La promulgation le mois dernier dans l’Etat
d’Arizona d’une loi ciblant les immigrés et visant à les soumettre
à la persécution de la police a relancé un débat au sein des médias et des
cercles de l’establishment politique quant au statut de plus de 12
millions de travailleurs sans papiers vivant aux Etats-Unis.
La majeure partie du débat se concentre sur la tentative
délibérée d’utiliser les travailleurs immigrés, l’une des sections
les plus opprimées de la classe ouvrière, comme boucs émissaires pour la hausse
du chômage, les baisses des salaires et la rapide dégradation des conditions de
vie auxquelles est confrontée la population laborieuse partout aux Etats-Unis.
Le gouvernement Obama et d’influents élus démocrates
du Congrès, tout en désavouant publiquement la loi de l’Arizona,
s’en sont servi pour déplacer encore davantage vers la droite leur propre
politique d’immigration en exigeant une militarisation accrue de la frontière
entre le Mexique et les Etats-Unis ainsi qu’une intensification de la
répression des travailleurs sans papiers vivant aux Etats-Unis en les obligeant
à reconnaître avoir commis des délits et à payer des amendes excessives avant
de rejoindre « la queue » de ceux qui demandent un statut légal.
De plus, comme condition nécessaire à l’obtention
d’un travail, les démocrates réclament l’introduction d’une
carte d'identité nationale biométrique, conférant ainsi au gouvernement un
puissant instrument digne d’un Etat policier pour surveiller chaque
section de la classe ouvrière, qu'elle soit de souche ou immigrée.
Ce virage réactionnaire des deux partis a suscité la
colère populaire et des centaines de milliers de personnes sont descendues le 1er
mai dans la rue partout dans le pays pour réclamer la fin de la répression anti
immigrés et les pleins droits égaux pour tous.
Le chauvinisme anti immigrés est une arme politique entre
les mains de l’élite dirigeante et des démagogues droitiers qui défendent
leurs intérêts non seulement aux Etats-Unis mais dans tous les pays du monde.
Le gouvernement français a tenté de monter la population contre les immigrés
musulmans en prônant l’interdiction totale, dans tous les espaces
publics, du port de la burqa, ou voile intégral. La Belgique a déjà entériné
cette interdiction. En Grande-Bretagne, les syndicats organisent des grèves à
l’encontre des travailleurs étrangers. Et il y a eu des émeutes anti
immigrés en Italie et en Hongrie l’on a assisté à des tentatives
d’attiser des pogromes contre la minorité rom.
Une forme particulièrement insidieuse de l’agitation
anti immigrés est la tentative de promouvoir une répression contre les immigrés
en renforçant le contrôle aux frontières au nom de la défense des conditions
des travailleurs du pays contre la concurrence de la main-d’œuvre à
bas salaire.
Ces dernières semaines, le World Socialist Web Site a reçu un certain nombre de courriers de lecteurs en
réaction à nos déclarations sur la loi en Arizona et aux manifestations du 1er
mai et qui reflètent précisément ce point de vue.
« Vous n’êtes pas en faveur de la classe
ouvrière aux Etats-Unis, » remarque un lecteur. « Face à une économie
en rapide déclin, et qui s’effondre peut-être même, et à une multitude de
crises des matières premières se pointant à l’horizon, quelque chose doit
être fait pour mettre un frein à la surabondance de population et de travail à
salaire extrêmement bas. »
« L’afflux énorme de travailleurs sans papiers
va détruire tous les acquis sociaux conquis par la classe ouvrière américaine
au 20ème siècle, » a précisé un autre lecteur.
Et un autre encore écrit: « Tout en éprouvant de la
sympathie pour le sort de la population minée par la pauvreté en Amérique
latine, aucun Etat sur terre ne peut simplement ouvrir ses portes à un afflux
incontrôlé d’étrangers, 11 millions ‘de clandestins’ selon
des évaluations prudentes. Les Etats-Unis n’ont pas appliqué leurs lois
parce que les grandes entreprises et les industries peuvent verser de bas salaires
aux étrangers illégaux (fixés souvent en-dessous du salaire minimum) tout en
les excluant de toute assurance maladie ou autre prestation sociale et
s’en tirer à bon compte. »
Ce qui est commun à tous ces commentaires, mis à part leur
différent degré de sympathie vis-à-vis des immigrés sans papiers, c’est
l’opinion que les conditions de vie de la classe ouvrière aux Etats-Unis
pourraient être défendues en accroissant le pouvoir de l’Etat et en
renforçant les frontières américaines, en refusant l'entrée aux immigrés pour
soi-disant défendre les niveaux nationaux du travail. A ceci s’ajoute
l’indéniable constatation que le patronat américain est pour le moins
profondément divisé sur la question de l’immigration en raison de sa
capacité à exploiter les travailleurs immigrés en tant que
main-d’œuvre bon marché.
L’agitation anti immigrés connaît une longue et
hideuse tradition aux Etats-Unis, dont les campagnes contre les travailleurs
irlandais et allemands au 19ème siècle et les travailleurs italiens,
d’Europe de l’Est et chinois au début du 20ème siècle. A
chaque fois, ces campagnes avaient pour but de diviser la classe ouvrière en
réprimant leurs couches les plus combatives – dont faisaient souvent
partie les immigrés eux-mêmes – afin de contenir et de réprimer les
luttes sociales.
La perspective nationaliste exprimée dans ces lettres au
WSWS et l’appel adressé au gouvernement américain pour défendre les
conditions de vie des travailleurs américains contre une soi-disant menace
« étrangère » correspond fortement à la politique « les Etats-Unis
d’abord » pratiquée par la bureaucratie syndicale américaine et les
divers groupes petits bourgeois gravitant autour d’elle.
Ces arguments partent de la supposition que rien ne peut
être fait contre la pénurie qui est créée par la monopolisation par une infime
élite financière de la richesse mondiale et de la conviction que la misère qui
en découle pourrait être soulagée en chassant les travailleurs immigrés.
La politique chauvine mise en avant par l’AFL-CIO
(la centrale syndicale américaine) s’est révélée n’être rien moins
qu’un instrument pour imposer la suppression des emplois, la réduction
des salaires et la dégradation des conditions de travail. Les bureaucrates
syndicaux jurent de défendre les « emplois américains » en imposant
des réductions de salaires, des licenciements de masse et en faisant des
concessions pour rendre, aux Etats-Unis, les coûts de main-d’œuvre
plus compétitifs qu’en Chine, en Europe de l’Est, au Mexique et
dans d’autres parties du monde et où les groupes transnationaux américains
ont délocalisé leur production.
L’idée que l’afflux de main d’œuvre
immigrée à bas salaire est responsable du déclin de la position de la classe
ouvrière américaine est contredite par le bilan réel de ce processus.
L’intégration mondiale sans précédent du capitalisme a rendu possible une
rationalisation de la production et une dégradation des salaires et des
conditions aux Etats-Unis et partout dans le monde. L’augmentation de
l’immigration à la fin du 20ème siècle a été le produit
– et non la cause – de ce processus et de son impact
particulièrement fort dans les pays les plus opprimés, et dont un facteur
important a été la destruction de l’agriculture paysanne au Mexique.
Ce ne sont pas les travailleurs immigrés –
contraints de risquer leur vie en franchissant des frontières de plus en plus
dangereuses et militarisées – qui ont détruit les emplois et les
conditions de travail aux Etats-Unis. Mais plutôt, le système capitaliste dans
lequel l’économie mondiale est subordonnée aux intérêts de profit de
l’élite patronale et financière et dans lequel le capital n’a pas
besoin de passeport pour se déplacer en un rien de temps d’un pays à
l’autre en quête de main-d’œuvre bon marché.
Ce n’est qu’en s’unissant
internationalement que la classe ouvrière des Etats-Unis ou de n’importe
quel autre pays pourra mener une lutte victorieuse contre les entreprises
capitalistes opérant mondialement en avançant sa propre solution à la crise
économique mondiale: la réorganisation de l’économie mondiale dans le but
de satisfaire les besoins de la société et non du profit privé. Cette unité
doit commencer par le rejet de toutes les tentatives de division entre les
travailleurs du pays et les travailleurs immigrés, indépendamment de leur
statut légal en défendant la liberté de tous les travailleurs de vivre et de
travailler dans le pays de leur choix tout en disposant de pleins droits égaux
pour tous.
Compter sur des frontières nationales hermétiques, le
protectionnisme économique et un durcissement de la loi sur l’immigration
pour créer une sorte de « forteresse Amérique » ne fera
qu’intensifier les attaques contre la classe ouvrière à l’intérieur
du pays tout en ouvrant la voie à une nouvelle guerre impérialiste mondiale.
Les travailleurs aux Etats-Unis et dans tous les autres
pays ne pourront éviter une telle catastrophe qu’en menant une lutte
commune pour la réorganisation révolutionnaire socialiste de l’économie
mondiale. Ceci requiert la construction d’un parti mondial de la
révolution socialiste, le Comité international de la Quatrième Internationale.