Le World Socialist Web Site encourage les travailleurs d’Indianapolis et les travailleurs de l’automobile dans tout le pays à écrire au WSWS (write to the WSWS ) et à nous faire part de leurs commentaires et de leurs expériences. Ces commentaires seront mis en ligne sur le WSWS et contribueront à une discussion continue sur la stratégie nécessaire pour s’opposer aux attaques menées par le patronat contre la classe ouvrière.
Un an après que l’UAW (United Auto Workers) ait collaboré avec l’administration Obama dans la restructuration de l’industrie automobile aux Etats-Unis et dans l’attaque des salaires et du niveau de vie des ouvriers de l’automobile, des travailleurs résolus de l’usine d’emboutissage GM d’Indianapolis se sont rebellés contre l’UAW et ont adopté la position qu’il fallait défendre le droit à un emploi et à un salaire décent.
Le 15 août, des centaines de travailleurs ont hué les responsables de l’UAW International et les ont chassés de la réunion de la section d’usine du syndicat pour avoir négocié une réduction de leur salaire horaire de 29 à 15,50 dollars. L’UAW avait secrètement négocié un accord avec JD Norman, un ex-courtier en bourse de 34 ans, qui disait vouloir acheter l’usine d’Indianapolis et la maintenir en activité, à condition que les salaires diminuent de moitié. En mai dernier, les ouvriers du Local 23 de l’UAW ont voté à une écrasante majorité contre toute négociation avec Norman, une décision que l’UAW avait ignorée.
Les travailleurs ressentent fortement le fait que l’UAW International ne tient aucun compte de leurs droits démocratiques et que c’est l’intérêt privé et corrompu de la bureaucratie syndicale qui le motive. Le fait que l’UAW est à présent propriétaire d’une partie substantielle de GM ne leur a pas échappé.
Maintenant encore l’UAW est en train de conspirer avec les médias, l’Etat, les politiciens locaux, GM et JD Norman afin d’organiser un second vote, prétendant que seule une « minorité qui crie fort » est opposée à l’accord. Une pétition à cet effet circule dans l’usine. On rapporte aussi que la direction est en train de recruter des dizaines d’intérimaires – qui travaillent déjà pour le salaire inférieur – dans l’espoir de les intimider et d’obtenir qu’ils votent en faveur de l’accord.
Lors de discussions avec le World Socialist Web Site, des travailleurs d’Indianapolis ont souligné qu’ils voulaient une organisation qui les représente vraiment et non pas une qui représente le patronat. Comme le dit un travailleur, « nous voulons nous débarrasser des responsables corrompus et avoir des gens qui ne sont pas pourris par l’argent et la politique ».
Plusieurs questions importantes se sont posées. L’UAW peut-elle être ressuscitée ou bien est-ce que les travailleurs ont besoin d’une nouvelle organisation de lutte? Les syndicats locaux de l’automobile peuvent-ils servir de voix à la base, en opposition à l’UAW International ?
Divers dissidents de l’UAW, dont Gregg Shotwell, le fondateur du groupe Soldats et Solidarité, insistent pour dire que l’UAW peut être réformée. Dans un commentaire sur l’action des travailleurs d’Indianapolis lors du meeting du 15 août, Shotwell a dit, « Le Local 23 de l’UAW nous a montré à tous que les membres de la base sont la plus haute autorité du syndicat ».
Etant donné qu’ils ont été confrontés à l’intimidation et au chantage de la part de la bureaucratie de l’UAW, il ne fait aucun doute que les travailleurs ont le sentiment que c’est eux qui devraient être « la plus haute autorité dans le syndicat ». Mais des souhaits ne peuvent pas remplacer une estimation sobre de la situation réelle.
Si les membres de la base étaient réellement la « plus haute autorité » dans le syndicat, la question de la vente de l’usine à JD Norman aurait été réglée au sein de la section d’usine lors du vote du mois de mai et au cours de l’action du 15 août. Mais l’UAW International n’accepte pas la volonté des travailleurs et œuvre sans relâche pour y passer outre et pour imposer la réduction de leurs salaires. Et il a, en vertu des statuts de l’UAW, des pouvoirs qui lui permettent de faire précisément cela.
Quiconque peut-il sérieusement prétendre que « la volonté de la base » est de liquider toute forme indépendante de représentation des ouvriers dans l’usine, de rendre les grèves illégales, d’accepter les fermetures d’usines, les licenciements, la réduction des prestations et l’accélération des cadences ? Mais la politique de l’UAW, c’est précisément cela. Cette organisation l’a officiellement adoptée dans les années 1980, quand elle proclama que la politique du syndicat était une politique de « partenariat » corporatiste entre direction et ouvriers.
Tandis que près d’un million de travailleurs de l’automobile ont subi la perte de leur emploi et que les conditions de travail dans les usines ont été ramenées à celles des années 1930, cette collaboration avec les directions d’entreprises a assuré un flux stable de revenus à l’appareil de l’UAW qui contrôle à présent des avoirs à hauteur de dizaines de milliards de dollars.
L’UAW n’est pas affecté par la volonté démocratique de ses adhérents parce qu’il a des intérêts économiques matériels très réels qui s’appuient sur la trahison des besoins de ces mêmes adhérents.
Avec le fonds de pension VEBA, l’UAW contrôle à présent un des fonds d’investissement privés les plus importants des Etats-Unis. Il possède, après le gouvernement américain, la part d’actions de GM la plus importante – 17,5 pour cent – et ce, en plus des millions de dollars en caisses noires et en valeurs immobilières, contrôlés par des entreprises communes du syndicat et des directions d’usines.
Selon le ministère américain du Travail, l’UAW a dépensé l’an dernier 96 millions de dollars en salaires pour ses représentants, ses responsables régionaux, ses organisateurs, etc. Ce ne sont pas là des gens qui travaillent dans les usines. Ils n’ont pas subi de réductions de salaires ou de licenciement. Ce sont des gens comme le directeur de la Région 3, Maurice Davison, qui a empoché 150.233 dollars l’an dernier, et le directeur adjoint UAW-GM Mike Grimes qui a été payé lui, 132.155 dollars.
Leur préoccupation est de maintenir le nombre des cotisants le plus haut possible – sur la base d’une politique qui exclut toute lutte contre les patrons de l’automobile – mais sans rapport avec la paye et les conditions de travail des ouvriers. C’est pourquoi, ils veulent que l’usine soit vendue à JD Norman, qui est d’accord pour permettre à l’UAW de continuer de prélever les cotisations sur leur paye, fortement réduite.
L’état de la mangeoire financière à laquelle ces responsables syndicaux prennent leur argent est à présent directement lié à la hausse ou à la baisse des actions de GM. Ils ont tout intérêt à aider GM à augmenter ses profits et la valeur de ses actions au moyen des suppressions d’emploi, des baisses de salaire, de l’accélération des cadences et de la réduction des prestations sociales.
Quelle catégorie sociale gagne près de 200.000 dollars par an, ne travaille pas en fait pour un salaire horaire et profite financièrement de l’aggravation des conditions de vie et de travail des ouvriers de l’automobile ? Pas la classe ouvrière! Les fonctionnaires de l’UAW sont les représentants d’une partie particulièrement réactionnaire et parasitique de la couche supérieure de la petite bourgeoisie. La réalité c’est que le soi-disant syndicat incarne les intérêts de cette couche sociale, pas celle des ouvriers.
Le conflit qui a opposé les ouvriers d’Indianapolis à l’UAW au meeting du 15 août représentait le choc d’intérêts de classe inconciliables.
C’est pourquoi les ouvriers ont, sous la forme de l’UAW, en face d’eux un ennemi non moins implacable et brutal que les propriétaires d’entreprises. L’UAW ne reculera devant rien pour imposer les coupes de salaire à Indianapolis parce qu’elle y trouve un intérêt financier direct.
Il y a des conclusions politiques urgentes, tant pratiques que d’un caractère fondamental, qui découlent de cet état de fait. Les ouvriers de l’usine d’emboutissage doivent immédiatement élire un comité d’action de base, indépendant de l’UAW et composé des ouvriers en qui ils ont le plus confiance et les plus militants, afin d’empêcher l’UAW de faire passer les concessions en force dans un autre vote.
Des réunions doivent être tenues pour unifier les ouvriers dans toute l’usine – par-delà les différences d’ancienneté, de statut (intérimaires ou non), etc. – dans un combat commun pour arrêter les diminutions de salaire, empêcher la fermeture de l’usine et défendre les emplois et le niveau de vie de tous les ouvriers.
Cela signifie ranimer les méthodes de la lutte des classes employées par des ouvriers de l’industrie automobile à Anderson et Flint dans les années 1930 qui ont occupé les usines de GM. Une telle action obtiendrait le soutien immédiat d’ouvriers et de jeunes partout dans la région, dans le pays tout entier et internationalement. En même temps, des appels doivent être lancés à tous les ouvriers de l’industrie automobile pour préparer une grève nationale dans le but de renverser les concessions imposées par l’UAW et l’administration d’Obama l’année dernière.
Unions locales contre fédération de l’UAW
Une telle lutte exige une rupture complète d’avec l’UAW. Les unions locales n’ont aucune indépendance réelle vis-à-vis de l’UAW International et dans les cas rares où les organisations locales ont défié l’UAW, elles ont été reprises en main par la fédération et ont été dissoutes. La constitution de l’UAW garantit explicitement de tels pouvoirs : celle-ci stipule à l’Article 12, section 3:
«Où il est nécessaire de: (b) assurer l’exécution d’accords de convention collective ou d’autres obligations en tant que représentant dans une négociation ou (d) assurer … l’exécution des objectifs légitimes de ce Syndicat international par tel organisme subalterne, le Comité de direction de l’International, par un vote des deux tiers de la totalité du Comité de direction peut, après une audition, réorganiser ou dissoudre l’organisme subalterne lié à la charte, révoquer ce lien, suspendre n’importe quel responsable ou fonctionnaire de ses fonctions et/ou assumer la surveillance de cet organisme subalterne… jusqu’à ce que ses affaires aient été correctement ajustées. Dans ce cas, le Comité directeur désignera un de ses membres comme administrateur qui aura la pleine autorité et la surveillance de toutes les fonctions du syndicat local… »
Au cours de la dernière période, deux des cas les plus tristement célèbres où ceci est arrivé fut celui d’ouvriers d’Accuride à Henderson au Kentucky et des ouvriers de Freightliner Truck de Cleveland en Caroline du Nord.
En février 1998, 425 ouvriers membres du Local 2036 de l’UAW ont mené une grève surprise chez Accuride, un fournisseur de roues en acier pour Ford et d’autres fabricants de camions – contre la suppression des primes d’ancienneté, des emplois commerciaux qualifiés, des procédures de plaintes et de toutes limites à la sous-traitance. Un mois plus tard, les ouvriers ont voté pour retourner au travail – tout en rejetant les demandes de la direction – et furent lock-outés.
Quand l’UAW a annoncé qu’elle supprimerait les allocations de grève si les ouvriers n’acceptaient pas les exigences de l’entreprise, le syndicat local publia des protestations sur Internet, distribua des tracts devant une usine Ford et organisa un piquet devant le siège du syndicat, à Detroit. En réponse, l’UAW démit de ses fonctions le président du syndicat local et mit un administrateur à sa tête, chargé de conduire les négociations. En 2002, les ouvriers refusant toujours de céder, l’UAW leur retira les allocations de grève et retira la charte du syndicat local, mettant un terme à vingt ans de représentation de l’UAW dans cette usine.
En 2007, l’UAW International a destitué en bloc le comité de négociation du Local 3520 de l’UAW à Cleveland et s’arrangea pour que Freightliner les renvoie pour avoir mené « une grève non autorisée. » La grève surprise – contre les concessions sur les salaires et les prestations auxquelles l’UAW avait secrètement donné son accord – a été décidée après que les membres du syndicat aient autorisé une grève par un vote de 98,4 pour cent en faveur de la grève.
Des responsables de l’UAW sont alors venus pour casser la grève et après n’avoir pas réussi à convaincre les ouvriers d’accepter les concessions, firent circuler des pétitions avec la direction de l’usine pour un nouveau vote. Utilisant la menace de licenciements, on fit passer le contrat en force dans un second tour de scrutin.
Après la grève, on épingla cinq membres du comité de négociation pour « attitude qui ne convient pas à un membre du syndicat. » Et, bien que le comité local chargé du procès les ait acquittés, ils n’ont jamais récupéré leurs emplois.
Qu’est-ce que l'UAW?
L’UAW n’a d’un syndicat que le nom. Il n’accomplit aucune des fonctions traditionnellement associées à un syndicat: s’occuper des plaintes, protéger les emplois, les conditions de travail, le niveau des salaires et des prestations. En revanche, il interdit les grèves, punit les ouvriers militants et impose les exigences de la direction en fait d’augmentation de rendement, de baisse des salaires et de réduction des effectifs.
Une telle organisation – qui fonctionne comme un outil des entreprises et du gouvernement – ne peut pas être démocratisée ou réformée. Il faut rompre avec elle et il faut construire de nouvelles organisations de lutte ouvrière.
Il n’y a rien d’impossible ou d’impensable dans le fait que des ouvriers rompent avec des organisations qui les ont trahis. Il n’y aurait jamais eu d’UAW si, dans les années 1930, les ouvriers ne s’étaient pas rebellés contre la vieille AFL (American Federation of Labor) et les vieux syndicats et n’avaient pas construit les syndicats industriels de masse de la CIO. Cela avait signifié une guerre civile contre les complices du patronat dans l’AFL qui a tout fait pour saboter les luttes des ouvriers nouvellement organisés.
La dégénérescence de l’UAW est venue de sa défense du capitalisme, de son alliance avec le Parti Démocrate et de sa purge des socialistes et des militants de gauche après la guerre. Cela fit que les ouvriers furent sans moyens pour défendre leurs intérêts lorsque le capitalisme américain a commencé son long déclin dans les années 1970 et 1980 et lorsque les sociétés ont cherché à surmonter la baisse de leurs profits et de leurs parts de marché en transférant la production dans les pays à bas salaires.
Aujourd’hui, la question n’est pas simplement de construire de nouveaux syndicats. Ce qui est nécessaire c’est un parti politique de masse de la classe ouvrière complètement indépendant du contrôle des deux partis de la grande entreprise – et ayant pour objectif de casser l’emprise de l’élite industrielle et financière sur la vie économique, et de réorganiser celle-ci pour répondre aux besoins de la population travailleuse. Ce qui signifie remplacer le système de profit par le socialisme.
(Article original publié le 27 août 2010)
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