Peter Galbraith, chef adjoint de la mission des Nations
Unies en Afghanistan (UNAMA) et plus haut représentant américain de l’agence, a
été renvoyé mercredi pour ses critiques de l’élection afghane du 20 août.
Galbraith avait critiqué directement le président Hamid
Karzaï, l’accusant d’avoir perpétré une énorme fraude électorale dans les
élections. Dans les semaines qui ont suivi ces dernières, alors qu’étaient de
plus en plus répandues les indications de fraude, Galbraith s’est brouillé avec
le plus haut représentant de l’ONU en Afghanistan, Kai Eide de la Norvège.
Son renvoi survient alors que des signes indiquent que les
Etats-Unis et l’Europe ont décidé de soutenir Karzaï pour un autre mandat. Un
article paru lundi dans le Washington Post a rapporté que des ministres
des Affaires étrangères des Etats-Unis et de l’OTAN « ont dit au
gouvernement du président Hamid Karzaï qu’ils s’attendaient à ce que celui-ci
reste au pouvoir pour un autre mandat de cinq ans ». (Voir “US, NATO reach ‘consensus’ to sanction rigged election in
Afghanistan”)
Cette approbation de la revendication de victoire par
Karzaï survient à la suite d’un débat au sein de l’administration Obama sur la
façon de réagir au vote afghan. Certains ont vu dans l’émergence de preuves
d’une immense fraude l’occasion de mettre Karzaï sur la touche, lui qui s’est
heurté aux Etats-Unis pour avoir critiqué le nombre de victimes civiles. La
fraude électorale, combinée à la corruption et l’impopularité incontestées de
Karzaï, était aussi vue comme un handicap pour les forces d’occupation.
Des sections de l’establishment politique préféraient une
entente qui aurait réduit les pouvoirs de Karzaï, peut-être dans le cadre d’un
partage de pouvoir avec son principal opposant, Abdoullah Abdoullah. A ce
moment, les accusations de fraude par Galbraith ont servi à intensifier la
pression sur Karzaï.
Au bout du compte, on a décidé cependant qu’une incertitude
prolongée à propos des résultats électoraux pouvait être plus dommageable à
l’occupation américaine, surtout que l’administration Obama songe à envoyer
40 000 soldats de plus dans le pays pour réprimer l’opposition populaire.
On pourrait devoir attendre jusqu’au printemps pour un recomptage, ce qui
signifierait une incertitude de plusieurs mois sur la stabilité et la
légitimité du gouvernement afghan. Appuyer Karzaï est devenu la « moins
pire » option pour l’escalade de l’occupation.
Mercredi, le New York Times a écrit : « Alors
que les officiels Américains acceptent de plus en plus l’idée que M. Karzaï
sera le prochain président, et ce, malgré de nombreuses irrégularités dans
l’élection qui sont bien documentées, la position de M. Galbraith le met en
conflit avec l’administration Obama et les Nations Unies. »
Selon le Washington Post, Eide a dit qu’il a un
soutien « « unanime » de la part des Etats-Unis et des autres
nations impliquées dans la région. La secrétaire d’Etat, Hillary Rodham
Clinton, a refusé de critiquer le renvoi, le décrivant comme « une affaire
des Nations Unies ».
Les accusations continues de fraude de la part de Galbraith
se heurtent évidemment aux changements dans les vents politiques. Lundi, il a
envoyé une lettre au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, accusant l’ONU
de complicité directe dans la fraude électorale afghane :
« Étant donné notre mandat d’appuyer des élections
« libres, justes et transparentes », écrit Galbraith, « je crois
qu’UNAMA ne peut pas fermer les yeux sur cette fraude sans compromettre notre
neutralité et devenir complice dans les tentatives faites pour étouffer
l’affaire. »
Galbraith a affirmé que dans les mois qui avaient précédé
l’élection, il avait commencé à faire état de bureaux de vote « fantômes »
— « des bureaux de vote placés dans des zones tellement dangereuses que
ces bureaux n’ouvriraient jamais. » Il a dit : « Les ministres
afghans, dont le maintien en poste dépendait de la fraude, se sont plaint de mon
intervention et Kai m’a ordonné de lâcher cette affaire. Au bout du compte, la
plus grande partie de la fraude électorale est survenue dans ces bureaux de
vote fantômes », a-t-il dit.
Les données de l’ONU montrent que le taux de participation
était très bas dans plusieurs provinces-clé du sud de l’Afghanistan qui ont
rapporté une grande part des votes en faveur de Karzaï. Galbraith écrit qu’Eide
« a donné l’ordre au personnel de ne pas partager les données [sur le taux
de participation] avec personne… » Il a continué en déclarant que, peu
après les élections, « Kai a dit au président Karzaï que « je suis
partial » en ta faveur et que « ceux qui sont là pour t’avoir sont
aussi là pour m’avoir ».
Les partisans du principal opposant de Karzaï, Abdoullah
Abdoullah, qui était vu par les Etats-Unis comme une alternative possible, ont
appelé à une enquête criminelle dans les élections, se servant des accusations
de Galbraith comme preuve que la supervision des Nations Unies était souillée.
Depuis le début, les élections afghanes — présentées en
grande pompe par l’administration Obama comme une grande avancée pour la
démocratie — ont été hautement antidémocratiques. Quiconque opposé à
l’occupation a été empêché de se présenter, la vaste majorité de la population
étant ainsi sans représentation.
Après avoir louangé les élections, l’administration Obama a
réagi aux preuves de fraude, la voyant comme une façon de poursuivre ses
propres objectifs en changeant le gouvernement fantoche à Kaboul. Aussitôt que
cela menaça de faire obstacle aux plans américains en déstabilisant le
gouvernement, les Etats-Unis ont appuyé à nouveau Karzaï. Les allégations de
fraudes sont maintenant rapidement supprimées.
La principale préoccupation est
l’établissement d’un régime pantin pour continuer et étendre la guerre sous
direction américaine. L’administration Obama est actuellement en discussion
avec les principaux généraux sur la question de l’envoi d’autres troupes en
plus de celles déjà prévues dans le plan des renforts (surge) annoncé
par Obama plus tôt cette année.
L’attitude des médias et de l’élite
politique aux Etats-Unis face aux élections afghanes contraste avec la large
campagne sur les supposées fraudes électorales en Iran il y a quelques mois.
Alors qu’il n’y avait pas de preuve que la fraude avait changé le résultat
électoral en Iran, on a vu une opération de déstabilisation visant à faire
tomber le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et à le remplacer par un
gouvernement dirigé par son adversaire Mir Hossein Moussavi, plus accommodant
pour les intérêts américains.
Des journaux de la soi-disant gauche et de
la droite se sont précipités pour offrir leur soutien à l’opposition
« verte », dénonçant le gouvernement iranien pour avoir organisé le
« vol de l’élection ».
Cette campagne médiatique continue toujours
des mois après l’élection. Obama, délibérément, utilise la provocation sur la
question du programme nucléaire iranien pour renforcer l’opposition iranienne à
Ahmadinejad.
Reprenant une opinion avancée par plusieurs
autres commentateurs, Robert Kagan, conseiller du commandant américain en
Afghanistan, le général Stanley McChrystal, a écrit dans le Washington Post
du mercredi 30 septembre que les nouvelles sanctions devraient viser à
augmenter « l’instabilité » du gouvernement iranien.
« Les sanctions ne vont pas convaincre
l’actuel gouvernement iranien d’abandonner son programme d’armement nucléaire,
écrit Kagan. Ahmadinejad et Khamenei voit le programme nucléaire et leur propre
survie politique comme étant intimement liés. Mais le bon type de sanctions
pourrait aider l’opposition iranienne à renverser ces dirigeants qui demeurent
toujours vulnérables. »
Il n’y a pas de colère comparable au sujet
des élections en Afghanistan, pas plus qu’on ne trouvera d’appels pour venir en
aide aux adversaires dépossédés de Karzaï. La décision d’Obama de soutenir
Karzaï n’a suscité aucun commentaire des supporteurs libéraux du président,
telle la revue Nation. Au contraire, cette revue a ouvert ses pages à
la défense de la « révolution verte ».
Ce qui explique ces deux réactions
apparemment contradictoires, ce sont les intérêts de l’impérialisme américain
au Moyen-Orient et en Asie centrale. Lorsque des allégations de fraudes vont
dans le sens de ses intérêts, comme en Iran, Washington et les médias
américains montent au front pour défendre la « démocratie ».
Lorsqu’une véritable fraude de masse, pour laquelle les preuves sont établies,
comme celle qu’a connue l’Afghanistan, vient au contraire aider les intérêts
américains, les prétentions démocratiques sont mises de côté au nom de la
stabilité.