Le décès d'au moins 25
mineurs de Virginie occidentale dans la pire catastrophe minière
depuis plus d'un quart de siècle est la démonstration tragique et
terrible de l'état des relations de classes de l'Amérique
d'aujourd'hui.
A bien des égards, les
conditions de travail dans les mines de charbon des Appalaches
ressemblent à celles du siècle précédent. Confrontés à des
niveaux de chômage et de pauvreté élevés, les travailleurs sont
contraints de risquer leur vie dans des mines dangereuses.
Les multimullionnaires qui
exploitent ces mines, tels le PDG de Massey Energy Don Blankenship,
passent outre les règles de sécurité élémentaires et forcent
les mineurs à faire des postes de 12 heures pour rentabiliser au
maximum. Ils savent très bien qu'une fois que les médias seront
partis et que les agences fédérales et de l'Etat auront fait leurs
auditions, ils seront libres de continuer à tirer profit des décès
et des mutilations des mineurs.
Comme une femme de la
région l'a dit aux médias, « Nous ne sommes rien de plus que
des marchandises jetables. »
Les mineurs ont face à
eux des entreprises immenses avec de gigantesques ressources quand
ils sont, eux, dépourvus d'organisation pour les défendre. Il n'en
a pas toujours été ainsi. En effet, le site actuel où a eu lieu
l'explosion était jusqu'au début des années 1990, un bastion du
syndicat UMW et un centre de grèves déterminées et de résistance
massive face à l'exigence du renforcement des cadences et
d'attaques contre la sécurité des mines et la couverture de santé
des travailleurs, de la part des patrons des mines de charbon
Mais
même au plus fort de l'adhésion syndicale et de la puissance du
syndicat, les mineurs de la base étaient souvent en conflit avec sa
direction conservatrice et sa politique de collaboration de classes.
Les acquis obtenus par l'UMW ont été arrachés grâce aux actions
déterminées des travailleurs.
Mais
depuis trois bonnes décennies, l'UMW répudie les traditions
militantes auxquelles les mineurs étaient associés et cherchent à
s'intégrer toujours plus étroitement avec la direction de
l'entreprise et le gouvernement. Durant cette période, le syndicat
a trahi les luttes les unes après les autres. Il en a résulté
l'effondrement de l'UMW à tel point que ses membres actifs sont
passés de 120 000 en 1978 à 14 000 actuellement.
Qu'est-ce qui sous-tend
cette trahison et cette désintégration de l'UMW? Comment les
mineurs sont-ils arrivés à cette situation terrible aujourd'hui?
Les mineurs, et
particulièrement ceux de Virginie occidentale, faisaient partie
historiquement des sections les plus militantes et les plus
conscientes de la classe ouvrière américaine. Au cours d'un siècle
de luttes ils ont fait preuve d'un courage, d'une solidarité et
d'un sens du sacrifice incomparables.
Durant
la plus grande partie du vingtième siècle, le poids social et la
position stratégique des mineurs étaient quelque chose que
l'establishment
politique et industriel américain ne pouvait ignorer.
L'UMW prit racines dans le
sud de la Virginie occidentale durant les Guerres des mines (« Mine
Wars »)acharnées des années 1920 et 1930. Les noms de
grandes batailles de classes, « Bloody Mingo », « Battle
of Blair Mountain », « Matewan Massacre » donnent
une idée de l'intensité du conflit social où les mineurs
ripostaient à violence égale à la violence des compagnies
minières, de leurs bandits armés et des autorités.
Les mineurs furent le fer
de lance de la campagne pour construire les nouveaux syndicats
industriels CIO des années 1930 et durant la Seconde guerre
mondiale ils défièrent Roosevelt et lancèrent une grève
nationale, obtenant des acquis substantiels au moment où
l'industrie faisaient des profits records du fait de la production
de guerre. A nouveau en 1947 les mineurs défièrent l'ordre de
reprise du travail lancé par le Congrès en déclarant, « Que
les sénateurs aillent extraire le charbon! » et obtinrent
leur plus importante augmentation de salaire, amélioration des
soins de santé et protections face à la loi antigrève
Taft-Hartley.
En 1974, après une série
de grèves sauvages, de manifestations de masse contre les
conditions de travail dangereuses et la pneumoconiose, et des
rébellions contre la direction de l'UMW, les mineurs obtinrent une
augmentation de salaire et de prestations de 54 pour cent sur trois
ans suite à une grève de 28 jours. Cela fut suivi par une grève
historique de 111 jours en 1977-78 où les mineurs défièrent à
nouveau un ordre de reprise du travail de la part du président,
cette fois le démocrate Jimmy Carter.
Mais malgré la
détermination et la solidarité des mineurs,leur mouvement a pâti
d'une erreur politique finalement fatale. Il s'agit de la même
faiblesse qui a miné l'ensemble du mouvement ouvrier américain.
Les mineurs n'établirent
jamais leur indépendance politique par rapport au Parti démocrate
et à la politique capitaliste en général. Leurs luttes dans le
cadre du syndicat UMW n'ont jamais acquis un caractère consciemment
anticapitaliste.
Durant toute leur
histoire, les luttes des mineurs ont continuellement soulevé les
questions de perspective et de programme politiques. Dès le début
du siècle, il y avait des demandes de nationalisation des mines au
moment où des ralentissements économiques, la mécanisation et
l'anarchie de la production du charbon pour le marché capitaliste
conduisaient au chômage de masse, à l'appauvrissement des
communautés minières et au sacrifice continu de la vie et de
l'intégrité physique des mineurs sur l'autel de la course aux
profits des patrons.
La nécessité d'une
organisation politique de la classe ouvrière qui soit indépendante
des deux partis du patronat se posa de façon récurrente tandis que
les mineurs étaient confrontés à des injonctions, à des ordres
de reprises du travail et à la répression d'Etat de représentants
des deux partis qui étaient des agents corrompus des exploitants du
charbon.
Mais
dès les premiers jours, la direction de l'UMW s'opposa à toute
lutte contre le système capitaliste. Dans une intervention à la
radio en septembre 1937, le président de l'UMW John L. Lewis appela
la classe dirigeante à reconnaître les syndicats parce que,
dit-il, ils «se révèleraient être le meilleur rempart contre
l'intrusion de doctrines de gouvernance étrangères. »
« Le syndicalisme, »
dit Lewis, « contrairement au communisme, présuppose la
relation du travail; il se fonde sur le système de salaire et
reconnaît pleinement et sans réserve l'institution de la propriété
privée et du droit au profit d'investissement. »
Dès le début, la marque
de fabrique des syndicats américains était son antisocialisme, sa
servilité au système capitaliste et son opposition à toute lutte
politique indépendante de la part de la classe ouvrière. Alors que
les syndicats de par le monde partageaient essentiellement cette
vision procapitaliste, l'arriération politique des syndicats
américains était la plus prononcée.
En 1955, après que les
socialistes et autres militants de gauche furent délogés de leurs
postes à la direction du syndicat, les dirigeants du CIO
fusionnèrent avec l'American Federation of Labor et établirent
l'AFL-CIO sur la base de la défense explicite du système
capitaliste et des intérêts impérialistes américains de par le
monde. Durant les 25 années suivantes, alors que le capitalisme
américain perdait sa position de domination économique dans le
monde et que l'élite dirigeante remplaçait sa politique de relatif
compromis de classe par une politique de guerre de classe acharnée,
cette perspective conduisit la classe ouvrière à la catastrophe.
Tout
comme son homologue britannique, Margaret Thatcher, le président
Reagan, qui avait écrasé en 1981 la grève du syndicat PATCO des
aiguilleurs du ciel, était déterminé à casser les mineurs afin
de réaliser un retour en arrière permanent des conditions de
l'ensemble de la classe ouvrière.
En
1985-86 avec le soutien total de la Maison Blanche et des autorités
locales et de l'Etat, AT Massey Coal (mené par Blankenship) lança
une campagne de casse syndicale contre l'UMW au cours de laquelle il
rétablit les méthodes de violence de classes qu'on n'avait pas
revues depuis les guerres des mines des premières décennies du 20e
siècle.
L'UMW, dirigée par le
président d'alors Richard Trumka (aujourd'hui président de
l'AFL-CIO) riposta en isolant les 2 600 grévistes de Massey et en
abandonnant la longue tradition du syndicat consistant à lancer un
mot d'ordre de grève nationale à tous les mineurs. L'UMW ne fit
rien pour défendre les mineurs déterminés qui furent arrêtés,
furent victimes de coups montés et emprisonnés, puis après avoir
laissé les grévistes s'user sur les piquets de grève pendant 14
jours, Trumka mit fin à la grève ouvrant ainsi la voie à un flot
de casse des syndicats et de concessions dans toute l'industrie
minière. L'UMW perpétra une trahison semblable lors de la grève
de Pittston en 1989-90.
Les conditions objectives
qui facilitèrent la domination d'une bureaucratie droitière sur la
classe ouvrière, à savoir la puissance et les réserves
économiques immenses du capitalisme américain et la domination
mondiale de son industrie, n'existent plus.
Au moment où émerge de
la crise actuelle une nouvelle ère de lutte de classes, les mineurs
vont chercher à construire de nouvelles organisations de lutte.
C'est absolument essentiel et crucial. Cependant, il faut tirer les
leçons amères de l'histoire: avant tout, que la résistance des
mineurs doit se fonder sur une lutte consciente pour la mobilisation
politique, indépendante, de la classe ouvrière contre le système
capitaliste et tous ses représentants politiques.
L'unique
voie pour mettre fin au fléau des explosions, des effondrements
dans les mines et de la pneumoconiose est de retirer les mines des
mains du privé et de les transformer en services publics, d'en
faire la propriété des travailleurs eux-mêmes et de les placer
sous leur contrôle. Ceci nécessite la construction d'un mouvement
socialiste de masse de la classe ouvrière.