Le 10 septembre, lorsque le
conseil d’administration de General Motors à Détroit a annoncé
qu’il allait de l’avant avec la vente d’Opel à un consortium
formé de l’équipementier canado-autrichien Magna, de la banque russe Sberbank
et du constructeur automobile russe GAZ, les dirigeants du syndicat IG Metall
et les membres des comités d’entreprise en Allemagne ont réagi avec grand
enthousiasme.
Ceux-ci acceptent la
destruction d’au moins 11 000 emplois dans les usines européennes de
GM et soutiennent dans les faits les fermetures probables d’usines à
Anvers (Belgique), Luton (Grande-Bretagne) et Figueruelas (Espagne),
préférablement à des fermetures en Allemagne.
Il est clair maintenant que
le nombre d’emplois qui seront supprimés aux quatre usines d’Opel
en Allemagne (Rüsselsheim, Bochum, Eisenach et Kaiserslautern) n’est pas
2500, comme on l’avait précédemment prétendu, mais bien 4500. Les usines
en Belgique, en Grande-Bretagne, en Espagne et en Pologne seront encore plus
durement touchées avec des pertes totalisant 6000 emplois.
Mercredi, Klaus Franz
(président du Comité central d’entreprise d’Opel et chef du Comité
d’entreprise européen) a défendu, lors d’une entrevue donnée à
Deutschlandfunk, que les pertes d’emplois étaient
nécessaires et qu’il ne voulait pas « dramatiser » la
situation. Interrogé par un journaliste quelque peu surpris qui lui a demandé
pourquoi il ne considérait pas « dramatique » la destruction de plus
de 10 000 emplois, Franz a répondu que l’autre option était la
faillite et que « cela serait bien pire ».
Confronté à une surcapacité
de 30 pour cent, Opel devait réduire ses effectifs, a-t-il ajouté. Bien que
cela soit déplaisant, c’était inévitable.
Il a ensuite décoché une
flèche en direction des ouvriers européens de GM travaillant à
l’extérieur de l’Allemagne, affirmant qu’ils devaient
comprendre que les usines de Belgique, Grande-Bretagne, Espagne et Pologne
n’existaient que grâce à l’action rapide du gouvernement allemand
au printemps qui avait accepté de fournir 1,5 milliard d’euros en crédit
relais. Autrement, le sort de GM Europe aurait été le même que GM
Détroit : la faillite.
Depuis le début de la crise
chez Opel, il apparaît de plus en plus clair que les travailleurs confrontent
plus qu’une direction agressive à Détroit. Les syndicats, et surtout IG
Metall, et les représentants des comités d’entreprise et la majorité des
chefs d’atelier jouent un rôle clé dans les attaques dirigées contre les
ouvriers d’Opel.
Les travailleurs font face
à une attaque concertée. Les représentants du comité d’entreprise
qu’ils ont élus et le syndicat qu’ils financent par leurs
cotisations se tient sans réserve du côté des gros
actionnaires et du gouvernement. Ils visent à défendre les intérêts des
capitalistes, offrant aux employeurs sans cesse davantage de suppressions
d’emplois, de baisses de salaire et de réductions d’avantages
sociaux, tout en étouffant toute résistance de la base.
GM requiert, pour la vente
d’Opel à Magna, une confirmation écrite de la
part des délégués des comités d’entreprise pour qu’ils acceptent de
larges concessions des travailleurs. « Klaus Franz a rapidement accepté
cette demande », a écrit le Berliner Zeitung le weekend dernier. La
main-d'œuvre offre de renoncer à 265 millions d’euros annuellement,
a-t-il dit, sans en avoir fait la demande à un seul travailleur. Selon Franz,
la « contribution des employés » sur les cinq prochaines années
revient à des coupures dans les salaires et les avantages sociaux de 1,6
milliard d’euros.
En aidant à diviser les
travailleurs européens de GM sur des bases nationales, en imposant des
fermetures d’usines dans d’autres pays et des licenciements de
masse et des baisses de salaires en Allemagne, IG Metall ne sert pas seulement
d’instrument à GM ou Magna, il se range directement derrière les intérêts
géostratégiques de l’impérialisme allemand.
Avec l’entente de
Magna, Berlin poursuit des buts précis de sa politique étrangère. Magna est
allié de la Sberbank de Russie et du fabricant de véhicules GAZ, le plus grand
producteur d’autobus, de camions, de tramways et de gros moteurs diesel
du pays.
GAZ veut utiliser ses
usines et ses réseaux de vente pour manufacturer et mettre en marché les
véhicules d’Opel « faits en Russie » pour le marché intérieur
russe. Opel va fournir le savoir-faire technique et aidera GAZ à améliorer sa
réputation. GAZ va utiliser son usine de Nijni-Novgorod construite en 2008 avec
l’aide de Magna. L’argent pour le partenariat provient de Sberbank
et donc indirectement de l’Etat russe.
Le gouvernement allemand
cherche à rapprocher sa coopération avec la Russie par l’entente de
Magna. Il considère des relations plus étroites avec la Russie comme une
composante critique de sa politique étrangère, incluant sa politique
énergétique. L’Allemagne comble la plus grande partie de son besoin en
pétrole et en gaz naturel de la Russie et le géant du gaz naturel russe,
Gazprom, est impliqué dans plusieurs consortiums énergétiques allemands.
Lorsque que Gerhard
Schröder (Parti social-démocrate, SPD) était chancelier (1998-2005), la
coopération économique se développait suivant l’axe Berlin-Moscou.
Schröder a ensuite occupé un poste de premier plan avec Gazprom, obtenant la
responsabilité de construire le pipeline de la mer Baltique.
Le gouvernement américain,
qui possède 60 pour cent des actions de GM, a réagi froidement lorsqu’on
apprit le lien entre Magna et Moscou. Les Etats-Unis se méfient, en étant
pratiquement hostiles, des liens de plus en plus étroits entre
l’Allemagne et la Russie, qu’ils voient comme étant défavorables à
leurs intérêts mondiaux.
Le conseil
d’administration de GM a refusé, pendant des mois, d’approuver la
déclaration d’intention que Magna avait signée au printemps, et le rival
RHJ international de Magna était vu comme le soumissionnaire favori. Mais le
gouvernement allemand a placé tout son poids politique et économique derrière
Magna.
La collaboration d’IG
Metall et des comités d’entreprise avec le gouvernement allemand a été
essentielle pour s’opposer à la tentative des Américains de faire avorter
l’accord. A un certain moment, le dirigeant d’IG Metall Berthold
Huber s’est rendu à Moscou pour y rencontrer le premier ministre russe
Vladimir Poutine et faire pression pour que Moscou subventionne un Opel sous
contrôle de Magna. « Je n’ai aucun doute que Magna et ses
partenaires russes auront cette subvention », a-t-il déclaré après sa
rencontre à l’agence de presse allemande DPA.
Lorsque le conseil d’administration
de GM a finalement cédé la semaine passée et repris ses pourparlers avec Magna, des sections des médias américains ont manifesté leur
colère. L’orientation de la politique étrangère allemande est « aussi
claire que la boue » a-t-on pu lire dans une chronique parue dans
le New York Times.
Cet article critiquait « les relations de plus en plus ambiguës entre l’Allemagne
et la Russie » et concentrait son tir sur le soutien indéfectible de Magna
par Berlin, se plaignant qu’il en résulterait une concurrence accrue de
GAZ envers les trois usines d’assemblages de GM en Russie. Il continuait
en citant un haut responsable non nommé qui disait : « Je crois en
général que nous sommes arrivés à un point où l’Allemagne considère qu’elle
peut prendre les Etats-Unis pour acquis, et qu’elle le fait. »
D’autres articles insistaient sur la stabilisation de l’axe
transatlantique que l’on
attendait de la chancelière Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU),
mais que le contraire s’était produit.
Le gouvernement de grande
coalition à Berlin, composé du CDU et du SPD, réagit à la crise économique
internationale en défendant l’intérêt allemand de façon plus agressive. Même
si la chancellerie allemande et le ministère des Affaires étrangères évitent un
conflit ouvert avec Washington, ils voient la crise comme une opportunité de
commencer à défier la suprématie des Etats-Unis.
Dans ces conditions, les
syndicats adoptent une orientation franchement plus nationaliste et se
rapprochent encore de l’Etat, dans le but de mieux défendre les intérêts
géostratégiques de Berlin. Ainsi, le dirigeant des comités d’entreprise
Franz menace les Etats-Unis d’organiser la résistance dans toutes les
usines d’Opel si le conseil d’administration de GM rejetait l’offre
de Magna.
Les travailleurs doivent
rejeter d’être mobiliser pour soutenir la
politique de l’Allemagne comme grande puissance. Ils ne peuvent permettre
qu’on les prenne comme pion des intérêts impérialistes.
Il est possible de défendre
tous les emplois dans toutes les usines seulement en préparant la rébellion
contre la politique des syndicats et de comités d’entreprise.
Des comités d’usines
indépendants des syndicats doivent être formés pour établir le contact avec les
autres usines et travailleurs dans le but d’organiser une lutte commune
de tous les ouvriers européens de GM contre les fermetures d’usines, les
congédiements et les réductions de salaire. Ce mouvement devra aussi incorporer
les ouvriers de GM des Etats-Unis, du Canada, du Mexique et des autres pays.
La défense des emplois doit
devenir le point de départ d’une offensive politique qui a pour but d’établir
un gouvernement ouvrier. Un tel gouvernement expropriera les banques et les
grandes sociétés pour les placer sous contrôle démocratique et au service de
toute la société.
(Article original anglais
paru le 17 septembre 2009)