Le soi-disant duel télévisé de dimanche soir entre
les principaux candidats à la chancellerie de l’Union chrétienne-démocrate
(CDU) et du Parti social-démocrate (SPD) n’était rien d’autre qu’une simple
promotion pour la continuation du gouvernement de grande coalition existant, et
qui regroupe le CDU, le SPD et l’Union sociale-démocrate (CSU) [de Bavière allié
à la CDU].
La chancelière Angela Merkel (CDU) et son
vice-chancelier Frank-Walter Steinmeier (SPD) ont passé la plus grande partie
du temps à louer leur politique commune de ces quatre dernières années.
« Nous avons fait beaucoup de bonnes choses, mais cela aurait pu être
mieux encore », a expliqué
Merkel tandis que Steinmeier a répété dans des termes presque identiques :
« Nous en avons beaucoup accompli ensemble, mais nous n’avons pas pu tout réaliser. »
Tous deux ont à maintes reprises défendu
leur politique commune en dépit de questions critiques de la part des
présentateurs de l’émission. Toute divergence d’opinion politique a été
minimale et s'est limitée à des questions secondaires. Les deux participants au
« duel » se sont largement limités aux généralités et se sont
abstenus de formuler la moindre politique concrète. Merkel a décrit l’Etat
comme étant le « gardien de l’ordre » et a loué « l’économie
sociale de marché ». Steinmeier a manifesté son allégeance à la justice
sociale en réclamant de nouvelles valeurs éthiques dans le domaine des
affaires. D’importants sujets, tels l’éducation, les questions sociales,
l’environnement et la politique étrangère n'ont pas été abordés.
Bien que Steinmeier expliquât de manière
générale que la grande coalition entre les partis allemands les plus puissants,
les conservateurs et les sociaux-démocrates, représentait une forme
exceptionnelle de gouvernement dans une démocratie, tout en signifiant son
intention de vouloir diriger une forme différente de gouvernement, il n'a pas
précisé à quel parti il souhaitait recourir comme partenaire de coalition.
Merkel, comme de coutume, a réitéré sa déclaration de préconiser une coalition
avec le Parti libéral démocrate (FDP) sans avancer pour autant des raisons à
son argument. Elle a à peine mentionné le FDP sans jamais faire référence à son
président, Guido Westerwelle. Même le secrétaire général du FDP, Dirk Niebel, a
conclu après ce débat de 90 minutes qu’il n’avait été rien d’autre qu’un
« plaidoyer pour la continuation de la grande
coalition ».
La plupart des journaux ont tiré une
conclusion identique. Selon le Süddeutsche Zeitung, l’émission spéciale
était « en grande partie plutôt une manifestation à des fins publicitaires
pour le travail de la grande coalition durant ces dernières années qu’un “duel” ». Le Frankfurter
Rundschau a commenté : « Aucune raison convaincante n'a été mise
en avant expliquant pourquoi Merkel et Steinmeier ne seraient pas en mesure de
gouverner à nouveau dans une grande coalition. » Et le Rheinische Post
a noté que Merkel et Steinmeier ressemblaient à un « couple marié qui veut
divorcer sans trop savoir pourquoi. »
La plupart des autres commentaires ont
raillé la façon ennuyeuse et assommante dont Merkel et Steinmeier se sont
blottis l’un contre l’autre. C'est en vain que l'on a recherché une analyse
sérieuse expliquant pourquoi tous deux souhaitent poursuivre la grande
coalition.
En fait, c’est précisément ici que réside la
clé pour comprendre ce débat. Merkel et Steinmeier ont tous deux tenté de dissimuler
ce à quoi peuvent s’attendre les électeurs après le 27 septembre. Leur
présentation de la situation économique et sociale ressemblait à un conte de
fées. Ils ont insinué que les pires conséquences de la crise économique et
financière étaient déjà surmontées alors qu’en fait le pire est à venir.
Ainsi les deux politiciens se sont attribué
le mérite que le nombre des chômeurs est tombé à 3 millions à l’automne dernier
par rapport à un total de 5 millions à leur entrée en fonctions en 2005. Mais
entre-temps, le nombre des chômeurs s’élève d’ores et déjà à 3,5 millions et
l’on s’attend à ce qu’il enregistre à nouveau une forte augmentation après les
élections, une fois que les mesures gouvernementales telles le chômage
technique et la prime à la casse prendront fin. Selon l’OCDE, le chômage
dépassera le chiffre de cinq millions l’année prochaine. Dans le même temps, il
y a des millions de personnes qui occupent des emplois précaires ou qui, pour
une raison ou une autre, sont exclues des statistiques officielles.
La vente d’Opel à l’équipementier Magna et
que Merkel et Steinmeier revendiquent comme un succès personnel, est
caractéristique de l’hypocrisie du débat. Il s’est avéré depuis, que le
« sauvetage » de l’entreprise automobile se fera aux dépens des travailleurs. En Allemagne, 4500 emplois seront éliminés au lieu des 3000 annoncés
précédemment et la suppression des emplois sera bien plus importante dans les
usines GM en Angleterre, en Belgique et en Espagne. Dans le même temps, les
critères du rachat n’ont pas été réglés et l’accord pourrait facilement échouer
après les élections.
La crise financière internationale elle non
plus n’est pas surmontée. Dans sa dernière édition, Der Spiegel
concluait : « L’agent pathogène subsiste dans le système. Les subventions
nationales réagissent comme des antibiotiques. Elles suppriment les effets
néfastes du pathogène. Mais elles ne guérissent pas. »
Ainsi, selon les calculs du Fonds monétaire
international (FMI), les banques n'ont retiré de leur bilan qu'un tiers de
leurs créances douteuses. L’apparence de reprise chez de nombreuses banques est
simplement due au fait que les normes comptables bancaires ont été supprimées.
Aux Etats-Unis, 416 institutions financières sont à présent classées par la
FDCI (Federal Deposit Insurance Corporation) sur une liste de « banques en
proie à d’importants problèmes », soit une augmentation de 111 par rapport
au trimestre précédent.
Au cas où il y aurait une nouvelle vague de
faillites bancaires, le gouvernement serait obligé de compenser les centaines
de milliards d’euros que la grande coalition a octroyé aux banques allemandes
défaillantes sous forme d’investissements liquides, de crédits et de garanties.
En faisant inscrire dans la Constitution allemande un soi-disant « frein à
l’endettement », la grande coalition a déjà assuré que les dettes
gigantesques contractées par les autorités de l’Etat seront reportées sur le
dos des retraités, des malades, des personnes dans le besoin et de la
population laborieuse.
Le prochain gouvernement imposera des
attaques sociales qui éclipseront de loin la politique anti-sociale (Agenda
2010) appliquée jusque-là par l’ancienne coalition SPD-Verts dirigée par
Gerhard Schröder (SPD) et poursuivie par l’actuelle grande coalition. Toutes
les palabres de Merkel et de Steinmeier en faveur d’équité, d’économie sociale
de marché et de croissance visent à dissimuler leurs intentions véritables.
Les quatre présentateurs du duel télévisé se
sont associés à ce jeu de cache-cache. Ils ont à plusieurs reprises interrompu
Merkel et Steinmeier dans l’espoir de leur faire faire un faux-pas pour
engendrer ainsi artificiellement une atmosphère plus combative. Mais, tout
comme les deux candidats, ils ont éludé les questions cruciales. Seule la
présentatrice, Maybrit Illner, a posé à Steinmeier la question: « Ne
devriez-vous pas dire que ce sera encore plus dur que ce n’est déjà le cas avec
l’agenda 2010 ? », puis est aussitôt passée à autre chose.
Steinmeier et Merkel se sont abstenus de
s’attaquer mutuellement parce qu’ils considèrent que la grande coalition est la
forme de gouvernement la plus apte à imposer les coupes sociales à venir. La
participation du FDP, défenseur du libre-marché, à un gouvernement imposant une
telle politique ferait voir rouge à de vastes sections de la classe ouvrière.
Les syndicats notamment auraient beaucoup de mal à protéger les arrières du
gouvernement. Toutefois, ni le CDU/CSU ni le SPD n’excluent une coalition avec
le FDP.
Quant au Verts et au Parti La Gauche (Die
Linke), ils se positionnent de manière à pouvoir éviter toute confrontation
sociale et en cas d’aggravation de la crise politique, ils sont prêts à
rejoindre eux-mêmes un gouvernement de coalition. Les deux partis ont déjà
prouvé leur fiabilité quand il s’est agi de rejeter le fardeau du déficit
budgétaire sur la population, les Verts durant leur période de partenariat au
gouvernement Schröder et Die Linke en tant que partenaire du SPD dans la
capitale allemande de Berlin.
Une autre question qui a été totalement
éludée lors du duel télévisé, est celle de la guerre en Afghanistan. A peine
dix jours avant le duel, plus d’une centaine de personnes dont de nombreux
civils avaient été tués dans un bombardement aérien près de Kunduz, sur les
ordres d’un officier de l’armée allemande. Le massacre de Kunduz a détruit le
mythe selon lequel l’armée allemande était engagée dans un quelconque travail
humanitaire en Afghanistan et n’était nullement impliquée dans la guerre. En
réalité, les forces allemandes agissent comme une armée d’occupation en entrant
de plus en plus souvent en conflit avec la résistance locale.
Le SPD tout comme le CDU/CSU a défendu sans
réserve le massacre de Kunduz. Entre-temps les voix se multiplient pour exiger
qu’une conclusion appropriée soit tirée et qu’une « véritable »
guerre soit menée en Afghanistan. Dans son édition de samedi, le Süddeutsche
Zeitung a réclamé que les « conditions du déploiement soient
fondamentalement modifiées. » L’actuel contingent de 4500 soldats est
insuffisant, l’armée allemande devrait être en mesure de lancer ses propres
frappes aériennes et ses soldats devraient disposer d’un « statut
juridique plus solide», c’est-à-dire qu’à l’avenir ils devraient pouvoir tuer
sans avoir à craindre le Procureur de la République.
Il ne fait pas de doute que de telles
exigences seront entendues dans les milieux gouvernementaux après les
élections, mais jusqu’au 27 septembre, les politiciens s'accordent à ne pas
soulever ces questions.