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L'Assemblée nationale française a voté l'interdiction de la burqa : une attaque contre les droits démocratiques

Par Alex Lantier
18 août 2010

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Le vote par 335 voix contre une de l'Assemblée nationale française le mois dernier pour interdire le port du voile intégral dans les espaces publics en France est une attaque réactionnaire contre les droits démocratiques et un éloignement conscient de l'Etat de droit. Le fait de fouler aux pieds la liberté de religion fait partie d'une campagne sécuritaire plus vaste dans le but de préparer des mesures d'Etat-policier contre la population.

Le fait que le principe d'interdiction la burqa ait trouvé un soutien dans l'ensemble de l'establishment politique témoigne de la décrépitude de la conscience démocratique en France et de la complicité des soi-disant partis de « gauche ». L'interdiction doit encore être débattue devant le sénat en septembre, mais l'on s'attend en général à ce qu'elle soit adoptée.

A partir du printemps 2011 les femmes portant une burqa ou un niqab en France seront passibles d'une amende de 150 euros en étant obligées de suivre un stage de citoyenneté. Ceci s'applique sous le prétexte hypocrite de protéger les femmes contraintes de porter la burqa suite à la pression exercée par leurs familles et qui se verront infligées des sanctions draconiennes. Quiconque suspecté de forcer une femme à porter le voile intégral se verra infligé une amende de 30.000 euros et un an d'emprisonnement. Par suite des suggestions du parti d'opposition, le Parti socialiste (PS), ces amendes sont doublées si la jeune femme est mineure.

Le 23 juin, plusieurs semaines avant le vote à l'Assemblée nationale, les parlementaires européens issus de 47 pays membres du Conseil de l'Europe avaient voté à l'unanimité pour une résolution condamnant l'interdiction de la burqa comme étant anti-démocratique et discriminatoire. Parmi ceux qui avaient voté pour la résolution se trouvaient des députés du PS et de l'UMP (Union pour un Mouvement populaire), le parti conservateur au pouvoir.

La résolution du Conseil de l'Europe stipule qu'elle « déplore qu'un nombre croissant de partis politiques en Europe exploitent et attisent la peur de l'islam en menant des campagnes politique qui privilégient une vision simpliste et des clichés négatifs à propos des musulmans d'Europe en assimilant l'islam à l'extrémisme. L'incitation à l'intolérance et parfois même à la haine envers les musulmans est inadmissible. »

Dans une référence sans équivoque à des interdictions de la burqa comme celle avancée par le président français Nicolas Sarkozy, la résolution stipule, « L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme reconnaît à toute personne le droit de choisir librement de porter ou non une tenue religieuse en privé ou en public. l'interdiction générale du port de la burqa et du niqab dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de couvrir leur visage. »

En dépit de cette résolution, les députés du PS et de l'UMP ont voté à une écrasante majorité en faveur de l'interdiction de la burqa (ou non pas voté contre) à l'Assemblée nationale. Les médias français ont à peine couvert le vote du Conseil de l'Europe - un acte lâche d'autocensure de la part des médias.

Le vote par 335 voix contre une des 577 membres que compte l'Assemblée nationale fut caractérisé avant tout par l'absence de la majorité de « gauche » - à savoir le PS et le Parti communiste français (PCF) - des députés qui n'ont pas participé au vote. L'UMP a assuré la grande majorité des votes pour l'interdiction bien qu'une minorité des députés PS et PCF ont également voté pour. Parmi ceux-ci, on trouve André Gerin du PCF qui a joué un rôle déterminant dans la promotion de l'interdiction en présidant la commission parlementaire anti-burqa établie l'an dernier par Sarkozy.

L'unique vote contre a été celui du député UMP, Daniel Garrigue un proche de l'ex-premier ministre Dominique de Villepin, le principal rival de Sarkozy à la droite française. Garrigue a précisé que « Pour combattre un comportement extrémiste, on prend le risque de glisser vers une société totalitaire. »

Les objections de Villepin sont, toutefois, d'ordre factionnel. Lui et ses conseillers politiques, l'ex-président Jacques Chirac, ne sont pas opposés en principe à une politique anti-musulman. Alors que Villepin était au gouvernement, Chirac avait passé en 2004 une loi pour interdire le foulard islamique dans les écoles publiques. Cette mesure était en partie censée promouvoir les sentiments droitiers parmi les enseignants qui venaient tout juste de perdre une grève dure contre la réforme des droits à la retraite.

Le fait que le seul rejet de la burqa soit venu de l'UMP témoigne du soutien de la « gauche » bourgeoise pour son interdiction en dépit de la tentative cynique de celle-ci d'empêcher de prendre toute responsabilité politique pour cette mesure.

Le PS a justifié sa non-participation au vote, non pas au motif qu'il s'opposait à l'interdiction de la burqa, mais parce qu'il craignait que l'interdiction de Sarkozy puisse se révéler ineffective en s'avérant peut-être être inconstitutionnelle. Durant la période qui a précédé le vote, le PS avait proposé de limiter l'interdiction aux services publics plutôt qu'aux espaces publics. Les endroits qui seraient inclus dans la proposition du PS comprendraient les transports publics, les hôpitaux, les écoles et les administrations publiques. L'interdiction condamnerait effectivement sinon formellement toute femme portant la burqa à être confinée à la maison.

L'interdiction de la burqa a suscité les condamnations du monde musulman. Le quotidien des Émirats arabes unis, le Khaleej Times, avait publié le 14 juillet un éditorial intitulé « La menace voilée en Europe ». Il avait posé la question, « Que se passe-t-il sur le continent qui a donné au monde la Magna Carta, la première charte des droits de l'homme et la démocratie ? Il n'y a pas si longtemps de cela, l'Europe et l'expérience remarquable de l'Union européenne étaient considérées comme un modèle de progrès, de liberté politique et de libertés civiques par le reste du monde. Tout cela semble à présent être une chose du passé. »

Il a mis en garde contre la persécution des musulmans qui sont plus de 5 millions en France, en affirmant, « N'oublions pas qu'il n'y a pas si longtemps l'Europe avait été témoin d'une campagne identique contre les juifs et qui a finalement abouti à ce que des milliers d'entre eux soient envoyés à la mort par les nazis. Les gouvernements européens, les législateurs et les médias doivent cesser de déchaîner une fois de plus un monstre qu'on ne pourra plus convaincre de retourner dans la bouteille. »

La mesure prise par la France fait partie d'une campagne réactionnaire qui a lieu dans plusieurs pays européens en vue d'interdire la burqa. En avril, le parlement belge a adopté une interdiction totale de la burqa sous peine d'une amende de 25 euros et de sept jours de prison. Des interdictions similaires ont été proposées en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Autriche et en Suisse. Barcelone, la deuxième plus grande ville d'Espagne, a déjà interdit le voile dans les bureaux municipaux, les marchés publics et les bibliothèques. Certaines régions d'Allemagne ont interdit aux enseignants le port du foulard dans les écoles publiques.

Ces interdictions cherchent à diviser la classe ouvrière, à promouvoir le racisme anti-musulman et à intimider l'opposition populaire à l'encontre de la détestée guerre en Afghanistan.

Comme dans le cas de la loi contre le foulard de 2004 en France, l'interdiction de la burqa fut proposée pour diviser la classe ouvrière en virant le climat politique vers la droite. Sarkozy avait proposé l'interdiction en juin 2009 à la fin d'une série de « journées d'action » menées par les syndicats et lors desquelles les travailleurs avaient manifesté leur hostilité à l'encontre du plan de sauvetage des banques de 360 milliards d'euros. Toutefois, ces journées d'action arrivèrent rapidement à leur fin parce qu'elles étaient organisées sur la base de la perspective défaillante en faveur du soutien d'un plan de sauvetage modifié et que la première secrétaire du PS, Martine Aubry, avait avancé.

Les derniers projets contre la burqa sont également une diversion politique, mais dans des conditions politiquement plus explosives créées par la crise de l'endettement grec. D'ores et déjà sévèrement affaibli par la défaite de l'UMP aux élections régionales de mars, la position de Sarkozy a encore été ébranlée par les révélations selon lesquelles son parti avait perçu des dons de la milliardaire Liliane Bettencourt tout en organisant son évasion fiscale. Parallèlement, Sarkozy cherche à imposer des coupes budgétaires à l'encontre de la classe ouvrière de l'ordre de 100 milliards d'euros pour satisfaire les banques et ce, par le biais notamment de réductions massives des retraites.

Après les élections régionales, Sarkozy a utilisé la question de la burqa pour empoisonner encore plus le climat politique. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, avait déchaîné une chasse aux sorcières contre Lies Hebbadj, le compagnon de la femme portant le niqab et qui fut verbalisée par la police pour port de niqab au volant de sa voiture, en l'accusant de fraude aux prestations sociales et en le menaçant de lui retirer sa nationalité française. Cette incitation au racisme anti-musulman avait provoqué plusieurs incidents lors desquels des assaillants non identifiés avaient tiré des coups de feu sur des épiceries halal et des mosquées.

Le gouvernement Sarkozy a intensifié ses mesures répressives dans le courant de l'été. Des émeutes provoquées par les meurtres par la police d'un jeune musulman à Grenoble et d'un Rom à Saint-Aignan ont servi de prétexte au gouvernement pour préparer une loi permettant une déportation de masse des Roms. La police avait tiré à balles réelles pour réprimer les émeutes.

Le recours de Sarkozy à la démagogie sécuritaire anti-musulmane pour empoisonner le climat politique est à présent largement reconnu, même par la presse bourgeoise. En soulignant son recours à une rhétorique anti-immigrant et sécuritaire en plein milieu du scandale Bettencourt, Le Monde a remarqué, « Une tactique désormais rodée : à chaque difficulté depuis le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a remis en avant son image de champion de la sécurité, le plus souvent avec une polémique à la clé. »

L'interdiction de la burqa fait également partie d'une campagne sordide pour procurer une couverture de « gauche » à l'occupation de l'Afghanistan en la présentant comme faisant une partie d'une lutte féministe pour les droits de la femme.

Ceci avait été soulevé expressément comme l'une des raisons d'interdire la burqa, comme cela avait été proposé l'année dernière. A l'époque, le député UMP, Pierre Lellouche, le représentant spécial de la France en Afghanistan et au Pakistan a dit, « Si je me bats au quotidien pour le droit des femmes en Afghanistan, vous comprendrez bien que je souhaiterais que toutes les femmes en France aient droit à leur corps et à leur personne ».

Des sondages ont montré le mois dernier que 70 pour cent de la population française était opposée à la guerre en Afghanistan. La réponse de la presse a été d'appuyer le sentiment néocolonial. Dans son éditorial du 20 juillet Le Monde avait écrit, « Il s'agit, ni plus ni moins, de reconstruire un Etat, sinon une nation. Certains évoquent le dernier avatar d'une vilaine habitude occidentale : le néocolonialisme. Quoi qu'il en soit, on mesure l'ampleur de la tâche quand elle doit être menée. »

Un appel flagrant au néocolonialisme comme justification pour la guerre se heurterait à une opposition considérable de la population, cependant, des mesures devaient être trouvées pour modeler un prétexte d'apparence de « gauche » moins trompeuse. Comme le montrent les documents divulgués, la classe dirigeante considère que des initiatives telle l'interdiction de la burqa comme étant essentielle à la poursuite de la participation européenne à la guerre.

Dans un rapport du 11 mars publié par WikiLeaks et intitulé « Soutenir le support des Européens de l'Ouest pour la mission dirigée par l'OTAN - Pourquoi, compter sur l'apathie pourrait ne pas être suffisant, » la CIA a souligné que « l'apathie publique autorise les dirigeants à ignorer les électeurs. » Toutefois, elle est inquiète que le degré d'opposition à la guerre puisse finalement écraser l'apathie, elle-même un produit de l'absence de toute voie politique à travers laquelle la population peut exprimer son hostilité à la guerre.

Le rapport a en particulier souligné le faible niveau de soutien à la guerre de la part des femmes : « Les femmes françaises sont de 8 pour cent de moins à supporter la mission que ne le sont les hommes et les femmes allemandes sont 22 pour cent de moins enclines à supporter la guerre que les hommes. » La CIA a conclu qu'il devait y avoir une campagne pour souligner « leurs [des femmes] expériences sous les talibans, leurs aspirations pour l'avenir et leurs craintes d'une victoire des talibans. »

La campagne anti-burqa qui présente l'Etat comme le défenseur éclairé des droits des femmes contre des sections de la population musulmane est motivée par des objectifs politiques identiques. Tous les partis qui ont participé à cette campagne se retrouvent démasqués comme des agents de la réaction politique et de la guerre impérialiste.

(Article original paru le 5 août 2010)

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