La grève des contrôleurs aériens s'est étendue hier dans un climat
d'opposition des travailleurs du transport aérien de toute l'Europe à la
rationalisation de l'industrie à leurs dépens.
Les contrôleurs aériens avaient fait deux jours de grève en janvier
dernier et poursuivent le mouvement avec cette grève de quatre jours lancée
mardi, en pleine période de vacances scolaires. Le premier jour, mardi, la
grève a touché les aéroports de Paris, clouant au sol 50 pour cent des
avions à Orly et 25 pour cent à l'aéroport Charles de Gaulle. En province,
les aéroports de Pau, Grenoble et La Rochelle ont été fermés. A Lyon-Saint
Exupéry, 43 vols sur 345 ont été annulés.
La grève a aussi perturbé des vols qui traversent l'espace aérien
français au départ d'autres aéroports dont celui d'Amsterdam, Bruxelles et
Genève. Lufthansa a aussi fait état de retards sur les avions devant
survoler la France.
Mercredi matin, les pourcentages étaient similaires dans les aéroports
parisiens tandis qu'aucun avion ne décollait de Rennes, Lille, La Rochelle
et Biarritz et que l'on comptait 44 annulations à l'aéroport de Lyon, 25 à
Marseille et 34 à Nice. Les contrôleurs aériens étaient aussi en grève en
Grèce le même jour contre les sévères mesures d'austérité imposées par
l'Union européenne au gouvernement social-démocrate grec, afin de réduire la
dette de la Grèce et éviter le défaut de paiement.
Les contrôleurs aériens seront rejoints par les pilotes d'Air France qui
seront en grève pendant quatre jours à partir de vendredi contre la
réorganisation de la compagnie et le report de l'âge de la retraite. De
graves perturbations sont attendues sur les vols durant ce week-end de
vacances.
Il y a aussi une autre grève en cours, celle des marins syndiqués des
compagnies SNCM et la CMN qui relient la France, et particulièrement le port
de Marseille, à la Corse. Le financement a été réduit de 10 pour cent en
2009, ce qui a conduit à la suppression de 108 traversées sur un total de
400 traversées annuelles.
L'intersyndicale des contrôleurs aériens a été convoquée par le
gouvernement mercredi afin de tenter de mettre fin à la grève.
L'intersyndicale a déclaré que la grève se poursuivra «en attente des
garanties nécessaires.»
Cette déclaration est intervenue au moment où les syndicats annonçaient
hier la levée de la grève contre la compagnie pétrolière Total, bien que le
gouvernement et la direction n'aient pas accordé la revendication centrale
de la grève, c'est à dire que toutes les six raffineries Total de France
restent ouvertes.
Les travailleurs sont en grève contre un projet de rationalisation du
contrôle de l'espace aérien européen, le projet FABEC (Bloc d'espace aérien
fonctionnel d'Europe centrale) dans la crainte que cela conduira à des
suppressions d'emplois de grande envergure et à des attaques contre les
conditions de travail.
La sécurité aérienne est la responsabilité de la DGAC (Direction générale
de l'aviation civile.) Les travailleurs craignent que ce projet ne conduise
au démantèlement de la DGAC et ne menace les emplois et le statut de
fonctionnaire des 12 000 membres du personnel, dont 4 400 sont des
contrôleurs aériens. Ils s'opposent aussi à l'important projet de réduction
des postes prévu pour 2010 et 2011 faisant partie de la RGPP (révision
générale des politiques publiques) comprenant le non remplacement d'un
départ à la retraite de fonctionnaire sur deux.
Le projet FABEC avait été annoncé après un sommet européen de l'aviation
civile le 18 novembre 2008. Un rapport des débats du sommet faisait
remarquer que « dans le contexte de la crise financière actuelle et du
ralentissement économique, » l'espace aérien de six pays européens,
l'Allemagne, la France, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg et la
Suisse, devrait fusionner.
L'armée est étroitement impliquée avec la FABEC. La DGAC fait remarquer:
«Les autorités publiques civiles et militaires responsables de l'espace
aérien et de la direction du trafic aérien, les chefs d'état-major de
l'armée de l'air et les directeurs du trafic aérien se sont rencontrés lors
d'une conférence de haut niveau à Paris le 21 janvier 2010 pour réfléchir
aux questions majeures de l'interface militaire-civile qui sont en jeu dans
le projet FABEC. »
Actuellement, le ciel européen reste divisé en 27 différents espaces
aériens nationaux sous le contrôle de gouvernements nationaux: «Cette
fragmentation force les compagnies aériennes à zigzaguer entre 27 espaces
aériens différents, chacun équipé d'un fournisseur de service de navigation
aérienne fondé sur une réglementation différente, ce qui allonge les temps
de vol et donc augmente la pollution et les coûts pour les opérateurs... [Le
plan FABEC inclut] des objectifs de performance contraignants pour les
fournisseurs de service de navigation aérienne et la date butoir de 2012
pour que les Etats membres mettent en place entre eux une coopération par
delà les frontières au moyen de 'blocs d'espace aérien fonctionnels' (FAB) »
Le projet FABEC menace clairement de procéder à des attaques d'envergure
en dépit d'une augmentation notoire du trafic aérien. La zone FABEC s'attend
à une augmentation du trafic aérien de quelque 50 pour cent d'ici 2018. Ce
projet, selon l'étude de faisabilité de juillet 2008 de la DGAC, est censé
économiser «7 milliards d'euros d'ici 2025, réduire de moitié le coût du
contrôle aérien, augmenter la sécurité par un facteur de 10 et réduire
l'impact sur l'environnement de 10 pour cent par vol. »
La DGAC fait remarquer que les pertes d'emplois dépendront de la manière
dont l'intégration se fera: «Dans un modèle n'utilisant que la coopération
contractuelle, l'impact sur les conditions de travail et le personnel sera
limité. Si l'on envisage l'intégration dans une alliance, certaines
fonctions risquent d'être centralisées et il sera nécessaire de déterminer
l'impact au niveau des organisations individuelles. » La DGAC appelle à
«l'implication des partenaires sociaux dans le processus de dialogue, »
autrement dit à ce que les syndicats négocient avec la direction pour
planifier la mise en place des attaques.
Les ministres du gouvernement ont cherché à minimiser le risque de
davantage de suppressions d'emplois découlant du projet FABEC et ont appelé
à rapidement mettre fin à la grève.
Le contexte politique de cette grève des contrôleurs aériens est la crise
européenne de la dette centrée sur la Grèce. Avec l'Allemagne et la France
qui exigent des mesures d'austérité à l'encontre de la Grèce en échange d'un
renflouement, la question est directement posée: Peut-on laisser les
institutions européennes entre les mains de l'aristocratie financière, ou
bien doivent-elles être subordonnées aux besoins sociaux de la classe
ouvrière?
Comme le démontre la récente expérience des travailleurs de Total, un
obstacle majeur confrontant la classe ouvrière dans sa lutte pour la défense
de son niveau de vie est la traîtrise politique des syndicats qui cherchent
à tout prix à isoler et étouffer les luttes dans différents secteurs. Ceci
souligne l'importance cruciale d'une perspective socialiste pour unifier la
classe ouvrière européenne en lutte contre les gouvernements et les
syndicats.
Le gouvernement français espère encore que les syndicats seront en mesure
d'isoler et de trahir la grève des contrôleurs aériens. Après une réunion
avec les syndicats, le ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo a dit: « il
s'agit de rassurer les personnels sur le maintien de leurs statuts, sur le
futur statut de l'organisme (européen) qui doit être mis à l'étude et
d'écouter tous les acteurs du système aérien français dans ce qu'ils ont à
proposer. »
Un peu plus tôt le même jour, Borloo avait dit qu'il espérait «que dans
les heures qui viennent, ce conflit (...) sera réglé, je l'espère d'ici la
fin de la journée. »
Un article du quotidien conservateur Le Figaro du 23 février
accusait les contrôleurs aériens d'organiser dans l'illégalité des
arrangements dans la journée de travail, réduisant leur charge de travail et
mettant en danger la sécurité du trafic. Cet article se fondait sur un
rapport hostile de la Cour des comptes, organisme de surveillance des
finances de l'Etat.
Il est significatif que les représentants du gouvernement n'aient pas osé
critiquer ouvertement les grévistes. En réponse à l'article du Figaro,
le secrétaire d'Etat aux Transports Dominique Bussereau a dit, «Les
contrôleurs sont des fonctionnaires d’élite, des gens très sérieux. » Il a
ajouté que «Depuis 1973, aucun accident dû aux contrôleurs n’a eu lieu en
France. »
Mais il est clair que le gouvernement et la direction des aéroports
espèrent faire passer les attaques en faisant preuve de patience face à la
grève. Le 22 février, l'Union des aéroports français a fait une déclaration
avertissant que «Cette grève sera lourde de conséquences pour les passagers,
les les compagnies aériennes et les aéroports. » Cette déclaration met
l'accent sur le fait que «le transport aérien français fait face à un manque
de compétitivité, » faisant remarquer que la France «se situe au quatrième
rang en Europe en terme de trafic. »
La déclaration conclut avec arrogance: «Les personnels de l'aviation
civile doivent sortir de leur syndrome de 'la tour assiégée ' pour mieux
prendre pied dans la réalité. »