La chute du taux de vote à 23 pour cent du Parti social-démocrate (SPD)
lors des élections législatives de dimanche dernier a provoqué nombre de
réactions et de débats. De nombreux commentaires nourrissent l’espoir que le
SPD sera en mesure de se régénérer et de reprendre des forces sur les bancs
de l’opposition.
Le dirigeant du Parti La Gauche (Die Linke), Gregor Gysi, a recommandé au
SPD de mettre à profit son rôle de parti d’opposition pour se « re-social-démocratiser ».
Son collègue, Oskar Lafontaine a proposé une refonte du SPD.
Ce qui est remarquable à propos de ce débat c’est le recours aux termes
abstraits et aux clichés. On fait comme si, en raison de son histoire, le
SPD représentait les intérêts de la classe ouvrière. Le parti, dit-on, a
malheureusement abandonné le chemin de la réforme social-démocrate mais il
pourra en retrouver le chemin.
Personne n’ose regarder la réalité en face en répondant à la question :
qu’est-ce-que le SPD ? La raison en est qu’un examen minutieux du programme
du parti, de sa politique et de son orientation sociale montre clairement
que le SPD est un parti bourgeois de droite. Il a imposé des attaques
sociales durant les onze années passées au gouvernement et réduits les
droits démocratiques comme aucun gouvernement mené par les conservateurs ne
l’avait fait avant lui. Il se vante encore aujourd’hui d’avoir mis en
oeuvre, en alliance avec les Verts, les « réformes sociales », c’est-à-dire
les coupes sociales, qui avaient été exigées par les associations patronales
et que le gouvernement Kohl ne fut pas en mesure d’appliquer.
La coalition SPD-Verts a introduit les bas salaires à grande échelle avec
les lois Hartz et les « réformes » de l’Agenda 2010. Ces réformes ont sapé
les salaires tarifaires en mettant en marche une spirale de réduction des
salaires occasionnant la pauvreté de masse et la misère. Par contre elles
ont fortement baissé les impôts pour le patronat et les riches, intensifiant
la redistribution des richesses du bas vers le haut. Durant les sept années
du gouvernement Schröder, le taux d’imposition maximal a baissé de 53 à 42
pour cent.
Les ministres des Finances sociaux-démocrates ont évoqué les caisses
prétendument vides pour justifier une mesure d’austérité après l’autre.
Pourtant, ils se sont dépêchés d’octroyer plus de 480 milliards d’euros aux
banques pour couvrir leurs opérations spéculatives à risque et en partie
criminelles. Pas un seul directeur de banque n’a été obligé de rendre des
comptes pour les pertes et la dévastation sociale qu’il a causé. Au Willy
Brandt Haus, le siège du SPD, le parti se félicite de ses bonnes relations
avec l’aristocratie financière.
Dans le même temps, le SPD, en alliance avec les Verts et l’Union
chrétienne démocrate/Union chrétienne sociale (CDU/CSU), a sévèrement
restreint les droits démocratiques et assigné à la Bundeswehr (l’armée
allemande) des missions internationales de combat. Depuis huit ans, il
soutient la guerre en Afghanistan, s’efforçant de dissimuler son caractère
impérialiste sous des clichés humanitaires. L’ancien ministre de la Défense
social-démocrate, Peter Struck, a affirmé dernièrement au parlement qu’il
lui était impossible de supporter plus longtemps l’opposition continue de la
population à la guerre.
Cette politique droitière du SPD signifie-t-elle qu’il n’y a pas
différence entre lui et le Parti libéral démocrate (FDP) et qu’il faille
saluer la victoire électorale de dimanche dernier du CDU/CSU et du FDP ? Pas
du tout.
Le SPD et le FDP sont, au même titre que le CDU et le CSU, des partis
bourgeois de droite mais ils ont une histoire différente et remplissent des
fonctions différentes. Le SPD a cherché et cherche encore à appliquer la
politique des coupes sociales de manière à pouvoir contrôler la résistance
de la classe ouvrière. Pour ce faire il peut compter sur les syndicats dont
l’appareil étouffe toute résistance sérieuse d’en bas. A cet égard, il est
un instrument important pour la protection du régime bourgeois en temps de
crise.
Le FDP, qui est nettement plus petit, s’appuie sur une section de la
classe moyenne plus fortunée. Ce n’est pas par hasard s’il s’est qualifié,
il y a quelques années, de « parti des hauts salaires ». Il s’est formé
après la Deuxième guerre mondiale à partir des restes du Parti national
libéral et du Parti populaire allemand, il a toujours disposé d’une forte
aile nationaliste. Pendant l’ère Willy Brandt, les forces sociales-libérales
au sein du FDP prédominaient. Mais sous la direction de Guido Westerwelle et
du secrétaire général actuel, Dirk Niebel, le parti s’est forgé un profil
plus pro-patronal en devenant le porte-parole des sections les plus égoïstes
et les plus arrogantes de la classe moyenne fortunée.
Dimanche, le FDP de Westerwelle, en alliance avec l’aile patronale du
CDU/CSU, a sensiblement gagné en influence et prépare un gouvernement qui
intensifiera radicalement les assauts à l’encontre des acquis sociaux en
exigeant la dérégulation, des privatisations et des réductions d’impôts.
La responsabilité politique pour ce virage à droite incombe entièrement
au SPD. Le prochain gouvernement sera un gouvernement de confrontation
sociale. Il est le résultat de nombreuses années d’attaques sociales pour
lesquelles les sociaux-démocrates sont responsables. La politique
réactionnaire du SPD a ouvert la voie aux forces politiques les plus
droitières.
Le SPD le savait et a fondé là-dessus ses calculs politiques. Dans une
campagne électorale cynique, il a souligné maintes fois qu’il ne toucherait
pas la « politique de l’Agenda 2010. » Le SPD avait cependant espéré que ce
serait suffisant pour une poursuite de sa grande coalition avec le CDU afin
de pouvoir appliquer de manière habituelle les coupes sociales grâce à la
collaboration des deux plus grands partis et avec l’aide des syndicats.
Le soir de l’élection, le cours droitier du SPD devait produire un
résultat différent. Des millions d’électeurs refusèrent de voter en sa
faveur. Les pertes du parti étaient particulièrement fortes dans les
bastions traditionnellement sociaux-démocrates. D’un autre côté, des
sections de la classe moyenne plus aisée est entrée en mouvement. Préoccupée
par la crise économique, elles craignent pour leur position sociale
privilégiée. Elles ont soutenu le FDP dans l’espoir de reporter le fardeau
de la crise sur les couches sociales inférieures.
Les associations patronales ont profité de ce changement de climat pour
une coalition CDU/CSU-FDP dans le but de mettre en place un gouvernement qui
mènera des attaques sociales bien plus sévères que ne le furent celles de la
grande coalition précédente. Elles considèrent la crise économique comme une
occasion de mettre fin à ce qui reste de l’Etat social et de rayer une fois
pour toutes le mot « social » de l’économie de marché.
Le changement de gouvernement marque une nouvelle étape des
développements sociaux. D’importantes luttes de classe sont à présent à
l’ordre du jour. Tout comme le FDP, l’aile patronale du CDU/CSU ne cache pas
le fait que le nouveau gouvernement obéira aux dictats de l’élite
économique.
De nombreux observateurs politiques et économiques sont inquiets et
lancent des mises en garde contre une agitation sociale à venir. Certains
s’accrochent à la déclaration de Merkel faite le soir de l’élection de
vouloir être la « chancelière de tous les Allemands. » L’idée que justement
Angela Merkel maintiendrait la cohésion et l’équilibre social est grotesque.
La chancelière avait déjà montré sa maniabilité en 2003 lorsqu’elle avait
fait un pacte avec les partisans du libre marché de Friedrich Merz lors du
congrès du Parti à Leipzig pour préconiser l’introduction d’une cotisation
forfaitaire par tête pour la sécurité sociale.
En résumé on peut faire tirer le bilan suivant :
La responsabilité politique du futur gouvernement de confrontation
sociale incombe totalement au SPD qui a frayé le chemin aux forces
politiques droitières avec ses attaques à l’encontre des services et des
acquis sociaux. Le fait que de nombreux travailleurs refusent à présent de
voter pour le SPD est à saluer. Mais il faut maintenant faire le prochain
pas : la construction d’un nouveau parti qui s’oppose à la logique du
capitalisme et qui mobilise la classe ouvrière internationalement dans une
lutte pour la défense de ses droits est de ses acquis. Ceci requiert un
programme socialiste international.
C’est en cela que réside la signification de la participation du Partei
für Soziale Gleichheit (Parti de l’Egalité sociale, PSG) à l’élection
législative. En tant que section allemande de la Quatrième Internationale,
le PSG se fonde sur une longue tradition de marxisme révolutionnaire. Il se
base sur les leçons politiques des luttes de classe passées et se bat pour
l’indépendance politique de la classe ouvrière.
La rupture avec le SPD qui a débuté doit être poursuivie et approfondie.
Sur les bancs de l’opposition, le SPD continuera de maintenir sa politique
antisociale. Il considère comme son principal devoir d’étouffer tout
mouvement social contre le nouveau gouvernement. Die Linke et les divers
groupements politiques qui l’ont rejoint soutiendront le SPD en cela. Voici
la véritable signification de leur affirmation que le SPD se régénérera sur
les bancs de l’opposition.
Il est clair dès à présent qu’une telle régénérescence n’aura pas lieu.
Frank-Walter Steinmeier, l’architecte de l’Agenda 2010 et ex-candidat à la
chancellerie, a pris la tête du groupe parlementaire du SPD afin d’empêcher
tout écart par rapport à la politique de l’Agenda 2010. Après des années de
coopération avec Merkel en tant que vice-chancelier, il a promis au nouveau
gouvernement que le SPD formerait « une opposition responsable. »
Le nouveau chef du SPD sera Sigmar Gabriel. Il est le dirigeant des
soi-disant « gens de réseaux » au sein du SPD, une alliance de jeunes
carriéristes et d’arrivistes qui ont transcrit leur opportunisme dans la
formule : « Ni gauche, ni droite, mais en avant ! » Leur programme politique
se traduit par : tout ce qui promeut la propre carrière au sein du parti,
est bon.
Les résultats des élections de dimanche dernier n’ont pas seulement posé
les jalons de violentes luttes de classe mais annoncent aussi un important
processus de clarification politique.