Les dirigeants politiques de la Grande-Bretagne, de la France,
de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et des Pays-Bas se sont réunis
dimanche 22 février à Berlin afin d’aboutir à une position commune en vue de la
réunion du G20 qui doit se tenir le 2 avril prochain à Londres.
Le président américain Barack Obama participera à cette
rencontre des pays « développés » et des pays « en voie de
développement » au mois d’avril. A Berlin, les dirigeants européens
souhaitaient fortement constituer un front commun dans le but d’affirmer leurs
propres intérêts, tout en cherchant à protéger leurs économies, qui se trouvent
déjà en récession, de l’impact de la crise économique qui fait rage aux
Etats-Unis. Les capitales européennes s’inquiètent particulièrement de la « tactique
de choc » adoptée récemment par les autorités américaines vis-à-vis de la
banque suisse UBS. Les responsables américains exigent de connaître les
informations concernant des milliers de clients de cette banque.
Les gouvernements européens prévoient quant à eux, une
nouvelle série de plans de sauvetage pour les banques, y compris le rachat de
milliards de dollars de « dettes toxiques ». C’est le contribuable
qui payera la facture de ces nouvelles mesures de sauvetage ainsi que celle des
milliards déjà jetés aux banques par ces gouvernements (HRE en Allemagne,
Fortis en Belgique, Northern Rock, Lloyds, Royal Bank of Scotland en
Grande-Bretagne, Banque Populaire, BNP, Caisses d’épargne en France).
Les dirigeants européens ont approuvé un certain nombre de
résolutions nébuleuses et ne les engageant à rien afin de calmer la colère du
public devant le traitement préférentiel donné aux banques. Après une heure et
demie de discussion superficielle, le sommet se mit d’accord sur une résolution
déclarant que « tous les marchés, produits et acteurs financiers, y
compris les fonds d’investissement et autres fonds privés qui risquent
d’engendrer un risque systémique, doivent être soumis à une supervision ou une
règlementation appropriée ».
Certains pays européens importants se sont déjà engagés au
sauvetage de toutes les institutions financières et banques dites « d’importance
systémique ». La rencontre de Berlin montra clairement que cet engagement
s’appliquera aussi au fonds d’investissements « systémiques ».
Les résolutions furent adoptées par les chefs des banques
centrales participant aussi à la réunion, le chef de la Banque d’Angleterre et
celui de la Banque centrale européenne. L’actuel président de l’Eurogroupe, le
premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker était lui aussi présent à
la réunion.
L’un après l’autre, les dirigeants francais, allemands et
anglais exprimèrent leur inquiétude vis-à-vis de l’accélération de la crise
économique en Europe et soulignèrent la nécéssité d’une action commune de la
part des nations européennes afin de réglementer les marchés financiers.
Le premier ministre britannique Gordon Brown dit en annonçant,
lors d’une conférence de presse, des plans pour mettre à la disposition du FMI
(Fonds monétaire international) 195 milliards d’euros (250 milliards de
dollars) afin de faire face aux crises financières : « Nous avons
besoin d’un New Deal international afin que l’économie mondiale puisse se
ressaisir. »
Le président français Nicolas Sarkozy, dit que les
participants au sommet du G20 à Londres porteront « une responsabilité
historique » et il avertit de ce que des décisions concrètes devaient être
prises à l’avance parce que « si nous échouons, il n’y aura pas de filet
de sécurité ».
La chancelière allemande, Angela Merkel, chercha au contraire
à montrer les chances qui s’ouvraient à l’Europe à la suite de la crise. « Il
ne s’agit pas d’embellir la situation », dit-elle « mais nous voulons
faire parvenir le message que nous avons une véritable chance de sortir
renforcés de cette crise ».
Ces tentatives crispées des leaders européens de montrer
qu’ils étaient unis tenaient un peu de la farce. Ils échangèrent bien
salutations et baisers devant les caméras, se tapant mutuellement sur l’épaule,
mais, dans les coulisses, les divisions entre les principales puissances
européennes vont s’aggravant.
Un article sur le sommet de Berlin paru dans le journal
allemand Suddeutsche Zeitung donne une idée de l’état réel des
relations en Europe. Ce journal écrit : « A la chancellerie,
l’ambiance était lourde, rien n’indiquant tout d’abord les attestations d’unité
d’Angela Merkel. Un tissu invisible de blessures, de méfiance ou du moins de
prudence recouvrait la table de la salle de conférence. Les Allemands n’avaient
pas oublié que les Français avaient misé sur une forme de gouvernement
économique européen contre leur gré. Les Espagnols ne peuvent pas être sûrs
qu’ils sont pris au sérieux par leurs voisins du nord. Tous jurèrent leur
adhésion à la lutte contre le protectionnisme. Mais le premier ministre
britannique Gordon Brown n’avait-il pas exigé des "emplois anglais pour
les ouvriers anglais", n’est-ce pas un fait que le ministre de
l’Industrie espagnol avait appelé les citoyens de son pays à se fier à
"nos produits, nos services et nos industries” ? »
La désunion entre les principaux acteurs européens à Berlin
fut soulignée par les commentaires faits après le sommet par le premier
ministre tchèque, Mirek Topolanek, dont le pays assure pour le moment la
présidence de l’Union européenne. Topolanek dit à des journalistes que les
discussions avaient mis à jour de profondes fissures. « Si je m’exprime
avec retenue, les divergences étaient plutôt fortes… Il était évident que les
quatre pays qui représentent l’Europe au G20 (La France, l’Allemagne, la
Grande-Bretagne et l’Italie) n’ont pas la même position sur certaines
questions ».
A Berlin, Topolanek refusa de serrer la main de Sarkozy à
cause de la menace récente de celui-ci à l’égard des constructeurs automobiles
français qui ne seraient pas subventionnés par son gouvernement s’ils
cherchaient à produire de voitures en République tchèque.
L’hypocrisie des appels monocordes de tous les dirigeants
européens à s’opposer au protectionnisme était particulièrement évidente dans
le cas de Brown. Le jour même de la réunion de Berlin, il donnait à
l’hebdomadaire anglais Observer une interview où il déclarait ne
vouloir aucune séparation entre la finance des banques à succursales et la
finance d’investissement, plus risquée. Au lieu de cela le système devait être « recentré »,
dit-il. Les sociétés britanniques se plaignant de ce qu’elles n’obtenaient pas
le crédit dont elles avaient besoin, Brown déclara qu’il devait y avoir une « plus
nette concentration » de la part des banques britanniques principalement
sur le prêt aux firmes du Royaume-Uni.
Brown et le ministre des Finances britannique, Alistair
Darling, envisagent d’annoncer cette semaine un rachat massif de la part de
l’Etat des « dettes toxiques » contractées par les banques
britanniques. Ses commentaires dans l’Observer confirment que le
principal objectif de la réunion de Berlin était pour les dirigeants européens
de dissimuler leurs véritables intentions au moment où ils promulguent une
politique nationaliste et se préparent à donner aux banques de nouvelles et
gigantesques sommes.
La tendance protectionniste en Europe est aussi soulignée par
la décision, la semaine dernière, par la Commission européenne de ne pas donner
d’aide à l’Autriche dont les banques sont frappées de façon particulièrement
dure par l’effondrement de certaines économies d’Europe de l’Est. La Commission
européenne rejeta un appel de l’Autriche avec l’argument qu’elle préférait une
approche de la crise « pays par pays ».
Loin d’être capable de développer une approche commune pour
s’opposer aux intérêts financiers américains et de les concurrencer, les
nations européennes réagissent au contraire de plus en plus à la crise en
recourant au nationalisme économique. Cela menace de briser l’Union européenne
et est un danger pour la crédibilité de l’élite politique européenne. Des
dangers qu’un commentaire, paru dans le journal britannique Financial Times
à la veille du sommet de Berlin, mettait en évidence.
« Les mois se sont succédé et ont vu… le retour d’un
nationalisme autrefois banni. L’économie est internationale mais, même dans
l’Europe post-moderne, la crise nous a rappelé que la politique a toujours ses
racines dans les Etats nationaux. Les grandiloquentes déclarations de
solidarité ont fait place à une politique modelée par les pression politiques
intérieures. »
Et le Financial Times de poursuivre : « Le
risque à présent est que, la récession s’aggravant, les perturbations
populaires ne s’autoentretiennent : qu’une réaction défensive là n’attise
les braises du nationalisme ailleurs ; que le marché unique se défasse…
Pour M. Brown, rien n’est plus important que le sommet à venir du Groupe des 20
nations à Londres. Et pourtant quelle crédibilité lui, ou tout autre Européen,
possède-t-il au milieu de la discorde et de la cacophonie
européenne ? »
(Article original anglais paru le 24 février 2009)