WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient
La « Lettre ouverte de réconciliation et de responsabilité au peuple irakien » a été publiée par deux anciens spécialistes de l'armée américaine, Josh Stieber et Ethan McCord, qui faisaient partie de la Compagnie Bravo, second bataillon, 16e régiment d'infanterie, première division d'infanterie de l'armée américaine en juillet 2007, au moment où la vidéo en question fut prise par la caméra de la mitrailleuse d'un hélicoptère Apache alors que celui-ci tirait sur des civils irakiens.
Plus d'une douzaine de civils furent tués et plusieurs blessés, y compris deux enfants. Parmi les morts se trouvaient le photographe irakien Namir Noor-Eldeen et son assistant Saeed Chmagh - tous deux employés par l'agence internationale de presse Reuters.
L'hélicoptère fournissait un soutien aérien à des soldats américains engagés dans des razzias maison par maison, dans l'est de Bagdad. Les soldats de la Compagnie Bravo furent les premiers à atteindre les lieux après le massacre effectué par l'hélicoptère d'attaque au-dessus d'eux.
Le film vidéo, mis en ligne par WikiLeaks sous le titre de « Collateral Murder » (assassinat collatéral) a été vu 6 millions de fois sur internet. Il a livré au public américain et mondial des images bouleversantes de ce qu'est, depuis une décennie, la tuerie menée par l'armée américaine dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan, des images qui sont régulièrement censurées et éliminées de l'information fournie par les médias grand public.
La caméra montre des civils irakiens non armés faire une vaine tentative d'échapper aux balles de 30 millimètres qui pleuvent sur eux. Elle montre aussi que l'hélicoptère a tiré de nouveau sur une camionnette qui s'était arrêtée pour porter secours aux blessés, tuant le conducteur ainsi qu'un des blessés et blessant sérieusement deux enfants qui étaient assis à l'avant du véhicule.
Tout aussi lamentable est le bavardage des membres de l'équipage de l'hélicoptère et de leurs superviseurs sur la radio, en même temps que se déroule la tuerie. Au moment où le viseur du canon fixe le blessé qui rampe sur le sol, on entend un membre de l'équipage presser l'Irakien de « prendre une arme » afin de pouvoir lui tirer encore dessus. Et finalement, lorsqu'on les informe que deux enfants ont été blessés dans l'attaque, les membres de l'équipage sont d'accord pour dire que c'est la faute des Irakiens qui ont « emmené leurs enfants dans une bataille ».
Ethan McCord était l'un des soldats sur les lieux de l'attaque et sur le film on le voit porter un des enfants blessés et courir vers un véhicule militaire. Les officiers déclarèrent que l'enfant ne devait pas être emmené à l'hôpital américain de campagne et McCord fut réprimandé pour avoir réagi humainement.
Josh Stieber, tout en faisant partie de cette compagnie, n'avait pas été emmené en mission à cause d'une dispute préalable avec ses supérieurs.
La lettre souligne le fait que les actes de violence meurtrière contre des civils montrés dans le film vidéo ne sortent pas de la normale, mais qu'il s'agit plutôt en Irak « d'occurrences quotidiennes ».
L'armée US qui a essayé d'étouffer le film vidéo a défendu avec constance les actions qu'il révèle. Le 13 avril, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates eut recours à une conférence de presse afin de stigmatiser WikiLeaks pour avoir rendu le film public la semaine précédente. « Ces gens peuvent mettre tout ce qu'ils veulent en ligne et ils n'ont jamais à en répondre » a-t-il dit.
Il affirma que regarder cette vidéo était un peu comme regarder la guerre par le trou d'« une paille » et il reprocha au film d'être dénué de « tout contexte ou perspective ».
Mais comme le montre clairement la lettre des deux ex-soldats, le réel « contexte et [la réelle] perspective », c'est une sale guerre d'agression coloniale et ses « règles d'engagement » qui considèrent l'ensemble de la population irakienne comme étant une menace pour les forces d'occupation.
Dans une interview précédente sur ABC News, Gates avait justifié le massacre, y compris les tirs sur les blessés et les gens qui tentaient de les aider, un crime de guerre patent, donnant pour raison que les soldats américains se trouvaient alors dans une « situation de combat ».
Pour sa part, le Commandement central de l'armée américaine qui supervise les opérations militaires dans la région, annonça qu'il n'avait pas l'intention de rouvrir une enquête sur la tuerie de 2007. Il publia des copies censurées des résultats de l'enquête d'origine faite par l'armée sur cette opération sanglante. Cette enquête avait excusé l'équipage de l'hélicoptère d'avoir pris l'appareil du photographe pour un lance-grenade. Elle accusa aussi les journalistes assassinés de « n'avoir fait aucun effort pour montrer de façon visible leur identité en tant que membres de la presse ». Le rapport ne précisait pas comment ils auraient dû s'identifier à un hélicoptère volant au-dessus d'eux.
« Le commandement central US n'a actuellement aucun plan de recommencer une enquête ou de passer en revue cette action de combat », dit le contre-amiral Hal Pittman, le directeur de la communication du Commandement central.
Dans leur lettre mise en ligne sur Internet (visible ici letter en anglais) et co-signée par des milliers d'autres ex-soldats, les deux vétérans de l'Irak s'identifient comme des « soldats qui ont occupé votre quartier pendant quatorze mois ».
La lettre se poursuit ainsi : « Ethan McCord a sorti votre fille et votre fils de la camionnette et ce faisant il a vu les visages de ses propres enfants chez lui. Josh Stieber était dans la même compagnie mais n'était pas là ce jour-là, bien qu'il ait contribué en de nombreuses autres occasions à votre peine et à la peine de votre communauté »
Les deux anciens soldats insistent pour dire que « ce qu'on voit sur la vidéo de WikiLeaks ne fait que commencer à montrer la souffrance que nous avons infligée. De par notre expérience et celle d'autres vétérans à qui nous avons parlé, nous savons que les actes montrés dans cette vidéo se produisent tous les jours dans cette guerre : c'est là la nature des guerres conduites par les Etats-Unis dans cette région ».
Stieber et McCord écrivent encore : « En disant aux Américains ce que nous avons été formés à faire et ce que nous avons fait au nom de "Dieu et de la patrie" nous reconnaissons la part que nous avons prise aux morts et aux blessures des êtres que vous chérissez. Le soldat de la vidéo dit que votre mari n'aurait pas dû entraîner vos enfants dans une bataille, mais nous reconnaissons notre responsabilité dans le fait d'avoir amené la bataille dans votre quartier et dans votre famille. »
Répondant aux déclarations de Robert Gates, la lettre ajoute : « Il se peut que notre gouvernement vous ignore, plus préoccupé qu'il est de son image. Il a aussi ignoré de nombreux vétérans qui sont retournés physiquement blessés et mentalement tourmentés par ce qu'ils ont vu dans votre pays. Mais il est plus que temps que nous disions que la valeur des dirigeants de notre nation a cessé de nous représenter. Notre secrétaire à la Défense peut bien dire que les Etats-Unis ne perdront pas leur réputation à cause de cela, mais nous persistons à dire que l'importance de notre réputation est peu de chose en comparaison de notre humanité commune. »
(Article origine en anglais le 23 avril 2010)
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