WSWS : Nouvelles et analyses : Canada
En poste de 2006 à 2007 en
Afghanistan, un diplomate canadien a soutenu mercredi dernier en commission
parlementaire que des centaines de personnes détenues par les troupes
canadiennes au sud de l’Afghanistan avaient été subséquemment torturées
par les autorités afghanes. Le Canada était de plus complice de leur torture,
le gouvernement et l’armée canadienne ayant refusé de tenir compte de ses
avertissements que la torture était « procédure d’usage » pour
les interrogateurs de la police secrète afghane, la Direction nationale pour la
sécurité (NDS).
Richard Colvin a affirmé
qu’il avait fait parvenir de nombreux rapports, à partir de mai 2006, à
l’armée et au gouvernement canadiens signalant que les prisonniers remis
à la NDS et à la police nationale afghane par les Forces armées canadiennes
(FAC) étaient systématiquement torturés. Il s’est cependant buté à
l’indifférence et à l’obstruction des FAC et de ses supérieurs au
ministère des Affaires étrangères.
Colvin a souligné
qu’un grand nombre parmi ceux qui avaient été transférés par les FAC
n’avaient aucun lien avec l’insurrection contre l’occupation
des Etats-Unis et de l’OTAN et le gouvernement fantoche de Hamid Karzaï.
Ils avaient été fait prisonniers par les FAC « lors d’opérations
militaires de routine et typiquement pas sur la base de renseignements, mais de
soupçons ou de dénonciations non prouvées ». Autrement dit, des Afghans
ordinaires, malchanceux d’avoir été saisis dans les ratissages
contre-insurrectionnels des FAC.
« Certains de ces Afghans », a
déclaré Colvin devant la commission de la Chambre des Communes sur la mission
canadienne en Afghanistan, « pouvaient être des soldats ou des combattants
[talibans]. Mais beaucoup d’entre eux n’étaient que des gens du
coin : des fermiers, des camionneurs, des tailleurs, des paysans ;
des êtres humains au mauvais endroit au mauvais moment ; des jeunes hommes
dans leurs champs et leurs villages qui étaient totalement innocents, mais qui
ont tout de même été capturés. »
« Autrement dit, a poursuivi Colvin, nous
avons capturé beaucoup de gens innocents et les avons envoyés se faire
sévèrement torturer. »
Colvin a ensuite ajouté que
même si une partie ou tous les détenus avaient été des talibans, leur torture
constitue tout de même une grave violation du droit international et fait du
Canada un complice de « crimes de guerre » : « La
complicité de torture est un crime de guerre. C’est illégal et donne lieu
à des poursuites. »
Partisan de
l’occupation de l’Afghanistan par les Etats-Unis et l’OTAN,
Colvin a soutenu que l’indifférence des autorités canadiennes envers le
bien-être et les droits des détenus afghans s’était avérée
contreproductive. « Plutôt que de gagner les cœurs et les esprits, a
dit Colvin, nous avons entraîné la peur des étrangers chez les habitants
de Kandahar. Les pratiques de détention du Canada nous ont aliéné la population
et ont renforcé l’insurrection. »
Colvin a fait remarquer
que, durant les 17 mois où il était en poste en Afghanistan, les FAC ont fait
beaucoup plus de prisonniers que les forces néerlandaises et britanniques
déployées dans le pays pauvre d’Asie centrale. De plus, contrairement aux
Néerlandais et aux Britanniques, les FAC n’avaient en place aucun
mécanisme pour évaluer le sort des détenus transférés aux forces de sécurité
afghanes.
« Selon nos
informations, a dit Colvin, il est probable que tous les Afghans que nous avons
remis aient été torturés. Pour ceux qui les interrogeaient à Kandahar,
c’était la procédure d’usage. »
Colvin a dit que des
prisonniers ont été battus, soumis à des chocs électriques, privés de sommeil,
violés ou abusés sexuellement.
Le premier ministre Stephen
Harper et d’autres ministres conservateurs de haut rang ont prétendu
qu’ils ne savaient rien des rapports de Colvin — même s’il
les a envoyés à des hauts responsables aux FAC, au ministère des Affaires
étrangères et au bureau du premier ministre — et qu’ils
n’avaient aucune raison, avant le printemps 2007, de croire que les autorités
afghanes maltraitaient des détenus qui leur étaient remis par les FAC.
Ces affirmations
n’ont jamais été crédibles. Les Nations unies, la Commission des droits
de l’homme en Afghanistan, une instance du gouvernement afghan et le
gouvernement américain ont tous dit qu’ils avaient des preuves que les
forces de sécurité afghane abusaient de manière routinière les prisonniers,
incluant la torture. Selon le rapport du département d’Etat en 2006 sur
les droits de l’homme, il y avait des indications incessantes de
« torture, de meurtres, de conditions misérables dans les prisons,
d’impunité officielle, de détention prolongée avant-procès » et
d’autres violations des droits de l’homme dans les prisons afghanes
et dans les centres de détention.
Le témoignage de Colvin
fournit cependant de nouvelles preuves que le gouvernement et l’armée, au
plus haut niveau, étaient au courant que les détenus étaient torturés et
qu’ils ont choisi de permettre la poursuite de cette pratique.
C’est seulement en mai 2007, après que l’affaire soit devenue une
controverse politique majeure et que le Globe
and Mail ait publié des entrevues avec quelques-uns des détenus des CAF qui
alléguaient des abus horribles que le gouvernement a signé un nouvel accord de
transfert des prisonniers avec Kaboul. Sous cet accord, les responsables
canadiens ont le droit d’enquêter sur les conditions et les traitements
accordés à tous les prisonniers que les FAC remettent aux forces de sécurité
afghanes.
Colvin a décrit à la
commission comment le commandement supérieur des FAC et les hauts
responsables du gouvernement canadien à
Ottawa, incluant David Mulroney — alors un conseiller à la Défense et aux
Affaires étrangères pour le premier ministre et homme important du gouvernement
pour l’Afghanistan et, plus tard, sous-ministre aux Affaires étrangères
du Canada — ont tout d’abord ignoré ses avertissements et ont
ensuite cherché à les censurer et à les supprimer.
« Au début, témoigna
Colvin, on nous ignorait surtout. Mais en avril 2007, nous avons reçus des
messages écrits provenant du coordonnateur de haut rang du gouvernement pour
l’Afghanistan [David Mulroney] à l’effet que je devais être
silencieux et faire ce qu’on me disait ; nous recevions aussi des
messages téléphoniques du sous-ministre assistant de DFAIT [département des
Affaires étrangères et du commerce international] qui suggérait que, à
l’avenir, nous ne devrions pas mettre les choses sur papier, mais plutôt
utiliser le téléphone. »
Lorsque la question de la
possibilité d’abus de prisonniers afghans fut soulevée pour la première
fois au parlement en 2006, le ministre de la Défense d’alors, le
conservateur Gordon O’Connor, a vigoureusement défendu les autorités
afghanes, ajoutant que le gouvernement canadien avait, dans tous les cas, un
accord avec la Croix-Rouge pour surveiller le parcours des prisonniers
initialement détenus par les FAC. La Croix-Rouge a nié avoir un tel accord avec
Ottawa, forçant O’Connor à se rétracter.
Colvin a affirmé devant le
comité parlementaire que pendant trois mois en 2006, les FAC ont refusé de même
communiquer avec la Croix-Rouge : « Les forces canadiennes à Kandahar
ne répondaient même à appel téléphonique de leur part. »
Les députés conservateurs
sur ce comité ont rapidement commencé à attaquer la crédibilité de Colvin.
Cheryl Gallant a accusé Colvin de miner délibérément le soutien de la
population envers les 3000 soldats canadiens basés en Afghanistan. Gallant a
déclaré : « Attiser la flamme de la colère sur la base d’allégations
qui ne sont pas prouvées a dans les faits l’effet désiré que la population
demande que nos troupes reviennent encore plus tôt. » Ces déclarations
sont tout-à-fait en ligne avec les déclarations diffamatoires que Harper et d’autres
dirigeants des conservateurs ont déjà faites, accusant les députés de l’opposition
qui soulevaient des questions sur le sort des prisonniers afghans fait par les
FAC d’être « pro-talibans ».
Un porte-parole du ministre
canadien de la Défense Peter MacKay a rejeté le témoignage de Colvin. « Pour
autant que nous sommes concernés, a dit l’adjoint de MacKay, personne n’a
jamais montré qu’il avait été maltraité et lorsque qu’il y a eu des
cas crédibles, nous avons entrepris d’établir un nouvel accord [sur le
transfert des détenus]. » En fait, Colvin, un diplomate canadien de haut
calibre, avait envoyé son premier rapport plus d’un an avant que le gouvernement
canadien n’agisse dans lequel il écrivait que la preuve était « sérieuse,
imminente et alarmante » sur les mauvais traitements fait aux prisonniers
transférés par les FAC. En mai 2007, il avait écrit pas moins d’une
douzaine de rapports et de mémos avertissant que les détenus des FAC étaient
torturés par les forces de sécurité afghanes.
Le gouvernement conservateur
a fait des pieds et des mains pour tenter d’empêcher que la population
soit informée sur la façon dont la politique des FAC sur les détenus afghanes
était mise en œuvre.
Il a demandé aux cours d’empêcher la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM), une agence gouvernementale autonome, d’enquêter sur la question des détenus afghans. Après avoir échoué à obtenir des cours qu’elles empêchent entièrement l’enquête du CPPM, le gouvernement a systématiquement cherché à nuire à la poursuite de son travail.
En juillet dernier, le ministre de la Justice a écrit aux personnes ayant reçu un subpoena pour qu’ils viennent témoigner devant le CPPM qu’elles ne devraient pas participer à des entretiens de préparation à leur audition. Si elles le faisaient, le gouvernement affirmait-il, alors elles mettraient leur réputation en jeu, pourraient être poursuivies pour mensonge et pourraient avoir à porter le poids d’avoir exposer sans le vouloir des membres de l’armée et d’autres personnes à des mesures disciplinaires.
Plus le gouvernement a présenté une motion devant les cours pour empêcher 22 témoins, y compris Colvin, de témoigner devant le CPPM sur la base que leur témoignage violerait les clauses protégeant la sécurité nationale énoncées dans la loi anti-terroriste de décembre 2001.
Selon un avocat d’Amnistie internationale, qui de concert avec l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, a appelé le CPPM d’enquêter sur le sort des détenus afghans, la tentative du gouvernement d’utiliser la loi anti-terroriste pour empêcher des membres des FAC et des fonctionnaires de témoigner à l’enquête du CPPM « démontre » que le gouvernement « est prêt à tout entreprendre pour empêcher les témoins de parler ».
En conséquence des gestes du gouvernement, le CPPM n’a pas encore entendu un seul témoin dans le cadre de son enquête. Dans une de ces tentatives pour faire dérailler l’enquête du CPPM, le ministre de la Défense Peter MacKay a annoncé en septembre que le président actuel du CPPM, Peter Tinsley, ne verra aucune prolongation de son contrat prenant fin le 11 décembre.
C’est suite à ces événements et après que Colvin a insisté qu’il voulait rendre public ce qu’il savait sur les détenus afghans que les membres de l’opposition du comité de la Chambre des communes se sont unis pour faire passer motion qui l’invitait à comparaître devant leur comité. (Parce que les personnes témoignant devant un comité parlementaire bénéficient d’une immunité légale, Colvin n’était pas menacé d’être poursuivi parce qu’il aurait violer la loi anti-terroriste.)
Le gouvernement conservateur, assurément, ne veut pas que les Canadiens soient informés du caractère illégal et meurtrier du régime que les FAC soutiennent en Afghanistan.
Mais la seule explication possible pour la véhémence avec laquelle le gouvernement conservateur de Harper cherche à empêcher toute enquête sur la façon dont les détenus afghans des FAC ont été traités est qu’il sait très bien que lui et les FAC, et ce aux plus niveaux, ont été complices de torture, c’est-à-dire de crimes de guerre. Et le gouvernement est désespéré de cacher cela pour des raisons politiques et légales.
(Article original anglais paru le 20 novembre 2009)
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