Les actions des
syndicats français lors des récentes grèves et mobilisations contre la réforme
des retraites du Président Nicolas Sarkozy ont focalisé l’attention des travailleurs
sur le chef de la Confédération générale du travail (CGT), Bernard Thibault.
En dépit de
l’hostilité populaire massive envers le chef de l’Etat, Thibault a
insisté sur le fait que le mot d’ordre de grève générale était « abstrait
» et « abscons ». Il a lâché les grévistes dans les ports, les raffineries et
les dépôts de pétrole, refusant de mobiliser la classe ouvrière contre
l’intervention des forces de l’ordre qui cassaient leurs blocages.
Insistant sur le fait qu’il voulait surtout négocier avec Sarkozy, il a
proposé des journées d’action n'aboutissant à rien.
Ceci réfute les idées
reçues selon lesquelles Thibault dirige une centrale « contestataire ». La
réorientation politique des travailleurs pour les luttes à venir, qui ne
peuvent se dérouler qu'indépendamment des syndicats, nécessite une appréciation
historique et théorique du rôle de Thibault. Il fait partie d’une couche
sociale, historiquement alliée à la bourgeoisie contre la classe ouvrière, mais
qui se donne une image combative face au gouvernement pour cacher son rôle dans
la politique de l’Etat.
Bernard Thibault est né
le 2 janvier 1959 à Paris ; depuis 1999, il est le secrétaire général de la
CGT. Après un CAP en mécanique générale, il entre à la SNCF au dépôt de
Paris-la Villette en 1976. En 1977, il adhère à la CGT, et devient responsable
de la commission des jeunes du syndicat. En 1980, il devient délégué syndical
de son dépôt. À 24 ans, il est élu secrétaire des cheminots CGT Paris-Est.
En 1987, il adhère au
Parti Communiste Français (PCF) stalinien et rejoint le bureau fédéral des
cheminots CGT.
Thibault entre en
politique dans une période charnière entre la Guerre froide et la période
post-soviétique. Sa décision de briguer des postes à responsabilité à la CGT et
au PCF, vu les défaites sociales infligées aux travailleurs par ces
organisations durant cette période, signifient qu'il se destine à une carrière
dans les rouages syndicaux et politiques de l’Etat.
Le PCF dans les années
1970-80 sert d'outil de la social-démocratie française pour briser les grèves
et désorienter la classe ouvrière. En 1972 le PCF adopte le programme commun de
gouvernement avec le PS ; il abandonne le « modèle soviétique » en 1976, pour
se déclarer partisan de l’économie nationale. Si le parti a déjà fait ses
preuves au service du capitalisme, en trahissant notamment les grèves générales
de 1936 et 1968, ses déclarations des années 1970 signalent officiellement sa
conversion en défenseur de l’ordre établi.
Le parti communiste
devient un parti de gouvernement aux côtés du Parti Socialiste (PS). Le PCF
participe en 1981 au gouvernement Mitterrand avec quatre ministres communistes.
En 1983 viennent le tournant de la rigueur et la démission des ministres
communistes, un an plus tard.
Cette période voit
d’importantes attaques sociales contre les travailleurs, avec notamment
des fermetures d’usines dans l’automobile, à Renault et à Citroën,
et dans l’industrie lourde, telle la sidérurgie du nord, à Longwy.
En 1991 la bureaucratie
stalinienne restaure le capitalisme en URSS, avec des conséquences
dévastatrices pour la classe ouvrière en URSS, et dans le monde entier. Les
analyses de Trotsky sur l’URSS se sont avérées correctes. Trotsky avait
dit à propos de l’avenir de l’URSS : « Le pronostic politique a un
caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l'organe de
la bourgeoisie mondiale dans l'État ouvrier, renversera les nouvelles formes de
propriété et rejettera le pays dans le capitalisme; ou la classe ouvrière
écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme. »
Plus clairement
qu’avant la chute de l’URSS, la CGT et le PCF fonctionnent
en tant qu’instruments de l’Etat, hostiles aux travailleurs et
inféodés aux besoins des banques. Ceci ne stoppe pas l’ascension de
Thibault à l’intérieur de l’appareil stalinien. De 1990 à 1993, il
est secrétaire général-adjoint, puis de 1993 à 1999 secrétaire général, de la
fédération CGT des cheminots. Enfin, en janvier-février 1999, lors du 46e
congrès, il succède à Louis Viannet à la tête de la confédération.
Après la chute de
l'URSS, la CGT quitte la Fédération Syndicale Mondiale (FSM, sous influence
stalinienne) rejoignant la Confédération Européenne des Syndicats--dominée par
des syndicats pro-capitalistes tels la CFDT (Confédération française et
démocratique du travail). L’allégeance de la CGT au capitalisme n'est
certes pas nouvelle, la CGT ayant servi de bras droit au PCF lorsqu'il avait
trahi les grèves générales de 1936 et de 1968. Cependant, sous la direction de Bernard
Thibault, la CGT prend une part de plus en plus importante dans la formulation
de la stratégie de l’Etat.
Selon René Mouriaux
(politologue et historien), Thibault aurait été l'une des figures principales
des mouvements de 1995 et serait devenu l'un des symboles du renouveau de la
CGT, ce qui lui permet de rentrer au bureau confédéral en 1997.
En 1995 le gouvernement
Juppé (RPR) veut s’attaquer aux acquis de la classe ouvrière. Un
mouvement puissant des travailleurs, concentré sur la grève des cheminots,
déborde les syndicats. Après avoir repris le contrôle des manifestations, les
syndicats étouffent le mouvement de grève. Bernard Thibault négocie en 1995 un
accord avec le ministre du Travail, qui accepte de ne pas toucher aux
cheminots, tout en programmant des attaques sociales contre le reste des la
classe ouvrière.
Prétendre que cet accord
représente une victoire est une illusion ; Il maintient la plupart des attaques
du Plan juppé contre le système de sécurité sociale, et le reste de la carrière
de Thibault a surtout consisté à négocier des réformes pour égaliser les
retraites des travailleurs vers le bas. En une série de réformes successives
– en 2003, 2008, et maintenant en 2010 – des gouvernements de
droite repoussent l’âge de la retraite en
égalisant les conditions des différentes sections de la classe ouvrière vers le
bas.
De 1997 à octobre 2001,
Thibault est membre du conseil national (ex-comité central) du PCF. Il quitte
ses responsabilités nationales au PCF en 2001 pour marquer la fin du concept de
syndicat comme courroie de transmission du parti. Ceci est une étape
importante. En faisant passer au second plan
les liens historiques le rattachant au PCF, la CGT se donne l’occasion de
collaborer avec des forces ouvertement pro-capitalistes, au service de
l’Etat.
Dans un article de 2007,
"Pourquoi Sarkozy veut sauver la CGT de Bernard Thibault,"
l’hebdomadaire Marianne détaille les relations nouées en 2004
entre Sarkozy (alors Ministre des Finances) et Thibault, lors d’une
réforme d’EDF-GDF préparant sa privatisation.
En menaçant de dévoiler
« la gestion du trésor des oeuvres sociales du comité d'entreprise »,
c'est-à-dire les fonds fournis par EDF-GDF et que la CGT utilise comme une
caisse noire, Sarkozy découvre que Thibault préfère une « concession limitée ».
Après « quelques mois de conflits bien encadrés, un modus vivendi est trouvé:
le statut de l'entreprise change, mais ... la promesse (trahie depuis!) est faite que l'Etat demeure à jamais majoritaire dans le
capital d'EDF-GDF ».
L’arrivée au
pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007 marque un approfondissement des relations
entre le pouvoir et la CGT. Le congrès fin 2009 a eu comme but de confirmer la
politique de collaboration étroite entre Thibault et le Président Nicolas
Sarkozy, poursuivie depuis le début du mandat de ce dernier.
Dans un article dans Le
Monde, intitulé « Pour des syndicats forts » paru en d’avril 2008,
Nicolas Sarkozy explique la logique de sa collaboration avec les syndicats : «
j'ai l'intime conviction que, pour expliquer et mener à bien les réformes dont
notre pays a besoin, nous devons le faire en partenariat étroit avec ceux qui
représentent les intérêts des salariés et des entreprises... »
Cette collaboration
contre les travailleurs était établie de longue date, selon Sarkozy : « Juste
après l'élection présidentielle et avant même de rejoindre l'Élysée, j'ai tenu
à recevoir les organisations syndicales et patronales pour les écouter et
recueillir leurs positions sur les premières actions que je comptais
entreprendre. Depuis, je continue à recevoir très régulièrement chacun de leurs
représentants. Je les connais bien, nous avons parfois des divergences, mais
notre dialogue est toujours franc. »
Il ajoute : « Je pense
par exemple à la réforme des régimes spéciaux de retraite, qui a pu être menée
à bien à l'automne grâce à une intense période de concertation au niveau
national et des négociations dans chacune des entreprises concernées. »
A ce moment, la CGT et
la CFDT établissaient un accord, intitulé « position commune », avec les
groupements d’employeurs et l’Etat. L’accord comprenait des
mesures destinées à accroître l'influence des syndicats les plus importants,
donnant à l´Etat une bureaucratie plus centralisée pour faire la police dans la
classe ouvrière.
En dépit d'une large
opposition populaire, la CGT et Sarkozy ont ensuite fait passer des lois
pendant l’été 2008 marquant un tournant significatif dans les relations
de classe en France : allongement de la semaine de travail, réduction des
allocations chômage, changement des lois qui régissent les syndicats et les
grèves, et cadeaux importants faits aux grandes entreprises et à la finance.