Du 1er au 3 mars, le président russe Dmitry Medvedev,
accompagné d’hommes d’affaires, a effectué une visite commerciale et
diplomatique en France. Durant sa visite, la France et la Russie ont conclu
des accords commerciaux dans les domaines de l’énergie et de la production
manufacturière en entamant des négociations sur la vente de navires de
guerre français à la Russie. La France a recherché l’appui de la Russie pour
des sanctions plus fortes contre l’Iran en raison de son programme
nucléaire.
Le 1er mars, Medvedev a été reçu à l’Elysée par le président
français, Nicolas Sarkozy. Lors d’une conférence de presse conjointe avec
Medvedev, Sarkozy a dit : « Nous ne sommes plus dans la Guerre froide. Je
veux dire ma conviction que la Russie n’est pas l’adversaire, que la Russie
est le partenaire. »
Quant à Medvedev, il a dit : « Effectivement, nous avons des relations
stratégiques. La France est un partenaire de longue date de notre pays. » Au
sujet des investissements français en Russie, il a dit, « La République
française est maintenant devant les Etats-Unis. Cela signifie que nous
sommes sur une bonne voie. »
Selon des agences de presse russes, les investissements français en
Russie ont devancé pour la première fois les investissements américains avec
un total de 10,4 milliards de dollars. Les investissements français ont été
réalisés principalement dans les secteurs énergétique, du commerce de
détail, de l’automobile, des transports, du bâtiment, des assurances et
bancaire.
Sarkozy, qui a adopté une attitude belliqueuse à l’encontre de l’Iran, a
recherché le soutien de la Russie pour l’adoption de sanctions plus dures
contre l’Iran au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie et la Chine
rechignent pour le moment à appuyer toute mesure punitive de l’ONU contre
l’Iran.
Sur l’Iran, Medvedev a dit : « La Russie est prête avec ses partenaires
d’adapter des sanctions. Ces sanctions doivent être bien pesées et elles
doivent être des sanctions intelligentes. Elles ne doivent pas être tournées
contre la population civile, ces sanctions devraient être un dernier recours
quand le dialogue n’est plus possible. »
Sarkozy a annoncé que la France avait entamé des négociations exclusives
pour la vente de quatre navires de guerre amphibie de classe Mistral pouvant
embarquer jusqu’à 16 hélicoptères, des dizaines de tanks et 450 soldats.
Ceci a provoqué des critiques de la part de la Géorgie ainsi que de trois
pays baltes membres de l’OTAN – la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie. La
Géorgie a critiqué la France en disant que « la vente permettrait à Moscou
d’envahir en quelques heures n’importe quelle ancienne république soviétique
ou pays d’Europe de l’Est. »
Faisant allusion à la guerre russo-géorgienne de 2008 au sujet de
l’Ossétie du Sud, l’amiral russe, Vladimir Vyssotsky à déclaré au
Nezavissimaïa Gazeta : « Avec un navire de classe Mistral l’armée russe
aurait accompli l’ensemble de sa mission en 40 minutes au lieu de 26 heures
lors de la guerre d’Ossétie du Sud. »
Egalement le 1er mars, l’entreprise française GDF-Suez a signé
un accord commercial concernant le projet de gazoduc Nord Stream avec le
géant gazier russe Gazprom, le plus gros exportateur de gaz naturel du
monde. L’accord permettra à GDF-Suez de prendre une participation de 9 pour
cent dans le projet de gazoduc Nord Stream qui est construit pour relier la
Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Aux dires des entreprises,
l’accord signifie que Gazprom livrera à la France 1,5 milliards de mètres
cubes supplémentaires de gaz par an, à partir de 2015. Les entreprises
françaises de transport et les constructeurs automobiles ont également signé
des accords. La société française d’ingénierie Alstom a signé un contrat
pour le rachat de 25 pour cent du capital du constructeur ferroviaire russe
Transmashholding. Le 1er mars, le constructeur automobile Renault
a inauguré à Moscou avec un investissement de 150 millions d’euros sa
filiale russe Avtoframos plus performante; la capacité de production est
censée doubler pour passer à 160.000 véhicules par an d’ici 2011.
Plusieurs organes de presse français ont signalé que la visite de
Medvedev représentait un changement de la politique étrangère française. Ils
ont remarqué que Sarkozy – qui avait critiqué au moment des élections
présidentielles les violations des droits de l’homme commises par la Russie
et son rôle en Tchétchénie – est revenu vers une approche plus
traditionnelle de la Russie.
Comme le montre clairement les négociations sur l’Iran, ce virement a
lieu dans le contexte de la politique étrangère en général pro-américaine de
Sarkozy. Le quotidien Le Monde a remarqué que l’alignement de la
France avec la Russie visait à obtenir l’accord de cette dernière pour des
sanctions contre l’Iran en espérant que ceci convaincrait la Chine de ne pas
bloquer la résolution de l’ONU contre l’Iran.
Le 2 mars, Le Monde écrivait : « L’axe Paris-Moscou de 2010 n’est
pas celui de 2003, qui visait à contrer les Etats-Unis. Il s’agit, du point
de vue français, d’accompagner, voire de pousser plus loin le récent
durcissement de l’administration Obama face à l’Iran. Paris conçoit son rôle
comme un ‘aiguilleur’ des Occidentaux sur ce dossier de prolifération
et fait le calcul qu’un ralliement russe permettrait de convaincre les
Chinois de ne rien bloquer à l’ONU : »
Les négociations sur le Mistral ont eu, toutefois, un caractère
d’avertissement en direction des Etats-Unis. Le gouvernement français qui
avait négocié l’accord mettant fin à la guerre russo-géorgienne de 2008,
s’oppose à une confrontation militaire avec la Russie. Ceci se passe au
moment où Washington discute d’une éventuelle réouverture des bases de
missiles américaines dans des pays de l’Est tels la Roumanie et la Bulgarie.
Durant la période précédant la visite de Medvedev, la presse américaine
avait critiqué les projets français de vente de navires de classe Mistral à
la Russie. Le 3 février, le Washington Post écrivait: « Six sénateurs
républicains, dont John McCain (Arizona), avaient adressé en décembre une
lettre à l’ambassadeur français à Washington, Pierre Vimont, pour se
plaindre de ce que la vente était inappropriée parce qu’elle pourrait
suggérer que la France approuve le comportement de la Russie et que lettre
qualifiait de plus en plus belliqueux et hors la loi. »
Dans un éditorial publié le 15 février, le WashingtonPost
écrivait que la Russie « a rapidement manqué à ses promesses et occupe à ce
jour, en violation flagrante de l’accord de cessez-le-feu, une partie du
territoire géorgien. » Il ajoute, « nous trouvons étonnant que la réponse de
M. Sarkozy à cette violation russe soit de fournir un navire de guerre à la
marine russe. »
Durant la visite de Medvedev, Sarkozy a défendu la vente du Mistral. Il a
dit : « mais j’aimerais que l’on m’indique comment on peut dire aux
dirigeants russes : ‘On a besoin de vous pour faire la paix, on a besoin de
vous pour résoudre un certain nombre de crises dans le monde, notamment la
crise iranienne qui est une crise très importante, mais on ne vous fait pas
confiance, on ne travaille pas avec vous sur le Mistral, sur le BPC
[bâtiment de projection et de commandement, ndt] Quelle est la cohérence
d’un tel choix ? Peut-on dire le matin au président Medvedev : ‘je vous fais
confiance, votez avec nous au Conseil de sécurité, élaborons ensemble la
même résolution’ puis l’après-midi lui dire : ‘non non, excusez-nous, comme
on ne vous fait pas confiance, on ne travaille pas ensemble et le BPC, on ne
vous le livre pas.’ »
Le revirement de la politique française reflète aussi l’éclatement de la
crise de l’endettement en Europe méridionale, basée sur le refus des marchés
financiers de prêter de l’argent au gouvernement grec. L’Espagne et la
Portugal, et éventuellement l’Italie, sont également visés par les marchés
et sont en train de préparer des mesures d’austérité contre les acquis
sociaux. Ces événements portent un sérieux coup à la politique étrangère de
Sarkozy en Europe qui avait été centrée sur des discussions concernant une
éventuelle Union méditerranéenne.
Une grande partie des commentaires de presse se consacrent à la montée de
tensions avec l’Allemagne. Le 15 février, le New York Times avait
souligné « le fort sentiment existant au sein de l’élite française de porter
traditionnellement son attention vers la Méditerranée tout en laissant
l’Allemagne porter son intérêt à l’Europe de l’Est, risque de devenir un
sérieux problème politique et économique. »
Le journal droitier Le Figaro a commenté : « La France comme la
Russie ont de bonnes raisons de penser qu’elles peuvent avoir besoin l’une
de l’autre dans un monde transformé par la crise financière. » Et
d’ajouter : « Notre pays entend profiter des possibilités offertes par le
marché russe et ne peut se permettre de laisser le champ libre à l’Allemagne
qui, depuis déjà des années, a fait le choix que nous faisons aujourd’hui. »
Pour poursuivre en disant : « Septième investisseur en Russie et neuvième
exportateur, la France doit absolument faire mieux. »
Quelles que soient les implications finales, les accords franco-russes
soulignent les tensions grandissantes et les incertitudes de la politique
mondiale – comme le révèlent les tentatives des responsables français de
commenter l’histoire de l’amitié franco-russe.
Après son atterrissage à Paris, Medvedev a franchi le Pont Alexandre III,
nommé d’après le tsar qui avait signé en 1982 l’alliance franco-russe. En
grande partie dirigée contre l’Allemagne, cette alliance avait encouragé la
France à intensifier ses investissements en Russie et avait joué un rôle
crucial dans le déclenchement de la Première guerre mondiale. Les
Bolcheviques avaient répudié les dettes à l’égard de la France après la
Révolution d’Octobre en Russie, la France ayant contribué à organiser une
intervention militaire internationale des puissances impérialistes contre le
jeune régime soviétique. En 1927, le gouvernement français de Raymond
Poincaré suspendait les négociations sur les dettes qui demeurent à ce jour
une question politique en France.
En commentant la visite de Medvedev, le journal La Croix a
remarqué qu’une association de créanciers français des emprunts russes
continue « de demander des comptes à la Russie pour ces créances datant
d’avant la révolution bolchevique. » Ces créanciers estiment que « le
montant de la dette serait aujourd’hui de 75 milliards d’euros. C’est bien
plus que les 300 millions d’euros touchés par la France en 1996. »
Des milieux gouvernementaux français ont signalé que la question ne
serait pas soulevée lors des négociations avec Medvedev. Toutefois, le
gouvernement français maintient que des créanciers privés ont encore le
droit d’exiger un remboursement de la Russie.