Le Forum
économique mondial qui s'est tenu les 10 et 12 septembre dans la ville chinoise
de Dalian a accueilli 1400 chefs d'entreprise, représentants de gouvernements
et économistes du monde entier. Décrit comme le « Davos d'été »
annuel, ce rassemblement témoigne de l'attention accrue que portent les élites
dirigeantes internationales à la Chine, qui est le principal moteur de la
croissance économique.
Le forum de Dalian
a été lancé en 2007 en tant que supplément au forum économique mondial de Davos
en Suisse. Les thèmes soulignent tous la montée de l'économie chinoise et son
importance pour le capitalisme mondial : « L'équation du changement
de puissance » en 2007, puis « La prochaine vague de
croissance » en 2008 et « Relancer la croissance » cette année.
Cependant, la
réalité c'est que la Chine, malgré sa croissance continue, est gêné par ses
propres problèmes économiques. Dans son discours d'ouverture, le premier
ministre chinois Wen Jiabao a expliqué : « Le rebond économique
chinois est instable, déséquilibré et pas encore solide. » Il a mentionné
en particulier la « pression monumentale » pesant sur la Chine et
créée par le déclin économique mondial de la demande pour ses exportations, qui
se poursuit toujours.
De nombreux
économistes s'attendent à ce que la Chine atteigne l'objectif gouvernemental de
cette année d'une croissance à 8 pour cent. En même temps, pourtant, la plupart
de cette croissance est directement liée à l'énorme fonds de soutien de Pékin
(4000 milliards de yuans soit 585 milliards de dollars américains) et à une
surdose massive de prêts bancaires (1100 milliards de dollars pour la première
moitié de l'année). De telles mesures ne sont tout simplement pas soutenables à
long terme.
Wen souligne le
fait que la priorité du gouvernement était de maintenir la stabilité sociale en
« prenant toutes les mesures possibles pour développer l'emploi ». Un
rapport récent de l'Académie chinoise des sciences sociales a établi que 41
millions de travailleurs avaient perdu leur emploi depuis que la crise
financière mondiale avait éclaté l'année dernière — ce qui équivaut à 40 pour
cent des pertes d'emploi totales dans le monde. Parmi ceux qui ont perdu leur
emploi, 23 millions sont toujours sans emploi. Les statistiques plus récentes
publiées en août indiquent 16,5 millions de pertes d'emplois.
Pourtant, de
nombreux PDG continuent à parier sur des taux de croissance élevés en Chine. La
prétendue reprise dont on se gargarise dans la presse financière des économies
asiatiques, y compris au Japon, en Corée du Sud et à Taiwan, est largement
fondée sur des exportations croissantes vers la Chine. L'économie australienne
a pu éviter d'être techniquement considérée en récession grâce à des ventes
toujours importantes de matières premières à destination de la Chine.
James J. Schiro,
PDG de Zurich financial services, a déclaré au forum :
« traditionnellement, l'économie américaine tire l'économie mondiale hors
de la crise de cette manière. Mais avec un chômage en hausse et des dépenses
de consommation qui stagnent, c'est l'économie chinoise qui revient plus
rapidement à la croissance. La Chine va prendre encore plus d'importance suite
à cette crise. » Klaus Schwab, le président du forum économique mondial, a
déclaré au China Daily : « Le fait que l'objectif de croissance a
été atteint montre que la chine s'en sort mieux que les autres et sera la
première à sortir de la crise. »
Les dernières
statistiques chinoises publiées la semaine dernière montrent des signes de
croissance. La production industrielle en août a augmenté de 12,3 pour cent
comparée à la même période de l'année dernière, soit sa progression la plus
rapide depuis 12 mois, l'augmentation de juillet était de 10,8 pour cent. L'investissement
sur le long terme [usines, immeubles, équipements lourds, etc., ndt] a
progressé de 33 pour cent comparé à la même période de l'année dernière. Les
nouveaux prêts consentis par les banques se montaient à 410,4 milliards de
yuans en août, contre 355,9 milliards en juillet et 271,5 milliards en août
2008.
Cependant,
l'indicateur principal des exportations, ce qui a constitué le moteur principal
de la croissance économique chinoise, est toujours à la baisse en raison de la
faible demande des consommateurs américains, européens et japonais. Les
exportations, bien qu'en augmentation de 3,4 pour cent comparées à juillet, ont
baissé de 23,4 pour cent comparée à la même période de l'année dernière.
Le président de
Morgan Stanley Asie, Stephen Roach, a déclaré au Financial Times,
« cette tendance [de la croissance] n'est pas durable et, bien que
l'économie chinoise va probablement croître aux troisième et quatrième
trimestres cette année, le véritable test sera l'année prochaine, lorsqu'il
deviendra évident que la demande extérieure, emmenée par les consommateurs
américains, a de graves ennuis. »
Écrivant dans le Financial
Times de juillet, Roach a commenté : « j'ai été un optimiste sur la
Chine. Mais je commence à m'inquiéter. » Il a indiqué que l'augmentation
des investissements avait représenté 88 pour cent de la croissance économique
de la Chine dans la première moitié de 2009, un record – plus du double de la
contribution moyenne de la décennie précédente, qui était de 43 pour cent. Il a
averti que l'explosion des prêts bancaires ne faisait que planter les germes
d'une très grosse augmentation du nombre des prêts non remboursés.
Roach a
prévenu : « Il y a un peu moins de deux ans, le premier ministre
Jiabao mettait en garde contre une économie chinoise qui devenait de plus en
plus "instable, déséquilibrée, désorganisée et en fin de compte
insoutenable". Des mots inspirés. Et pourtant, au lieu de répondre à
ces inquiétudes en lançant un rééquilibrage en faveur de la consommation, la
Chine assoiffée de croissance a été séduite par le boom du commerce mondial et
a augmenté la mise sur ses secteurs les plus déséquilibrés. En 2007,
l'investissement et les exportations représentaient près de 80 pour cent du PIB
chinois. Et aujourd'hui, devant une récession globale sévère, la Chine recrée
les mêmes problèmes contre lesquels le premier ministre l'avait mise en
garde : consacrer un plan de relance fortement constitué de liquidité à
ses secteurs qui sont déjà les plus déséquilibrés ».
Au forum, le
premier ministre Wen a juré de changer la dynamique de la croissance chinoise,
passant des exportations et de l'investissement à la consommation intérieure.
Cependant, toute augmentation de la consommation intérieure impliquerait de
faire des concessions substantielles aux travailleurs, ce qui saperait la
position chinoise de première plate-forme mondiale de travail à bas coût. De
nombreuses petites compagnies chinoises fonctionnent déjà avec des taux de
profits serrés ou ont déjà mis la clef sous la porte.
L'essentiel du
plan de relance n'a pas servi à stimuler les dépenses des consommateurs, mais à
construire les infrastructures permettant de baisser les coûts de
fabrication. Le ministère des voies ferrées prévoit d'ajouter 20 000
kilomètres de voies cette année aux 80 000 déjà existants, faisant du
réseau chinois le second du monde après les États-Unis. Quant aux routes, la
Chine n'avait un peu plus de 60 000 kilomètres d'autoroutes l'année
dernière, contre 75 000 aux États-Unis. Au cours des quelques années à
venir, on estime que le réseau autoroutier chinois sera étendu à 180 000
kilomètres.
Ces grands projets
de construction ont créé la demande pour les grandes compagnies d'Etat qui
produisent du ciment et de l'acier, mais n'ont pas fait grand-chose pour les
nombreuses petites et moyennes entreprises qui représentent 75 pour cent des
emplois urbains. Selon une étude de l'Académie chinoise des sciences sociales
publiée en juin, 40 pour cent de toutes les petites et moyennes entreprises ont
fermé, et 40 autres pour cent étaient en difficulté, seulement 20 pour cent
étaient relativement épargnées par la crise économique.
Dans son discours
au forum, le premier ministre Wen a rassuré les investisseurs mondiaux sur le
fait que Pékin ne changerait pas ses mesures de relance. « Nous ne pouvons
pas changer et nous ne changerons pas la direction de notre politique au moment
où les conditions ne sont pas appropriées, » a-t-il dit. Pourtant, les
craintes que Pékin ne soit forcé de resserrer l'apport de crédits ont entraîné
le marché chinois des actions, très surévalué, à perdre 20 pour cent de son
volume en août. L'afflux de prêts bancaires a entraîné une spéculation rampante
sur les actions et les immeubles.
Les producteurs
dépendent également des mesures de relance comme les aides à l'achat de
voitures, dont les ventes ont augmenté de 90 pour cent en août 2009 comparé à
août 2008. General Motors a été contraint de se déclarer en banqueroute aux
États-Unis mais c'est actuellement le plus important fabricant étranger de
voitures en Chine, et il a doublé ses ventes en août. Avec 12 millions de
ventes de véhicules attendues pour cette année, la Chine va probablement
dépasser les États-Unis à la première place des marchés automobiles mondiaux. Cependant,
comme le notait le Wall Street Journal, la forte croissance actuelle
n'est que le résultat de la baisse des taxes sur les ventes de véhicules, ce
qui encourage les consommateurs à anticiper leurs achats. Pour l'année
prochaine, on s'attend à ce que la croissance des ventes ne soit que de 2 pour
cent, entraînant une énorme surcapacité de production.
Les espoirs
chinois d'une reprise des exportations sont confrontés à une vague montante de
protectionnisme. Moins de 24 heures après le discours de Wen, les États-Unis
ont fait monter les tensions commerciales avec la Chine en imposant un droit de
douane de 35 pour cent sur les pneus chinois. Pékin a répondu au bout de
quelques heures en ordonnant une enquête sur les importations de pièces
détachées et la volaille américaines. Les États-Unis et la Chine, ainsi que
pratiquement tous les autres membres du G20, ont abandonné leurs promesses
précédentes d'éviter les mesures protectionnistes.
Ces dirigeants
d'entreprises, politiciens et hauts fonctionnaires se sont réunis à Dalian pour
rendre hommage à la Chine, considérée comme le fleuron du capitalisme mondial.
Mais un examen plus attentif révèle qu'en dépit de sa croissance continue,
l'économie chinoise est tout aussi fragile que ses pendants américains et européens.
Elle est loin d'être le moteur qui va relancer l'économie mondiale, une crise
majeure en Chine pourrait très bien être la goutte d'eau qui fera déborder le
vase et provoquer une dépression mondiale.