Le parti au pouvoir, l’UPFA (Alliance pour la liberté des peuples unis),
a obtenu une très forte majorité de sièges aux élections législatives qui se
sont déroulées jeudi 8 avril. Mais ce qui a choqué les médias et
l’establishment politique ce fut une abstention historiquement basse et
un déclin du soutien de tous les principaux partis bourgeois, signes d’un
mécontentement et d’une aliénation largement répandus dans la population
laborieuse.
Le taux de participation est tombé à 52 pour cent, le plus mauvais depuis
l’indépendance en 1948 – le précédent taux le plus faible avait été de 64
pour cent. Dans le district de Jaffna, à la pointe nord de l’île où les gens
ont souffert de la guerre civile durant un quart de siècle, le taux de
participation était encore plus bas -- à peine 23 pour cent -- dénotant un
écoeurement vis-à-vis de tous les partis, y compris ceux qui prétendent
représenter les intérêts de la minorité tamoule.
Les résultats ont été finalisés dans 20 des 22 districts électoraux. Le
décompte a été suspendu à Kandy et à Trincomalee à la suite d’allégations
selon lesquelles des nervis de l’UPFA avaient empêché des partisans de
l’opposition de voter dans des dizaines de bureaux de vote. Jusque-là, l’UPFA
a obtenu 117 sièges sur les 225 que compte le parlement. Son nombre total de
sièges est censé augmenter une fois le décompte des deux districts manquants
finalisé et les 29 sièges des listes nationales attribués.
Les voix pour l’UPFA s’étaient concentrées dans les districts ruraux,
selon le schéma du vote de l’élection présidentielle de janvier. Le
gouvernement avait exploité la victoire de l’armée sur les LTTE (Tigres de
libération de l’Eelam tamoul) dans le but de fomenter des tentions
communautaristes. Mais le principal facteur de la défaite électorale des
deux partis d’opposition, l’UNP (United National Party) et le JVP (Janatha
Vimukthi Peramuna), avait été leur manque de divergences fondamentales avec
le gouvernement ; tous deux avaient soutenu la guerre et le programme
économique pro-libéral de celui-ci.
Le président Mahinda Rajapakse s’est immédiatement vanté de ce que
« cette victoire remarquable est une approbation de Mahinda Chintana [Vision
Mahinda] ». Manifestement, c’était une victoire creuse. Le score de l’UPFA a
chuté d’environ un million par rapport à l’élection présidentielle d’il y a
à peine deux mois. Son soutien général (mis à part Kandy et Trincomalee) ne
représente qu’environ 30 pour cent des votes enregistrés.
Le gouvernement avait fait une campagne intensive pour l’obtention d’une
majorité des deux tiers, requise pour amender la constitution et consolider
le régime autocratique de Rajapakse. Le ministre des Transports, Dulles
Alahapperuma, a dit hier aux médias que l’UPFA s’attendait à manquer la
majorité des deux tiers de 10 à 12 sièges. Une fois les résultats finalisés,
toutefois, le gouvernement tentera d’inciter les parlementaires de
l’opposition à changer de camp.
Le premier point au programme du gouvernement sera le budget qui a été
repoussé depuis novembre. Malgré les affirmations de Rajapakse d’avoir
apporté la paix et la prospérité, l’économie a été durement touchée par la
crise économique mondiale et lourdement grevée de dettes. Le gouvernement
avait été obligé l’année dernière de contracter un prêt de 2,6 milliards de
dollars auprès du FMI qui exige des mesures d’austérité, telle une réduction
de moitié du déficit budgétaire d’ici l’année prochaine.
Les résultats électoraux portent un coup sévère aux partis d’opposition.
Durant l’élection présidentielle de janvier, l’UNP et le JVP s’étaient unis
autour d’un candidat commun, l’ancien commandant en chef de l’armée, Sarath
Fonseka. En soutenant Fonseka, ils avaient espéré surpasser Rajapakse dans
leur soutien à l’armée victorieuse. Fonseka avait été le général responsable
de la guerre criminelle menée par le gouvernement Rajapakse et qui avait
coûté la vie à des milliers de civils tamouls durant les derniers mois de
guerre.
Cette alliance électorale a scissionné après l’élection présidentielle,
l’UNP et le JVP faisant campagne séparément lors des élections législatives.
Le JVP avait formé sa propre Alliance démocratique nationale (DNA) avec
Fonseka qui fut arrêté sur la base d’accusations fabriquées ; on l’accusa
d’avoir fomenté un coup d’Etat avec des dizaines de ses partisans. Il a été
placé en détention militaire pour comparaître devant une cour martiale non
pas pour répondre aux accusations de coup d’Etat, mais à celles d’engagement
dans une activité politique alors qu’il portait encore l’uniforme et
d’implication dans des affaires de corruption.
Si on laisse de côté les districts de Kanda et de Trincomalee, la somme
des résultats obtenus par l’UNP et le JVP aux élections de jeudi était de
1,2 millions inférieure au résultat de l’élection présidentielle (3,7
millions de voix). Reconnaissant la défaite, le secrétaire générale de
l’UNP, Tissa Attanayake, a dit que le parti ne défierait pas la légitimité
des résultats et se réorganiserait « pour attirer les électeurs à
l’avenir. »
L’UNP n’a obtenu que 41 sièges jusque-là. Après les élections de 2004, il
comptait 81 parlementaires et constituait le groupe parlementaire le plus
large. L’UPFA qui avait assuré la présidence avait toutefois constitué une
coalition instable en incitant, durant la période qui s’ensuivit, des
dizaines de membres de l’UNP ainsi que de petits partenaires de la
coalition, à rejoindre le gouvernement.
Les travailleurs n’ont pas voté pour l’UNP pour la simple raison qu’ils
ne le considèrent pas comme une alternative au gouvernement Rajapakse. L’UNP
est le plus ancien parti de la bourgeoisie sri lankaise et fut responsable
du déclenchement de la guerre contre les LTTE en 1983. Il est connu pour sa
politique pro-patronale et son bilan d’attaques impitoyables contre les
droits démocratiques. L’UNP avait appuyé la reprise de la guerre par
Rajapakse et soutenu l’incarcération, après la défaite des LTTE, d’un quart
de million de civils tamouls.
Pour le JVP, les résultats électoraux, à peine supérieurs à 5 pour cent,
sont dévastateurs. Le nombre des sièges du JVP va passer de 27 à 5 ou à 6
pour le DNA. Les districts de Hambantota et de Matara, dans le Sud de l’île,
passaient pour être des bastions du JVP mais le parti a subi une déroute
dans la plupart des régions rurales, y compris dans le Sud. Le DNA ne fut en
mesure de gagner qu’une poignée de sièges à Colombo, Gampaha et Kalutara. Il
pourrait bénéficier d’un siège supplémentaire de la liste nationale.
Le JVP est totalement discrédité parmi les couches de la population qui
l’avaient considéré comme une alternative aux deux principaux partis, l’UNP
et le parti de Rajapakse, le Sri Lanka Freedom Party (SLFP) qui dirige
l’UPFA. Les électeurs avaient commencé à se détourner du JVP à partir de
2004 lorsque le SLPF était entré au gouvernement et avait soutenu sa
politique rétrograde. Le JVP avait tenté de récupérer un certain soutien en
soutenant Rajapakse lors de l’élection présidentielle de 2005 mais il connut
une scission en 2008 sur la question de rejoindre ou non le gouvernement de
celui-ci, perdant ainsi 12 parlementaires. Il est à présent largement
considéré comme étant juste un autre parti opportuniste de
l’establishment politique de Colombo.
Dans le Nord et dans l’Est, la faible participation est un critère de la
répulsion et de la colère ressenties à l’égard des partis tamouls, y compris
l’Alliance nationale tamoule (TNA) qui avait fait figure de porte-parole des
LTTE. Lors de l’élection présidentielle, le TNA avait soutenu Fonseka comme
un soi-disant moindre mal par rapport à Rajapakse. Lors de l’élection de
jeudi, il a remporté 12 sièges et pourrait en récolter plusieurs autres une
fois les résultats de Trincomalee connus, mais il n’a plus l’allégeance
d’une grande majorité de l’électorat tamoul.
L’establishment médiatique et politique cherche en général à
obscurcir la signification du faible taux de participation partout dans
l’île. Dans une explication bizarre, le ministre des Transport,
Alahapperuma, a blâmé les partis d’opposition en disant que s’ils avaient
« fait une campagne plus agressive dans les provinces, la participation au
vote des électeurs aurait été bien plus forte. »
Le secrétaire général de l’UNP, Attanayake, a attribué les résultats
électoraux à l’apathie des électeurs disant « la fréquence avec laquelle le
gouvernement a organisé des élections et les coûts élevés pour le pays » ont
fait que « les gens ont perdu intérêt et adopté une attitude indifférente. »
Un article du journal Daily Mirror a exprimé le même ordre d’idées en
remarquant que la décision d’organiser des élections présidentielles juste
avant les élections législatives « avait entraîné une forte baisse de la
participation des gens au vote d’hier. »
En réalité, les résultats révèlent un gouffre énorme entre la masse des
travailleurs et l’establishment politique. Les travailleurs, les
jeunes et la population pauvre des campagnes ne croient plus les fausses
promesses faites par les grands partis et nombre d’entre eux ont exprimé
leur aliénation et leur colère en n’allant pas voter. Le résultat de cette
élection annonce le déclenchement de luttes de classe qui se produiront
lorsque le gouvernement Rajapakse appliquera les mesures exigées par le FMI.
Celui-ci demande de faire des coupes plus sévères encore dans le niveau de
vie.
Le Parti de l’Egalité socialiste (SEP) a fait campagne dans ces élections
pour avertir la classe ouvrière des attaques féroces en préparation et pour
la mobiliser indépendamment des partis capitalistes et de leurs différents
soutiens dont les syndicats et l’ex-extrême gauche. Nous mettons en garde
les travailleurs que l’écoeurement et la colère envers l’élite dirigeante et
leurs représentants politique ne suffisent pas. Ce qu’il faut c’est un
programme et un parti socialiste pour unifier la classe ouvrière sri
lankaise et internationale dans un mouvement politique indépendant contre le
système capitaliste défaillant.
Le SEP et ses candidats furent les seuls à lutter pour une alternative
socialiste dans ces élections. Le parti a recueilli un score faible mais
significatif – 371 voix – dans les quatre districts dans lesquels il s’était
présenté. Ces voix représentent les sections les plus conscientes des
travailleurs et des jeunes qui devraient à présent sérieusement envisager de
rejoindre le SEP. Dans le même temps, nous lançons un vaste appel à la
classe ouvrière pour qu’elle réfléchisse sérieusement aux dangers politiques
auxquels elle est confrontée, qu’elle commence à étudier notre programme et
notre perspective tels qu’ils sont publiés quotidiennement sur le World
Socialist Web Site et qu’elle rejoigne et construise ce parti pour les
luttes à venir.