Quelle que soit leur issue, les élections législatives du 8 avril au Sri
Lanka marqueront un tournant. Le président Mahinda Rajapakse fait campagne
pour un « gouvernement fort » qui cherchera à imposer à la population
laborieuse le fardeau de la crise économique du pays en utilisant l’appareil
policier de l’Etat mis en place durant un quart de siècle de guerre civile.
Ce qui se passe au Sri Lanka est une expression anticipée du programme
des élites dirigeantes partout dans le monde. En réponse à l’éruption du
chaos financier mondial en 2008, les gouvernements avaient inscrit des
dettes s’élevant à des milliers de milliards de dollars au compte de la
dette publique et celles-ci doivent à présent être récupérées auprès de la
classe ouvrière. La Grèce sert de test au démantèlement des services
publics, à la réduction radicale des emplois et des salaires et à la hausse
des impôts. Le Sri Lanka est un avertissement que de telles mesures ne
peuvent être appliquées démocratiquement.
L’économie sri lankaise a été dévastée par la guerre menée par le
gouvernement et qui s’est terminée par la défaite en mai dernier des Tigres
de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). L’éclatement de la récession
mondiale a frappé durement les exportations du pays et, pour payer sa
guerre, Rajapakse a emprunté lourdement. Face à une crise en juillet dernier
de la balance des paiements, il avait été contraint de s’adresser au Fonds
monétaire international (FMI) pour obtenir un prêt de 2,6 milliards de
dollars américains.
Après avoir retardé quatre mois durant la présentation de son budget, le
gouvernement se voit à présent obligé d’avancer un projet de budget se
conformant aux exigences du FMI en réduisant de moitié d’ici 2011 le déficit
budgétaire. Un tiers des dépenses gouvernementales sont déjà utilisées pour
le service de la dette. De plus, 21 pour cent des dépenses servent à
financer l’armée que Rajapakse n’a pas l’intention de démobiliser. Remplir
les critères déterminés par le FMI signifie faire des coupes claires dans le
niveau de vie de la classe ouvrière alors qu’un sixième de la population vit
déjà sous le seuil de pauvreté officiel qui est de 27 dollars américains par
mois.
Le gouvernement considère toute opposition comme illégitime. Le
secrétaire d’Etat à la Défense, Gotabhaya Rajapakse, frère du président, a
déclaré samedi que « le prochain parlement devra adopter une loi interdisant
les partis politiques qui promeuvent le séparatisme et le terrorisme. »
Tandis qu’une telle interdiction serait tout d’abord dirigée contre les
partis prônant le séparatisme ou l’autonomie tamouls, le gouvernement accuse
plus généralement les partis d’opposition de faire partie d’un « complot
international » contre le pays.
Après les élections présidentielles de janvier, le gouvernement avait
arrêté le candidat d’opposition, le général à la retraite, Sarath Fonseka,
et une dizaine de ses partisans en portant contre eux des accusations
fabriquées de toute pièce en leur reprochant de fomenter un coup d’Etat. Au
cours de ces deux derniers mois, des journalistes d’opposition ont été
interpellés ou ont « disparu », des sites internet ont été bloqués et des
militants de l’opposition ont été physiquement attaqués lors de la campagne
électorale. Ces méthodes antidémocratiques ne sont pas dirigées en premier
lieu contre les partis d’opposition bourgeois qui soutiennent la guerre et
qui appuient le programme libéral de Rajapakse, mais elles représentent les
préparatifs pour une confrontation avec la classe ouvrière.
Rajapakse dispose déjà d’un large éventail de pouvoirs. La présente
constitution attribue au président exécutif le pouvoir d’occuper des postes
ministériels, de faire chuter le gouvernement, de dissoudre le parlement et
d’organiser des élections. Même si les partis d’opposition devaient
remporter une majorité parlementaire, il n’y aurait pas de garantie que
Rajapakse cède le pouvoir. Durant ces quatre dernières années, il a
officiellement gouverné en s’appuyant sur une cabale présidentielle
rassemblant sa famille, des généraux et des conseillers proches qui ont de
plus en plus souvent ignoré la constitution, les tribunaux et le système
judiciaire. A présent, la coalition au pouvoir fait campagne pour atteindre
une majorité des deux tiers requise pour changer à volonté la constitution.
Rajapakse a également maintenu l’état d’urgence qui permet
l’incarcération sans procès, la censure des médias et l’interdiction des
mouvements de grève. Des milliers de personnes sont actuellement détenues
pour être « suspectées d’être des membres du LTTE » au titre de l’état
d’urgence et de la loi relative à la prévention du terrorisme sans
inculpation et sans condamnation. En octobre dernier, avec la duplicité des
syndicats, Rajapakse a recouru aux pouvoirs d’exception pour interdire une
grève des travailleurs portuaires, de l’électricité, de l’eau et du pétrole
en quête d’une augmentation de salaire. Ce qui est le plus inquiétant pour
la population laborieuse c’est le fait que des centaines de personnes ont
été assassinées ou « ont disparu » aux mains des escadrons de la mort au
cours de ces dernières quatre années sans que personne n’ait été tenu pour
responsable.
La semaine passée, Gotabhaya Rajapakse, le responsable non-élu pour la
défense qui est à la tête de l’énorme machine militaire du pays, a souligné
lors d’un rassemblement électoral : « Il est crucial d’avoir un gouvernement
fort soutenu par une solide majorité au parlement afin de faire avancer sans
entraves, ni de l’intérieur ni de l’extérieur, le processus de développement
du Sri Lanka. » Les projets du gouvernement sont évidents: sitôt les
élections passées, il s’empressera d’appliquer les mesures économiques
répressives en passant outre toute opposition.
Le Parti de l’Egalité socialiste (SEP) s’est servi de sa campagne
électorale pour prévenir la classe ouvrière de ce qui est en train de se
préparer et pour commencer à la mobiliser indépendamment sur la base d’un
programme socialiste. Les partis d’opposition -- le parti droitier United
National Party (UNP) et le parti chauvin cinghalais Janatha Vimukthi
Peramuna – n’ont pas de différences fondamentales avec le gouvernement. Les
syndicats et toutes les tendances politiques ont bloqué toute lutte des
travailleurs contre le régime Rajapakse. Les organisations pseudo-gauches –
le Nava Sama Samaja Party (NSSP) et le United Socialist Party (USP) –
nourrissent l’illusion dangereuse que la population laborieuse peut défendre
ses droits par le biais de ces syndicats et de ces partis d’opposition.
Ce serait manquer de claivoyance de la part des travailleurs des autres
pays que d’ignorer les signes avertisseurs en provenance du Sri Lanka. Les
méthodes autocratiques employées par le gouvernement Rajapakse ne se
limiteront pas seulement aux pays dits du Tiers-monde. Sous le prétexte de
la « guerre contre le terrorisme », les gouvernements de par le monde ont
déjà perpétré des attaques considérables contre les droits démocratiques.
Dans sa déclaration du 20 mars sur la crise de la dette grecque, le
Comité International de la Quatrième Internationale avait expliqué : « Les
banques exigeant des mesures auxquelles la population s’oppose dans sa
grande majorité, certaines sections de la bourgeoisie européenne envisagent
d’abandonner la forme démocratique de gouvernement. Il faut se souvenir
qu’il y a seulement 35 ans, ces trois pays maintenant attaqués par les
banques avaient des régimes autoritaires. Entre 1967 et 1974, une junte
militaire brutale dirigea la Grèce, avec le soutien de l’OTAN. Au Portugal,
la dictature fasciste établie en 1926 n’a été renversée qu’en 1974, et en
Espagne il a fallu attendre la mort de Franco en 1975, 36 ans après la fin
de la Guerre civile, pour commencer une transition de la dictature fasciste
vers une démocratie bourgeoise à l’occidentale. »
Les événements qui se déroulent actuellement au Sri Lanka soulignent
l’importance de cet avertissement et la nécessité pour les travailleurs du
monde entier de s’unir dans une lutte commune pour le socialisme et
l’abolition du système de profit défaillant.