser l’assaut sur le niveau de vie et les droits démocratiques de la classe ouvrière.
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