L’administration Obama étant à la veille
d’annoncer une escalade qui enverra presque certainement des dizaines de
milliers de soldats de plus à la guerre en Afghanistan, l’opposition
populaire à la guerre continue de croître.
Selon un sondage mené par CNN cette semaine, 58 pour cent
de la population américaine est opposée à la guerre. De l’autre côté de
l’Atlantique, les sentiments anti-guerre en Grande-Bretagne, qui possède
le deuxième contingent en importance en Afghanistan, sont encore plus
importants. Le dernier sondage révèle qu’à peine 21 pour cent soutiennent
la guerre et que 63 pour cent sont en faveur d’un retrait des troupes
britanniques.
Le nombre de victimes a grimpé en flèche cette année :
288 soldats américains et 95 soldats britanniques ont été tués. Beaucoup
d’autres ont été blessés, ce qui s’exprime par de nombreux cas
d’amputations et de lésions cérébrales.
L’intervention menée par les Etats-Unis a essuyé un
revers après l’autre. La résistance armée s’est étendue à travers
le pays et des régions entières sont maintenant sous le contrôle des talibans
et de milices locales opposées à l’occupation. Politiquement, la
frauduleuse et grotesque élection présidentielle n’a servi qu’à mettre
en lumière la corruption du gouvernement fantoche de Washington dirigé par
Hamid Karzaï et aviver l’hostilité de la population afghane à
l’égard de son régime.
Le commandant en chef des Etats-Unis en Afghanistan, le
général Stanley McChrystal, a soutenu qu’il fallait gagner « les
cœurs et les esprits » du peuple afghan en leur apportant supposément
la sécurité et en réduisant le nombre de frappes aériennes pour limiter les
pertes civiles. Deux récents rapports indiquent cependant que ces affirmations
ne sont que des feuilles de vigne pour masquer une importante escalade
militaire.
Les Afghans, auxquels les forces américaines voudraient
supposément apporter la « sécurité », fuient ces dernières en grand
nombre. Le Wall Street Journal a cité jeudi dernier le ministère afghan
des Réfugiés et du Rapatriement, rapportant que « 150.000 personnes, et
peut-être beaucoup plus, ont été forcées de quitter leurs maisons en raison des
combats » qui ont éclaté depuis que les troupes américaines ont été envoyées
dans le sud du pays. Le Journal a rapporté les paroles d’un
réfugié âgé de 60 ans qui a critiqué les « frappes aériennes
étrangères », ajoutant, « Nos enfants ont été tués; nos récoltes ont
été détruites ; nos maisons ont été endommagées. Il n’y avait plus
rien pour nous là-bas. »
Ces frappes aériennes se sont à nouveau intensifiées, en
dépit des déclarations de McChrystal. L’Air Force Times, citant
l’Air Forces Central Command, a rapporté que les avions de guerre
américains et de l’OTAN ont largué 647 bombes sur l’Afghanistan le
mois dernier et procédé à 2539 sorties de soutien rapproché. C’était la
plus importante quantité de bombes larguées depuis juillet 2008.
C’est dans ce contexte de sentiments anti-guerre qui
ne font que s’accentuer et d’une crise frappant
l’intervention menée par les Etats-Unis qui s’intensifie que
l’armée américaine a souffert d’un désastre sans précédent, lorsque
le Major Nidal Hasan a tué 12 soldats et un civil à Fort Hood au Texas.
L’évènement était un sous-produit de la guerre elle-même.
Hasan, un psychiatre de l’armée, était opposé aux guerres
d’Afghanistan et d’Irak, apparemment traumatisé par ses six années
d’intervention auprès des soldats blessés et mentalement affectés à
l’hôpital de l’armée Walter Reed, et dérangé par le harcèlement
anti-musulman subi dans l’armée. D’anciens collègues cités par la
radio nationale publique se sont décrits comme étant « profondément
troublés » par le comportement de Hasan, qu’ils ont caractérisé de
« déconnecté, distant, paranoïaque, belligérant et schizoïde ».
Au lieu d’intervenir pour empêcher Hasan de faire du
mal à lui-même et aux autres, l’armée a décidé de l’envoyer en
Afghanistan, sachant qu’il était désespéré d’éviter d’aller
en guerre. Jeudi dernier, Hasan a craqué, et s’est lancé dans sa fusillade
mortelle.
En réplique, l’establishment politique et les médias
de la grande entreprise sont intervenus pour transformer la tuerie en une
attaque terroriste, démontrant supposément la nécessité d’intensifier la
« guerre au terrorisme » tant à l’extérieur du pays qu’à
l’intérieur.
Les commentateurs de droite ont initié ce tournant,
dénonçant le reste des médias pour leur « conformité politique » dans
leur échec à faire en sorte que la croyance du commandant dans l’islam
soit la motivation pour la tuerie et la preuve qu’elle constitue un acte
de terrorisme. Le fait qu’il fût manifestement dérangé psychologiquement
a été écarté comme n’étant pas pertinent.
Dans une chronique publiée jeudi dans le Wall Street
Journal, l’éditorialiste adjoint, Daniel Henninger, a blâmé le
massacre de Fort Hood sur ceux qui avaient remis en question l’espionnage
intérieur, la « simulation de noyade, les restitutions et les prisons
secrètes ». La leçon de Fort Hood, a-t-il prétendu, était que
« là-bas ou ici à la maison, ils vont continuer d’essayer de nous
tuer ».
Le reste des médias a emboîté le pas, concentrant son
attention sur les courriels envoyés entre Hasan et un imam au Yémen et sur ses
déclarations de convictions religieuses, tout en demandant comment les
enquêteurs fédéraux n’avaient pas réussi à poursuivre une enquête de
sécurité entourant le commandant.
La douleur causée par les 13 victimes de la tuerie de Fort
Hood a été exploitée à fond, les présentateurs de la télévision bien nantis
utilisant cette tragédie pour glorifier l’armée et les guerres
d’aggression que mène Washington dans le golfe Persique et l’Asie
centrale, deux régions riches en pétrole. Obama a, lui, utilisé ces événements
pour tenter de renforcer le soutien au militarisme américain, y compris
l’escalade prévue en Afghanistan.
Les médias de la Grande-Bretagne ont offert un spectacle du
même type, peut-être encore plus de dégoûtant par certains aspects, avec en
tête le tabloïde Sun appartenant au magnat de la presse de droite,
Rupert Murdoch.
Ici, ce sont les soldats britanniques morts au combat,
ayant provoqué une montée de l’hostilité à la guerre en Grande-Bretagne,
qui sont exploités pour faire la promotion de l’escalade de la guerre.
L’instrument choisi pour cette opération est la mauvaise lettre de condoléances
qu’a fait parvenir le premier ministre Gordon Brown à la mère de Jamie
Janes, un soldat tué en Afghanistan par un engin explosif sur la route.
Le Sun ne s’est pas limité à publier la lettre
de Brown avec la réponse de Jacqui Janes qui blâmait le premier ministre pour
n’avoir pas pu écrire le nom de son fils correctement et pour
n’avoir pas su équiper adéquatement les troupes britanniques. Il a aussi
mis en ligne sur son site web un enregistrement d’une conversation
acrimonieuse entre Brown et la mère du soldat enregistrée à l’insu du
premier ministre lorsqu’il a tenté de s’excuser par téléphone.
Le but évident de Murdoch et du Sun est de contrer
l’opposition à la guerre en affirmant que le problème est
l’incompétence du gouvernement travailliste qui serait réglé avec
l’élection des conservateurs et l’escalade de la guerre.
L’oncle du soldat, Ian Cox, un vétéran, a exprimé son
dégoût devant toute cette affaire, déclarant au quotidien Mirror, « Il
est très incorrect de détourner la douleur d’une femme ayant perdu son
fils à des fins politiques. »
C’est bien dit, mais de tels
« détournements » du sentiment populaire dans le but de faire la
promotion du militarisme pour l’étranger et de la réaction sociale au
pays est la norme plutôt que l’exception pour les médias de masse.
C’est précisément ce qui fut utilisé, de triste mémoire, lors de la
campagne concertée de propagande pour faussement lier la guerre en Afghanistan
et l’invasion américaine de l’Irak avec le 11-Septembre.
Aujourd’hui, la mort de soldats — ceux tués par
un officier dérangé à Fort Hood tout comme ceux tués en Afghanistan — est
exploitée dans une tentative d’intimider le sentiment anti-guerre qui
règne dans les masses et de faire accepter l’escalade militaire qui
signifiera inévitablement encore plus de morts, tant parmi les civils afghans
que parmi les soldats américains et britanniques déployés pour supprimer
l’opposition à une occupation étrangère.
(Article original anglais paru le 13 novembre 2009)