WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Après l’intervention musclée menée vendredi par les CRS (police anti-émeute) pour briser l’occupation ouvrière de plusieurs dépôts importants de carburant, les centrales syndicales françaises se rangent aux côtés du gouvernement dans ses efforts pour mettre fin aux grèves contre les coupes impopulaires du président Nicolas Sarkozy dans les retraites. Un vote final sur les coupes aura lieu au Sénat mercredi. Loin de chercher à étendre le mouvement de grève pour stopper la répression contre les travailleurs, les porte-parole syndicaux laissent entendre qu’ils vont abandonner toute opposition aux coupes.
Une opposition populaire de masse à la politique de Sarkozy a donné lieu à de fortes grèves et protestations de lycéens, ainsi qu’à plusieurs journées nationales de mobilisation organisées par les syndicats. Le gouvernement espère que la passivité des centrales syndicales face aux opérations policières aux dépôts de carburant de Fos-sur-Mer, Cournon d’Auvergne, Lespinasse et Ambès contribuera à démoraliser et torpiller les grèves. Il s’est aussi emparé du fait que 3 millions de personnes ont manifesté lors de la plus récente mobilisation du 16 octobre — un peu moins que les 3,5 millions de grévistes de la journée d’action du 12 octobre — pour annoncer la défaite des grèves.
Frédéric Lefebvre, porte-parole du parti au pouvoir, l’UMP (Union pour un mouvement populaire), a déclaré que « les Français commencent à prendre la mesure des avancées » du gouvernement. « Il y a une chose que nous n'écoutons pas et que nous n'écouterons pas », a-t-il ajouté, « c'est la demande de retrait de la réforme et le refus qu'il y ait des mesures d'âge ».
Le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, a déclaré sur Europe 1 : « Je crois qu'on est clairement à un tournant. Ce que je souhaite, c'est que la raison l'emporte et que cette réforme puisse être adoptée dans les jours à venir et définitivement mise en œuvre dans les semaines qui viennent. »
Des analystes financiers ont fait savoir que la poursuite des grèves pourrait faire baisser la cote de crédit de la France, qui se situe aujourd’hui à AAA, ouvrant la possibilité d’une crise de la dette à la grecque en France. Selon la firme de consultants ACDEFI, « depuis une dizaine d'années, la quasi-totalité des indicateurs permettant d'établir une notation font plutôt état d'un AA voire d'un A [pour la France] ».
La firme ACDEFI explique que le pays a conservé sa cote AAA surtout « parce que les agences de notation savent que si elles dégradent la note de la France, c'est toute la zone euro qui risque de vaciller, réactivant une crise mondiale qui est à peine en voie de résorption. Mais, au-delà de ces considérations géopolitiques, les agences de notation ont également prévenu la France que le maintien de cette notation restait conditionné par la réalisation d'un minimum de réformes sur la dépense publique et principalement sur le système de retraite par répartition. »
La menace d’une pénurie nationale de carburant — suite aux grèves ayant paralysé ports, raffineries, dépôts de carburant et transports publics — est devenue l’arme principale des travailleurs contre les coupes. Par conséquent, les porte-parole du gouvernement se sont efforcés de nier une telle pénurie. Le ministre du Travail Eric Woerth a déclaré : « La police ou la gendarmerie ont dégagé un certain nombre de dépôts, voilà, il n'y a pas de risque et le gouvernement est très vigilant là-dessus. »
Sur Europe 1, le secrétaire d'Etat aux transports, Dominique Busserau, a soutenu qu’il « n'y a aucune station sans essence ». Il a également nié que les aéroports français faisaient face à une pénurie de carburant, bien qu’il ait admis que les avions avaient reçu la consigne de stocker un surplus de carburant avant de s’envoler vers la France, afin de ne pas avoir à refaire le plein en France.
L’affirmation du gouvernement qu’il n’y a pas de pénurie est clairement fausse. La plus grande pétrolière française, Total, a fait savoir hier que de 300 à 400 de ses stations-service en France étaient à court de carburant. Le Monde a rapporté que des stations-service à sec ont fermé à Paris, Le Havre, Caen, Rouen, Saint-Nazaire, Reims, Toulouse, Bordeaux, Nîmes, et des petites villes en Alsace.
Les chefs syndicaux insistent, toutefois, qu’une fois la loi votée par le Sénat mercredi, ils s’opposeront à toute poursuite des grèves contre les coupes. Le Monde a expliqué que des syndicats de droite tels que la CFDT (Confédération française démocratique du travail) et l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) « considèrent que le vote du projet de loi au Sénat imposera d'autres formes d'action, autrement dit la fin du mouvement ».
Jean Grosset de l’UNSA a déclaré au Monde : « Nous sommes en démocratie. A un moment donné, le politique prend le pas sur le social. Quand le Parlement vote une réforme, même si elle ne nous convient pas, nous ne pouvons pas faire comme s'il ne se passait rien. »
Cet argument est frauduleux en partant. Ce ne sont pas les travailleurs opposés au projet de loi sur les retraites, mais le gouvernement Sarkozy lui-même qui foule aux pieds la démocratie et la volonté de la population en imposant ses coupes. De récents sondages montrent que 69 pour cent de la population soutiennent les grèves contre les coupes dans les retraites, et 54 pour cent de la population veulent que les syndicats organisent une grève générale si le gouvernement ne les retire pas.
En se préparant à mettre un terme aux grèves contre les coupes impopulaires de Sarkozy, les centrales syndicales servent d’agents de la classe dirigeante pour imposer la politique du capital financier à une population hostile. Le fait qu’elles n’ont ni la capacité, ni la volonté, d’organiser une véritable opposition — malgré un large appui populaire pour des grèves contre les coupes de Sarkozy — atteste de leur impuissance et traîtrise.
Cela s’applique à la CGT (Confédération générale du travail), historiquement liée au Parti communiste français. Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a émis hier un communiqué demandant aux sénateurs « de ne pas voter en l'état », mais de « rouvrir les négociations avec les syndicats ».
Cet appel au Sénat, contrôlé par l’UMP et ses alliés de droite qui sont déterminés à faire passer les coupes, est un geste cynique qui ne veut rien dire. La question du vote de mercredi est en large mesure une diversion : les aspects les plus socialement régressifs du projet de loi sur les retraites — la hausse de l’âge de la retraite et de la période de cotisation — sont déjà passés. En fait, tout ce que demande Thibault est un léger changement dans la loi afin qu’il puisse prétendre que les luttes menées par la CGT n’ont pas mené à une défaite totale.
Le Monde a fait la remarque suivante : « La direction de la CGT n’a pas poussé ses troupes aux grèves reconductibles. Bien au contraire. Mais elle ne veut pas assumer le risque politique de mettre fin, même avec d’autres, à la mobilisation. Ce serait admettre que les luttes ne paient pas toujours. »
Défaite et capitulation sont pourtant ce vers quoi mène la politique syndicale. Dans un compte-rendu de la rencontre intersyndicale du 14 octobre pour planifier la journée d’action de demain, le chroniqueur du Monde, Michel Nobelcourt, a expliqué que cette journée d’action pourrait marquer « la fin du mouvement ».
Selon Noblecourt, l’intersyndicale « pourrait alors sonner la fin de la mobilisation en évoquant, pour satisfaire la CGT, sa poursuite sous "d'autres formes" ... et faire une déclaration solennelle qui ferait porter à Nicolas Sarkozy la responsabilité politique d’avoir imposé une réforme rejetée par la majorité des Français et dès lors frappée d’illégitimité. Le tout est que Bernard Thibault soit à même d’accepter un tel scénario. François Chérèque devrait l’y aider. »
Cette politique prépare le terrain pour une confrontation entre la bureaucratie syndicale, qui est déterminée à organiser une trahison aux conséquences sociales dévastatrices, et la classe ouvrière, qui est déterminée à lutter contre les mesures réactionnaires.
Il est vital pour la classe ouvrière de développer ses propres organes indépendants dans la confrontation sociale qui s’en vient avec le gouvernement Sarkozy, l’establishment politique et ses agents politiques de la bureaucratie syndicale. Pour cette raison, le World Socialist Web Site a appelé les travailleurs à former des comités d’action pour planifier des grèves indépendamment des syndicats et des partis bourgeois « de gauche ».
Dans un contexte où le gouvernement a clairement montré sa détermination à faire de grosses coupes et à utiliser la police pour écraser la résistance des travailleurs, la seule voie de l’avant pour les travailleurs en grève est celle de la lutte politique pour faire tomber le gouvernement Sarkozy. Une nouvelle direction socialiste et internationaliste doit émerger à mesure que la classe ouvrière étend ses luttes.
Ces luttes continuent en France malgré le déni gouvernemental, et des reportages font état d’une extension de la grève à plusieurs secteurs de l’économie.
Les syndicats de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) ont averti que le nombre de grévistes allait augmenter au début de la semaine. Le chef de la CGT-cheminots, Didier Le Reste, a noté que 26,55 pour cent de la force de travail était en grève dimanche, et que « demain on aura un taux de grévistes qui va aller bien au-delà des 30 pour cent un peu classiques ». D’autres chefs syndicaux ont fait savoir que les travailleurs avaient prévu le blocage de points stratégiques du réseau ferroviaire, ce qui pourrait faire « mal en terme de conséquences économiques ».
Des grèves continuent dans d’autres secteurs, notamment les ports et les raffineries. Les syndicats de routiers ont annoncé des grèves reconductibles à partir d’aujourd’hui. Un responsable régional du syndicat des routiers CFDT dans les Vosges, Denis Schirm, a déclaré : « On peut bloquer des sites pétroliers, des plates-formes logistiques, des entrées de zones industrielles… Aucun secteur d’activité ne doit se sentir à l’abri ! »
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