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EuropeFrance: Le Conseil constitutionnel valide la loi
réduisant les retraites
Par Alex Lantier
11 novembre 2010
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Le Conseil constitutionnel a rejeté le recours contre la loi du président
Nicolas Sarkozy, réduisant les retraites et votée par le parlement le 27
octobre malgré une opposition populaire massive. Le recours constitutionnel,
dernier obstacle juridique pour la mise en vigueur des coupes, avait été
déposé par des législateurs du principal parti bourgeois de « gauche », le
Parti socialiste (PS).
Le journal Le Parisien a rapporté hier que Sarkozy projetait de
promulguer la loi hier mercredi, sans attendre son retour lundi du sommet du
G20 de Séoul comme initialement envisagé.
La loi allonge progressivement la durée de cotisation et reporte l’âge
minimum de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’âge d’ouverture du droit
à une retraite sans décote et de 65 à 67 ans . La mesure a été adoptée en
dépit d’une écrasante opposition populaire et de sondages affichant un
soutien populaire de l’ordre de 65 à 70 pour cent en faveur des actions de
grève contre les coupes sociales. Des millions de personnes ont défilé lors
de huit journées nationales de protestations organisées contre les coupes ;
une puissante grève des travailleurs du secteur pétrolier – à laquelle
s’étaient associés les lycéens – a ébranlé la France dans la seconde moitié
du mois d’octobre.
Le communiqué du Conseil constitutionnel est une décision juridique
arrogante, motivée par les intérêts de classe de l’aristocratie financière
et les opinions droitières de ses propres membres. Les membres du conseil
comprennent deux ex-présidents conservateurs, Valéry Giscard d’Estaing et
Jacques Chirac ainsi que divers anciens responsables et législateurs nommés
depuis 2004 sous divers gouvernements de droite. Ils sont issus en majorité
du Parti de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) de Sarkozy.
Le Conseil a jugé que le gouvernement avait obéi aux règlements
parlementaires durant le débat et avait respecté le « principe d’égalité
entre les femmes et les hommes, » étant donné que les réductions des
retraites s’appliquaient aux deux et que des « dispositions particulières »
avaient été prévues pour les mères de familles nombreuses.
Il a ajouté que la loi reconnaissait « l’exigence constitutionnelle
relative à la politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs
retraités,» étant donné que son « objectif [est] de préserver le système de
retraite par répartition. »
Le Conseil a censuré les articles 63 et 75 relatifs à la médecine du
travail et rajoutés par amendement par le gouvernement. Ces dispositions
réactionnaires supprimaient la protection de la sécurité de l’emploi des
médecins du travail en les rendant plus tributaires de la bonne volonté des
employeurs. Le Conseil a déclaré que ces dispositions constituaient des
« cavaliers législatifs, » et étaient sans rapport avec la loi et donc
inconstitutionnels. Ceci n’empêche pourtant pas l’Assemblée nationale de
faire à présent voter ces articles séparément.
La décision du Conseil compromet toutes les branches du gouvernement
français – le judiciaire, aussi bien que le parlement et la présidence –
dans une violation flagrante de la volonté du peuple.
Il peut affirmer que les coupes visent à sauvegarder les retraites et que
le fait de rendre les médecins du travail directement plus dépendants des
employeurs n’a aucun lien avec la loi, mais il le fait en ignorant
intentionnellement le contexte politique dans lequel la loi a été votée.
La mesure de Sarkozy n'est qu'un volet de toute une série de mesures que
l’aristocratie financière projette d’introduire en France et partout en
Europe afin de réorienter les dépenses publiques vers les grandes banques et
les investisseurs. Des coupes identiques ou même plus sévères ont été
appliquées par des gouvernements libéraux ou sociaux-démocrates en Grèce, en
Irlande, au Portugal et en Espagne, depuis le déclenchement, l’hiver
dernier, de la crise de la dette européenne et de l’élection récente d’un
gouvernement de coalition conservateurs-libéraux en Grande-Bretagne. De
telles coupes ont pour objectif de détruire la garantie d'une retraite et
d'un niveau de vie sûrs pour les travailleurs.
Le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), Olivier
Blanchard, a déclaré sur Europe1 que le gouvernement avait accompli une
réduction « importante » et « substantielle » des retraites qu’il « aurait
fallu faire depuis 20 ans. » Il a suggéré qu’il y aurait d’autres coupes
sociales : « Sera-t-elle [cette réforme] suffisante pour toujours, peut-être
pas, mais il fallait la faire. »
Blanchard a précisé que d’autres attaques massives contre les conditions
de travail viendraient. Il a dit que la différence entre les contrats de
travail à durée indéterminée (CDI) et les contrats à durée déterminée (CDD)
requérait une « réforme » et que le système des deux types de contrats
devrait être rendu « plus égal. » A la demande d’être plus spécifique,
Blanchard a dit qu’il faudrait qu’une « protection de l’emploi » « vienne de
manière plus douce, au fur et à mesure du temps. »
Quant à l’affirmation du Conseil que la santé au travail n’est pas liée
aux coupes dans les retraites, elle est fausse. Cette nouvelle législation
sur les retraites augmente le taux d’incapacité physique requis et d’autres
facteurs déterminants pour que les travailleurs handicapés puissent partir
plus tôt en retraite. Voir : (« France :
Les
travailleurs confrontés à une lutte pour le pouvoir -
Alors que la police attaque les grévistes des raffineries : Le Sénat
français vote les coupes dans les retraites au mépris de l’opposition
»). En conséquence, les employeurs et l’Etat ont un intérêt financier direct
à faire en sorte que les médecins du travail ne délivrent pas le certificat
de maladie indispensable aux travailleurs ayant une incapacité physique.
Dans une interview accordée au journal Le Monde, le responsable syndical
Bernard Salengro, a remarqué que les modifications proposées pour les
règlements sur la santé au travail détruisaient les acquis sociaux datant de
1946, à la libération de la France du joug des nazis : « Avec cet
amendement, on retourne vers le système de Pétain, car les médecins du
travail avaient une indépendance garantie par la loi, protégés contre le
licenciement par l’inspecteur du travail. »
Salengro a laissé entendre que les médecins du travail étaient déjà
grandement à la merci des intérêts des employeurs : « Il y a eu une enquête
faite, il y a deux ou trois ans, par le Canard enchaîné qui a montré que,
dans 66 [sur 100] départements, les services de santé au travail avaient la
même adresse que le Medef. » Il a dit que l’assistance du Medef dans
l’arrangement de prêt et d’aide au financement et de personnel faisait que
les médecins du travail leur étaient souvent redevables.
Une décision plus honnête du Conseil constitutionnel aurait déclaré,
qu’étant donné que l’objectif de Sarkozy était de se débarrasser des
protections sociales fondamentales implicites à la définition de la
Constitution française en tant que « République sociale », la loi était
inconstitutionnelle.
Ceci aurait révélé au grand jour les questions politiques cruciales
auxquelles les travailleurs européens sont confrontés, à savoir :
l’incompatibilité des droits sociaux de la classe ouvrière avec la folie de
l’argent d’une classe dirigeante poussée par la crise mondiale du
capitalisme à piller les travailleurs. Ceci aurait souligné le conflit
social objectif entre la classe ouvrière et un establishment politique de
« gauche » qui ne peut plus faire les concessions sociales qu’il faisait
durant la période faisant suite à la Seconde guerre mondiale.
La réaction, tout particulièrement du PS à la décision du Conseil
constitutionnel – tout à fait prévisible compte tenu de son bilan droitier –
souligne le caractère cynique et superficiel de sa décision de défier les
coupes sociales de Sarkozy auprès du Conseil. Le Parti socialiste a
clairement fait savoir qu’il soutient des mesures d’austérité sociale du
type de celles des coupes de Sarkozy.
Le député PS Manuel Valls a critiqué la première secrétaire du parti,
Martine Aubry, pour ne pas avoir soutenu plus ouvertement divers aspects des
coupes de Sarkozy : « Nous n’avons pas suffisamment assumé la nécessité de
l’allongement de la durée de cotisations des retraites…Donner l’impression
que le PS reviendrait aux 60 ans à taux plein pour tous crée de
l’ambiguïté. » Valls a critiqué le PS pour ne pas avoir de solution
« crédible » – c’est-à-dire une solution qui convienne aux banques.
Le membre influent du PS, Dominique Strauss-Kahn, qui est le directeur du
FMI, a dit que garder l’âge minimal de départ à la retraite à 60 ans ne
devrait pas être « un dogme. »
Cette réaction démasque non seulement le PS mais les dirigeants syndicaux
qui ont mené les protestations contre les coupes de Sarkozy sans intention
de mobiliser une résistance sérieuse contre elles. Au lieu de cela, ils ont
refusé d’organiser des grèves en solidarité avec les grévistes du secteur
pétrolier qui étaient confrontés aux policiers briseurs de grève tout en
donnant de faux espoirs que l’élection d’une coalition de « gauche » dirigée
par le Parti socialiste pourrait finalement défaire les coupes de Sarkozy.
Lundi, l’intersyndicale a spécifié la date de la prochaine journée
nationale de protestation qu’elle a l’intention d’organiser contre les
coupes – le 23 novembre. C'est le 4 novembre qu'elle a annoncé sa décision
de mener une telle action de protestation.
Le contenu de cette annonce justifie entièrement les avertissements émis
dès le commencement de la vague de grèves par le WSWS qui avait mis en garde
que la seule voie pour aller de l’avant était pour les travailleurs
d’organiser une lutte politique contre le gouvernement indépendamment des
syndicats et des partis de « gauche. »
Les syndicats ont dit que les actions seraient « multiformes »,
c’est-à-dire qu’elles pourraient être diverses, vraisemblablement des
manifestations ou des arrêts de travail selon ce qui sera décidé « en
régions et dans chaque entreprise ». Ce qui signifie qu’il n’y aura pas
d’action nationale coordonnée ou de tentative d’organiser une résistance.
Après avoir isolé les travailleurs des raffineries et des ports sans offrir
une perspective aux travailleurs, les syndicats s’apprêtent à organiser une
capitulation.
(Article original paru le 10 novembre 2010)
Voir aussi:
La
couverture de la lutte contre la politique d'austérité en France