Du 4 au 6 novembre, le président de Chine Hu Jintao a
rendu une visite d’Etat à la France. Le président français Nicolas
Sarkozy a déployé le tapis rouge en attribuant les honneurs militaires à Hu
alors que les deux pays signaient à l’occasion de cette visite des
contrats d’affaires et autres accords évalués à près de 20 milliards
d’euros.
Au premier jour de la visite du dirigeant chinois, Sarkozy
a offert à Hu un dîner d’Etat au palais de l’Elysée où il a déclaré
pompeusement : « Nous devons faire face ensemble aux défis d’un
monde en pleine transformation, nous devons réaffirmer la force de notre
partenariat, lui imprimer un nouvel élan, et surtout lui tracer de nouvelles
perspectives, celles du 21ème siècle. »
Les gouvernements chinois et français ont publié un
communiqué commun promettant de renforcer leur partenariat économique et
stratégique ainsi que leur coopération dans les affaires internationales. Selon
le communiqué, « La France et la Chine sont deux des cinq membre
permanents du Conseil de sécurité, deux des cinq plus grandes économies du
monde. Nous avons en commun des responsabilités qui sortent de
l’ordinaire… Les deux parties devront également approfondir leur
coordination et coopération dans les affaires internationales, combattre
ensemble les grandes menaces globales, en particulier en matière de
prolifération des armes de destruction massive. »
Le communiqué propose également que la France et la Chine
travaillent ensemble pour faire face à des questions comme la guerre en
Afghanistan, le programme nucléaire de l’Iran et la dénucléarisation de
la péninsule coréenne.
La visite de Hu à Paris est survenue quelques jours
seulement avant l’ouverture du sommet du G20 à Séoul, Corée du Sud, où
les déséquilibres du commercial mondial et les questions monétaires devaient
être les principaux points à l’ordre du jour. En fait, selon
l’ordre de rotation, la France devrait reprendre la présidence du G20. Le
communiqué franco-chinois déclare, « Les deux parties considèrent que le
G20 doit refonder la croissance mondiale et le système financier international
sur des bases plus saines et plus solides, et qu’il doit être le forum
principal de la coopération économique internationale. »
La déclaration exige une régulation du système financier
mondial et une opposition à « toutes formes de protectionnisme. »
Cette rhétorique diplomatique creuse est destinée au grand public. Il n’y
a pas de doute qu’en coulisses les responsables français et chinois ont
mené des discussions houleuses, notamment sur le défi que représente la
politique agressive des Etats-Unis.
Le gouvernement français est confronté à un dilemme:
c’est un allié stratégique des Etats-Unis, ayant rejoint l’OTAN en
avril 2009, et pourtant il tente de développer des liens économiques sérieux
avec la Chine. Cette dernière puissance est impliquée dans une situation tendue
avec les Etats-Unis sur une série de questions financières et stratégiques.
Depuis que la crise
financière mondiale a éclaté en 2008, les Etats-Unis critiquent la Chine pour
avoir déprécié sa monnaie, le yuan. Les Américains, avec le soutien des
puissances européennes sont en train d’exercer une pression sur la Chine
pour qu’elle change sa politique monétaire. De manière générale, Washington
recherche le soutien de l’Europe et de l’Asie pour contrer la
montée de la Chine.
En effet, la visite de Hu a été compliquée en raison de
l’héritage de la politique menée précédemment par la France à
l’égard de la Chine. Les Français ont critiqué les violations des droits
de l’homme par la Chine, en s’alignant sur les critiques formulées
par les Américains et portant sur la politique de Beijing au Tibet par exemple.
En 2008, en fait, Sarkozy avait boycotté de façon
ostentatoire la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Beijing pour
protester contre la répression des protestations tibétaines en mars 2008. Bien
que le président se soit rendu aux jeux olympiques, le gouvernement français
avait rendu furieux son homologue chinois plus tard dans l’année quand
Sarkozy avait rencontré le dirigeant spirituel tibétain, le Dalaï Lama à Gdansk
en Pologne. La Chine avait ultérieurement annulé le sommet Union
européenne/Chine et un nombre de contacts de haut niveau avec la France en
guise de protestation.
La décision
avait été prise la semaine passée de ne pas tenir de conférence de presse
conjointe entre Hu et Sarkozy, ce qui se fait normalement à l’occasion de
ce type de visite. Ceci avait probablement été décidé pour éviter que les
journalistes ne posent aux deux dirigeants des questions embarrassantes
relatives aux droits de l’homme, à la liberté de la presse ou à
l’emprisonnement de dissidents tel Liu Xiyobo, qui a reçu le prix Nobel
de la paix le mois dernier.
En enterrant brusquement ses critiques antérieures de la
répression chinoise au Tibet en 2008 et d’autres violations des droits de
l’homme, le gouvernement français a clairement montré le cynisme et
l’hypocrisie de ses précédentes dénonciations du bilan de Beijing en la
matière. Ces critiques ne sont pas dictées par ses préoccupations concernant
les droits de l’homme, mais par des calculs économiques et stratégiques.
Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale
des droits de l’homme (FIDH) ont fait le commentaire suivant :
« La politique de la France manque de cohérence, » étant donné
« qu’après avoir fait en 2008 des déclarations publiques critiques,
le président avait depuis évité toute déclaration susceptible de froisser
Pékin. »
La majeure partie des médias français ont cependant fait
l’éloge de la visite de Hu comme un événement important qui relancerait
ses relations économiques avec le nouveau géant asiatique. Le 5 novembre par
exemple, le journal conservateur Le Figaro écrivait carrément :
« Depuis la crise entre Paris et Pékin à propos
du Tibet, qui avait précédé les Jeux olympiques de Pékin en 2008, la confiance
est revenue de part et d'autre. ... La France ne peut rester à l'écart du
premier marché mondial, où se dessine l'avenir des grandes entreprises
internationales, dans l'automobile, l'aéronautique,l'énergie, les
infrastructures, les produits de consommation. »
Un autre quotidien français, La Croix, a remarqué,
« Dans un contexte économique international très difficile, il
s’agit aujourd’hui pour la France de reprendre des relations
sereines avec la seconde puissance économique mondiale avec laquelle elle avait
signé pour plus de 20 milliards d’euros de contrats en 2007. »
Le gouvernement Sarkozy s’aligne en général
étroitement sur la politique étrangère américaine, en exerçant une pression sur
l’Iran en raison de son programme nucléaire et en déployant des troupes
pour combattre en Afghanistan, deux pays dans lesquels la Chine est en train de
développer des intérêts économiques importants. Il se pourrait bien que Sarkozy
cherche à se présenter comme un intermédiaire indispensable pour servir de
médiateur aux négociations entre Washington et Beijing et concernant ces
questions stratégiques hautement sensibles.
En ce qui concerne toutefois les questions économiques, la
trajectoire de la politique américaine suscite une inquiétude croissante à
Paris. La semaine passée, la décision unilatérale prise par la Réserve fédérale
américaine d’injecter 600 milliards de dollars dans l’économie
américaine afin de relancer les exportations américaines au moyen d’une
politique du dollar bon marché a soulevé des critiques sévères de la part des
responsables européens tout comme de la Chine, du Brésil et de l’Afrique
du Sud.
La décision de la Réserve fédérale (Fed) de poursuivre une
politique du dollar bon marché en recourant à l’assouplissement
quantitatif (« quantitative easing ») – l’impression de
dollars américains, ce qui fait baisser la valeur de la devise – est
perçue sur le continent par les élites dirigeantes comme une menace majeure à
l’économie européenne. C’est en particulier le cas de la France qui
a des difficultés à faire face à la concurrence sur de nombreux marchés
d’exportation au moment où le dollar continue de chuter par rapport à
l’euro (rendant les exportations française encore plus chères. )»
Le 9 novembre, Jean-Claude Juncker, premier ministre
luxembourgeois et chef de file des ministres des Finances de la zone euro a
remarqué que le dollar américain était sous-évalué et que la relance de la Fed
posait un « risque » pour le monde en général. Il a affirmé que les
taux de change « doivent d’abord refléter les données fondamentales
économiques » et « ne doivent pas donner lieu à des comportements
nationaux qui sont inspirés plus par des réflexes égoïstes » que par
l'idée que la communauté internationale devrait réagir à des préoccupations
d'ordre mondial.
S’adressant aux autorités américaines, Juncker a
ajouté : « On s’érige en critique de la politique monétaire
chinoise, alors que d’une certaine façon et d’une façon certaine,
on fait par des moyens détournés exactement la même politique. »
Avec la Chine dont l’économie connaît la plus rapide
croissance du monde, les entreprises françaises sont avides d'aller faire des
affaires là-bas. La France est le second exportateur européen vers la Chine,
après l’Allemagne. La France fournit à présent 3 pour cent de ses
importations à la Chine tandis que l’Allemagne en fournit 5 pour cent.
Il n’est pas surprenant que la quantité des
exportations chinoises vers la France a progressé plus rapidement au cours de
cette dernière décennie que le montant total de marchandises expédié dans
l’autre sens. Le déficit commercial de la France avec la Chine
s’est creusé pour atteindre 20 milliards de dollars en 2009, soit près de
quatre fois le niveau de 2000 (5,7 milliards de dollars. »
Durant la visite de Hu, les gouvernements français et
chinois ont signé de nombreux contrats d’affaires d’une valeur
estimée à quelques 20 milliards d’euros. Les entreprises françaises, tel
le groupe nucléaire Areva, le géant pétrolier Total, Airbus, la société
d’assurance AXA et l’équipementier télécom franco-américain
Alcatel-Lucent, ont tous signé des contrats avec les responsables chinois.
Conformément à son contrat, le groupe nucléaire public
français Areva fournira, par exemple, 20.000 tonnes d’uranium sur dix ans
au groupe chinois China Guangdong Nuclear Power Company (CGNPC) pour un montant
d’environ 2,5 milliards d’euros. Areva a aussi signé un accord avec
CGNPC pour construire une usine de retraitement des déchets nucléaires en
Chine.
Le géant pétrolier Total a signé un accord avec China
Power Investment Group Corporation pour construire conjointement en Chine une
usine pétrochimique de transformation du charbon grâce à un investissement de 3
milliards d’euros. Selon les articles de presse, Total fournira la
technologie visant à produire du plastique à partir de charbon gazéfié. Les
trois quarts de la production énergétique de la Chine viennent du charbon.
Après la signature des différents contrats
d’affaires et industriels entre les deux pays, la ministre française de
l’Economie, Christine Lagarde, a fait l’éloge de la visite de Hu
comme étant « une très belle réussite en termes de résultats. » Elle
a dit : « Les contrats » signés avec la Chine au cours de la
visite de son président sont « tout à fait satisfaisants, à la fois dans
le volume et la diversité ».
Quoiqu’il en soit, toutefois, les questions les plus
problématiques relatives à la politique et à l'économie mondiales se profilent
encore à l’horizon de façon menaçante.