WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient
Dans le cadre de sévères mesures de sécurité motivées par la divulgation d'une vidéo politiquement dommageable d'un massacre par l'armée américaine en Irak, les responsables du Pentagone ont annoncé la détention du soldat Bradley Manning et l'intensification des efforts pour trouver Julian Assange, le fondateur du site web WikiLeaks.
Le 7 juin, des fonctionnaires du département de la Défense ont confirmé que Manning était séquestré au Koweït « pour avoir prétendument divulgué des informations confidentielles ». Trois jours plus tard, des enquêteurs du Pentagone ont raconté au site web Daily Beast qu'ils étaient à la recherche d'Assange, dans une enquête liée à Manning. Le fondateur de WikiLeaks, d'origine australienne, devait donner des conférences la semaine dernière à New York City et Las Vegas, mais il les a annulées, invoquant des « considérations de sécurité ».
WikiLeaks, qui sollicite des fuites sur les gouvernements et la criminalité des grandes sociétés à travers le monde et qui les rend publiques sur Internet, a publié en avril une version décryptée et modifiée de la vidéo sur un site web spécial intitulé « Meurtre collatéral » (Collateral Murder). La vidéo originale avait été filmée par l'armée américaine en 2007 lors d'une attaque d'hélicoptère dans la partie est de Bagdad qui avait fait 15 morts, dont deux journalistes de Reuters.
La vidéo, au cours de laquelle on peut entendre les communications radio de soldats américains blaguant sur le massacre d'Irakiens, a provoqué l'indignation à travers le monde et a été répondu par une violente contre-attaque de l'armée et de l'appareil du renseignement des Etats-Unis. Le secrétaire à la Défense Robert Gates a dénoncé la divulgation de la vidéo, bien qu'il ait admis que les images avaient été produites par l'armée américaine et qu'elles n'avaient pas été falsifiées.
Selon des articles de journaux, Manning a été emprisonné le 26 mai après avoir fait l'erreur de se confier à quelqu'un qu'il connaissait par le web, Adrian Lamo, un pirate informatique expérimenté. Manning avait confié à Lamo que, en travaillant en tant qu'analyste du renseignement militaire dans l'armée, à la base d'opérations avancée Hammer à l'est de Bagdad, il avait pu accumuler une quantité importante de documents et communications internes de l'armée et du département d'Etat, y compris les images originales avec lesquelles « Meurtre collatéral » a été produit. Lamo a par la suite dénoncé Manning à l'armée et au FBI.
Manning serait détenu dans un complexe militaire au Koweït. Plusieurs disques durs lui ayant été confisqués sont arrivés à Washington jeudi et sont actuellement analysés par des experts informatiques du gouvernement afin de déterminer quels documents Manning a téléchargés et ce qu’il en a fait.
Manning s’est enrôlé dans l’armée en 2007 et avait l'autorisation d'accéder à des documents top secret. Il aurait dit à Lamo qu’il cherchait dans les réseaux militaires et gouvernementaux depuis plus d’un an et avait trouvé des « chose incroyables, de terribles choses… qui appartiennent au domaine public et non pas dans des serveurs stockés dans une chambre noire à Washington DC ».
En plus de la vidéo qui est devenue « Meurtre collatéral », Manning a dit avoir fourni à WikiLeaks une deuxième vidéo montrant une attaque aérienne américaine datant de mai 2009 près du village de Garani en Afghanistan, dans laquelle plus de cent personnes ont été assassinées, y compris des enfants.
L’investigation de l’armée et du FBI se concentre surtout sur la revendication de Manning d’avoir téléchargé quelque 260.000 télex diplomatiques secrets, qu’il a décrits comme montrant « des négociations politiques secrètes quasi criminelles ». Manning a ajouté, selon un courriel envoyé à Lamo, « Hillary Clinton et plusieurs milliers de diplomates à travers le monde vont avoir une crise cardiaque le matin où ils vont se réveiller et découvrir que tout un magasin de documents secrets de la politique étrangère est maintenant disponible à la population. »
WikiLeaks a nié être en possession des 260.000 télex secrets. Assange aurait offert une aide financière pour la défense de Manning.
La détention de Manning et la poursuite d’Assange doivent être opposées par tous ceux qui défendent les droits démocratiques. La population américaine et la population du monde entier ont le droit de connaître les crimes commis par l’armée et l’appareil du renseignement des Etats-Unis sous les ordres du président américain.
L’attaque contre Wikileaks et ses collaborateurs fait partie d’une campagne plus large menée au nom de la sécurité par l’administration Obama. Comme il a rapporté dans le New York Times cette semaine, la Maison-Blanche a décidé de poursuivre Thomas Drake, de l’Agence de sécurité nationale (NSA), parce qu’il a voulu exposer la mauvaise gestion financière du NSA en coulant des informations à un journaliste du Baltimore Sun.
Selon cet article du New York Times, « L’accusation qui a été portée contre M. Drake constitue la plus récente preuve que l’administration Obama est plus agressive que l’administration Bush pour chercher à punir les coulages à la presse non autorisés. Depuis les 17 mois où il a été au pouvoir, le président Obama a déjà fait plus que tout président précédent dans les poursuites des coulages non autorisés. »
Cette augmentation des poursuites contre les coulages est survenu la même semaine que la publication d’un rapport de Médecins pour les droits de l’Homme que des médecins travaillant pour la CIA ont collaboré avec les interrogateurs qui torturaient les prisonniers. Les médecins supervisaient les sessions de torture pour assurer que les prisonniers ne soient pas tués — pour qu’ils puissent continuer à être interrogés et torturés — et pour raffiner les méthodes utilisées pour qu’elles soient plus souffrantes et efficaces. Le titre du rapport est très parlant : « Expériences en torture : projet de recherche sur les sujets humains et preuve de l’usage du programme d’interrogation « amélioré » ».
L’administration Obama cherche à mettre fin aux coulages, non parce qu’elle craint que la vie de soldats américains pourraient être mise en danger, mais pour les mêmes raisons que l’administration Bush : les hauts responsables du gouvernement — au Pentagone, à la CIA, à la NSA et à la Maison-Blanche elle-même — pourraient être accusés de crimes de guerre, soit aux États-Unis ou par un tribunal international, à cause de preuves provenant de ce type de révélation.
La famille de ceux qui ont été tués lors de l’attaque à l’hélicoptère en Irak a critiqué la détention de Manning. Nabil Noor-Eldeen, dont le frère Namir était un des employés de Reuters qui ont été tués lors de l’assaut, a dit à la presse : « La justice est ce que ce soldat a fait en dévoilant ce crime contre l’humanité. L’armée américaine devrait le récompenser, pas l’arrêter. »
Manning n’est pas un criminel, mais de toute évidence, quelqu’un qui était répugné par les crimes commis par « son » armée et « son » gouvernement. Le World Socialist Web Site se joint à ceux qui demandent que Manning soit relâché sans accusations. Nous demandons aussi la fin de toutes les tentatives d’enquêter sur Julian Assange et les autres activistes de WikiLeaks ou de les empêcher de continuer leurs activités.
(Article original anglais paru le 14 juin 2010)