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EuropeFrance: Des critiques, soi-disant de gauche, des
syndicats sèment la démoralisation au sujet des grèves
Par Alex Lantier
10 novembre 2010
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La grève du mois dernier dans le secteur pétrolier en France contre les
coupes dans les retraites opérées par le président Nicolas Sarkozy offre un
regard critique sur les relations de classes en Europe. Outre un soutien
populaire écrasant en faveur d’un mouvement de grève contre les coupes
sociales, il révèle la décrépitude des syndicats et des partis politiques
« d’extrême gauche. » En dépit des opérations ouvertes de la police agissant
en briseurs de grève dans les dépôts pétroliers, ni la Confédération
générale du travail (CGT) ni le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) n’ont
cherché à organiser un mouvement de grève pour défendre les travailleurs
pétroliers et lutter contre les coupes impopulaires de Sarkozy.
Le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, est resté silencieux tout au
long de la grève tandis qu’un responsable du NPA préconisait des
protestations du type « le chat et la souris » contre la police.
La grève a aussi révélé la faillite et le charlatanisme des différents
groupes soi-disant socialistes ou anarchistes , qui ont été promus autour
des partis de l’« extrême gauche », comme « critiques » plus constants de la
bureaucratie syndicale. Mais au lieu de représenter une alternative
socialiste pour les travailleurs qui poursuivent la lutte contre les coupes
sociales, ils ont soit fui pour se mettre à l'abri soit ils ont prêché la
capitulation à la vue de la première grève sérieuse.
C’est notamment le cas de deux groupes au sein du NPA, Tendance Claire et
Prométhée. Ces groupes avaient critiqué l’année dernière la CGT lorsque
celle-ci avait isolé les grèves dans l’industrie automobile et tandis
qu'elle préparait en décembre dernier son 49ème congrès. Ils réclamaient la
formation de syndicats plus combatifs et davantage de grèves. (« France : le
NPA tente de canaliser le mécontentement contre les syndicats »)
Tendance Claire, une tendance au sein du NPA et affiliée au Parti des
Travailleurs socialistes argentin (PTS), promeut soi-disant un
« syndicalisme de classe » et le besoin d’un « parti anticapitaliste
révolutionnaire. » Elle a publié le 3 août un communiqué déclarant qu’en
septembre elle n’avait « qu’un seul objectif : la grève générale pour
obtenir le retrait de la réforme des retraites. » C’est toutefois le dernier
communiqué qu’elle a publié.
Une fois que les grèves ont commencé, en septembre et en octobre,
Tendance Claire s'est prudemment tenue à l'écart. Tendance Claire n’avait
rien à dire aux travailleurs en quête d’une perspective politique pour la
lutte contre les coupes de Sarkozy, ni pour aider la lutte en organisant une
grève générale contre Sarkozy.
Mais à côté du groupe Prométhée, Tendance Claire semble audacieuse. Après
avoir déclaré que son objectif était d’« affirmer et [de] défendre, en
toutes circonstances, l’indépendance du prolétariat vis-à-vis de la
bourgeoisie, » le site internet de Prométhée a cessé au mois de mai la
publication de déclarations politiques.
Il est impossible de dire si c'est le manque de sérieux politique ou la
lâcheté politique qui a joué le plus grand rôle dans le fait que ces groupes
incroyablement « révolutionnaires » n’ont pas fait le moindre commentaire
sur la grève la plus effective des travailleurs à l’encontre de la
présidence de Sarkozy.Mais il existe une logique politique objective à leur
capitulation.
Leur perspective consistant à exercer une pression sur les syndicats ou à
revitaliser une activité de type syndical a fait faillite. Sarkozy a
clairement fait savoir qu’il ne donnera son accord à rien d'autre qu'à des
coupes sociales massives. Comme l’expliquait le World Socialist Web Site la
tâche à laquelle sont confrontés les travailleurs est de défendre les
travailleurs engagés dans les grèves en cours et de lutter pour
l’organisation de grèves politiques pour renverser le gouvernement Sarkozy.
Ceci préparera le terrain pour une lutte visant à mettre en place un
gouvernement ouvrier appliquant une politique socialiste.
L’orientation de ces « critiques » anarchistes des syndicats est
cependant tout à fait différente. Ceux qui disaient qu’il fallait avoir le
courage de continuer, ont publié cyniquement des leçons à donner aux
travailleurs sur la manière de tenir des réunions, alors même qu'ils
décourageaient toute lutte qui conduirait à une confrontation avec Sarkozy.
Le Courant communiste international (CCI) a publié un numéro de sa
publication Révolution Internationale consacrée à la question « Comment
prendre nos luttes en main » L’éditorial a souligné : « Tout le monde sent
bien qu’il manque à ce mouvement ‘quelque chose’. Ce ‘quelque chose’, c’est
la prise en main des luttes par les travailleurs eux-mêmes. »
Pour un marxiste, cela implique une lutte politique sans merci pour que
les travailleurs rompent avec les syndicats et leurs partis petits bourgeois
de « gauche » corrompus en vue de renverser le gouvernement Sarkozy. Pour le
CCI – un groupe hostile à la théorie léniniste du parti révolutionnaire en
tant que direction politique du prolétariat – la question était de « tenter
de s’auto-organiser en assemblées générales souveraines et non syndicales. »
Pour aider ses lecteurs à comprendre cette différence, le CCI a reproduit
un texte de la Confédération nationale du travail (CNT) intitulé « Comment
lutter ? Par une résistance populaire autonome. » Le CCI a publié cette
déclaration le 20 octobre alors que la grève dans le secteur pétrolier était
en cours et cinq jours après que la police a pour la première fois cassé un
blocage des travailleurs au dépôt pétrolier de Fos.
Critiquant d’autres syndicats pour ne vouloir que « le maintien de la
paix sociale, » la CNT a ajouté, « La raison en est simple : ils sont
inféodés au Pouvoir, leurs staffs en sont même un rouage : comités
d’entreprise, conseils d’administration, co-gestion de l’assurance maladie,
des caisses de retraites, des prud’hommes, de diverses mutuelles, fortes
subventions directes reçues aux titres les plus divers (formation syndicale,
congrès…) sans oublier l’argent de la corruption (celui des caisses noires
de l’UIMM par exemple) etc. »
Néanmoins, elle a continué en proposant les mêmes activités que les
syndicats traditionnels dont elle vient tout juste de décrire le rôle de
rouage de l’appareil d’Etat. Elle a appelé à l’organisation d’assemblées
« où nous devons nous laisser le temps de débattre pour arriver à prendre
des décisions, décisions qui doivent être l’expression propre et consciente
des personnes en lutte. » Elle a suggéré des « cortèges tintamarres un peu
partout, » et le déploiement de « banderoles sur des lieux visibles. »
De tels projets font preuve non seulement d’un remarquable manque de
solidarité – ne se préoccupant aucunement de la défense des travailleurs
pétroliers contre les assauts des briseurs de grève – mais d’un mépris
profond pour une lutte politique contre Sarkozy. En fait, le CCI a décidé de
montrer clairement qu’il pensait que la grève dans le secteur pétrolier
était de fait une très mauvaise idée.
Sous le titre: « Bloquer les raffineries: une arme à double tranchant ,»
le CCI reprend les arguments du gouvernement Sarkozy contre la grève dans le
secteur pétrolier, en expliquant que : « les travailleurs subissent au
quotidien les difficultés pour trouver de l’essence et se rendre au
boulot. » Le CCI ajoute qu’en conséquence « la paralysie des
transports…risque de diviser, de rompre cette dynamique, d’aller à
l’encontre de la nécessaire extension massive des luttes. »
En se faisant l’écho docile du gouvernement Sarkozy, le CCI n’oublie
qu’un détail : les grèves étaient extrêmement populaires et la tâche était
de gagner le soutien de vastes sections de la classe ouvrière pour le
mouvement de grève – et pas de les décourager. S'il avait fait preuve d'une
plus grande honnêteté à reconnaître la logique de ses arguments, le CCI
aurait argumenté contre n’importe quelle grève. Etant donné que les
grévistes gênent toujours les usagers des entreprises contre lesquelles ils
débrayent, ils courent le risque d’être critiqués par les médias et de
rencontrer une certaine opposition.
Alors que le gouvernement Sarkozy paniquait à la vue de la propagation de
la pénurie de carburants, le CCI a de façon optimiste informé ses lecteurs
que les « ouvriers ne pouvaient plus bloquer leur usine et faire plier leur
patron. » Le CCI a précisé qu’aujourd’hui, « le contexte [était] totalement
différent. » Les travailleurs « n’affrontent pas ‘leur’ patron mais LE
capital et, surtout, toute la puissance de son Etat. »
La conclusion en est que les travailleurs devraient organiser davantage
de réunions pour promouvoir la « dynamique d’extension qui seule fait
vraiment peur à la bourgeoisie. »
Ces affirmations mettent au grand jour le charlatanisme droitier des
partis de « gauche » et de leurs divers satellites. Leurs obscures
différences terminologiques dissimulent la nécessité d’une lutte politique
pour le renversement du gouvernement tandis qu'ils découragent la lutte et
dispersent l’énergie des travailleurs dans des protestations bruyantes et
infructueuses qui ne sont pas fondamentalement différentes de celles
organisées par la CGT. Ces partis sont tout simplement le flanc de gauche de
l’Etat et de sa politique d’austérité.
(Article original paru le 8 novembre 2010)
Voir aussi:
La
couverture de la lutte contre la politique d'austérité en France