Barack Obama a visité la capitale
canadienne Ottawa le jeudi 19 février. La visite d’une durée totale de six
heures a été la première visite officielle d’Obama depuis qu’il est devenu
président des Etats-Unis.
Obama a profité de son premier passage sur
la scène internationale pour déclarer que les Etats-Unis sont prêts à jouer le
rôle de dirigeant du monde. Mais il a insisté que cela sera fait en
collaboration étroite avec des alliés comme le Canada.
Il voulait ainsi différencier son
administration de l’administration précédente de George W. Bush. Dans sa
tentative de réaffirmer brutalement l’hégémonie américaine dans un contexte où
la puissance économique relative des Etats-Unis dans le monde s’est beaucoup
affaiblie, l’administration Bush a jeté aux orties le système des alliances
inter-impérialistes et la loi internationale, que Washington considérait à
l’époque antérieure comme le meilleur moyen de dominer mondialement.
« Les Etats-Unis, a proclamé Obama,
sont encore prêts à diriger, mais une direction forte dépend d’alliances fortes
et des alliances fortes dépendent à leur tour d’un renouvellement
constant. »
Les visées d’Obama à la domination mondiale
par les Etats-Unis ont trouvé leur contrepartie chez le premier ministre
canadien Stephen Harper. « Une des plus importantes missions du président
Obama », a dit Harper lors d’une conférence de presse commune des deux
hommes, « est de continuer à diriger [internationalement], mais d’une
façon qui est plus collaboratrice et je suis convaincu qu’en travaillant avec
notre pays, il n’aura pas une plus importante occasion de démontrer exactement
comment le modèle peut fonctionner au cours des quatre prochaines
années. »
Les déclarations sur les intentions des
Etats-Unis à diriger ont été contredites par les questions soulevées lors de la
rencontre entre Harper et Obama : comment sauver le système financier
mondial et empêcher une dépression mondiale, le sauvetage de l’industrie
automobile nord-américaine et la crise que confronte l’occupation de
l’Afghanistan par les Etats-Unis et l’OTAN.
Les deux dirigeants étaient décidés à
étaler la puissance d’un partenariat canado-américain du point de vue militaire
et économique. Harper a déclaré qu’il y a un « solide consensus »
entre le Canada et les Etats-Unis sur « d’importantes questions
bilatérales et internationales ». « Les menaces aux Etats-Unis, a dit
le premier ministre canadien, sont des menaces pour le Canada. Il n’existe pas
une menace à la sécurité nationale américaine qui ne soit pas une menace
directe à ce pays. »
Obama a noté à plusieurs reprises que le
Canada est le plus important partenaire commercial des Etats-Unis et son plus
important fournisseur en énergie. Il a déclaré son « amour » pour le
Canada et a dit que les Etats-Unis « ne pouvaient pas avoir de meilleur
ami et allié ».
Malgré ces affirmations sur le partenariat
canado-américain, les tensions sous-jacentes entre les deux pays sur une série
de questions, particulièrement sur le commerce, n’ont pas cessé de faire
surface.
La déclaration de Harper que toute menace à
la sécurité nationale américaine est une menace pour le Canada a été faite dans
le contexte de « l’épaississement » de la frontière entre les deux
pays. Depuis les attaques terroristes du 11-Septembre, Washington a imposé
beaucoup de nouveaux contrôles et règlements à la frontière qui, au grand dam
de la grande entreprise canadienne, a contribué à une grande augmentation du
temps et des coûts du transit transfrontalier. Pire encore, cela a touché la
chaîne de production transfrontalière dans plusieurs industries.
Dans les semaines qui ont précédé la visite
du président américain au Canada, le gouvernement canadien a déclaré sa forte
opposition aux clauses de type « Acheter américain » dans le plan de
stimulation économique américain. Même si Harper s’est dit confiant qu’Obama
s’assurera que les Etats-Unis respectent ses obligations commerciales
internationales, il a aussi suggéré que c’est une question qui sera surveillée
de près. « En me basant sur ce que le président américain m’a dit…, c’est
précisément ce que feront les Etats-Unis [sévèrement diluer les politiques
d’achat préférentiel pour les produits américains.] Mais je ne peux pas
exagérer l’importance de cette question pour nous. »
Alors que les représentants canadiens ont
déroulé la bannière du libre-échange pour s’opposer à la clause « Acheter
américain », ils ont signalé que leur véritable préoccupation était que
le Canada forme avec les Etats-Unis une forteresse nord-américaine, que la
politique « Acheter américain » devienne « Acheter
nord-américain ».
Harper est revenu sur cette idée lorsqu’il
a parlé des demandes d’Obama pour un amendement aux accords de l’ALENA (accord
de libre-échange en Amérique du Nord), prétendument à cause de préoccupations
pour les emplois et l’environnement, demandes que le président américain a
réitérées lors de la conférence de presse de jeudi.
Obama a dit qu’il espérait « qu’il y
ait une façon » d’ouvrir l’ALENA « qui ne dérangera pas les échanges
commerciaux extraordinairement importants entre les Etats-Unis et le
Canada », ajoutant que son but est « de développer les échanges
commerciaux, pas les limiter ».
Harper, tout en disant que le Canada, était
« parfaitement d’accord pour étudier des façons de répondre aux
préoccupations [américaines] », a insisté que l’ALENA et son prédécesseur,
l’accord sur le libre-échange entre le Canada et les Etats-Unis de 1988, « n’a
été que bénéfique » tant pour le Canada que pour les Etats-Unis. Harper a
conclu cette description favorable des avantages de l’ALENA (une immense
augmentation du commerce entre le Canada et les Etats-Unis a sous-tendu
l’expansion économique au Canada dans les années 1990) en suggérant que les
deux pays s’unissent contre leurs rivaux asiatiques et européens. « Très
franchement, a déclaré le premier ministre canadien,… les défis commerciaux que
nous confrontons en Amérique du Nord sont des défis commerciaux communs… pas des
problèmes entre les deux pays. »
Peu après l’élection d’Obama, le gouvernement
canadien a laissé flotter l’idée d’un « pacte canado-américain sur les
changements climatiques et la sécurité énergétique ». Le but de cette
proposition est d’assurer que les mesures américaines pour limiter les
émissions de gaz à effet de serre ne viennent pas ralentir l’exploitation des
immenses réserves en pétrole que l’on trouve dans les sables bitumineux de
l’Alberta. Même si plusieurs projets sont maintenant retardés ou annulés à
cause de la crise financière et la plongée des prix du pétrole qui a suivi, des
investissements d’environ 150 milliards de dollars dans les sables bitumineux
albertains ont été annoncés au cours des dernières années. De plus, l’élite
canadienne considère les sables bitumineux comme un élément central pour
réaliser ses ambitions de « superpuissance énergétique ».
Mais Obama a clairement énoncé que la
politique américaine sur le changement climatique sera énoncée pour répondre
aux intérêts économiques de la grande entreprise américaine, même si cela
n’empêchera pas nécessairement de considérer l’offre de Harper un peu plus
tard. Sa proposition ayant été rejetée, le premier ministre canadien a été
forcé de concéder qu’au bout du compte, Washington jouera un rôle déterminant
dans l’élaboration de sa politique sur la pollution de l’air. « Nous
allons surveiller ce que les Etats-Unis font avec un grand intérêt, a dit
Harper. [N]ous voudrons exploiter… les occasions d’harmoniser nos politiques
avec celles des Etats-Unis, pour les rendre aussi efficaces que
possible. »
Obama a dit lors de la conférence de presse
conjointe qu’il a donnée avec Harper qu’il n’avait pas demandé que le Canada
prolonge la mission contre-insurrectionnelle des Forces armées canadiennes
(FAC) en Afghanistan au-delà de 2011.
Le Canada, qui a déployé plus de 2700
soldats dans la province de Kandahar, un des centres de l’opposition au
gouvernement de Kaboul mis en place par les Etats-Unis, a joué un rôle clé dans
la guerre afghane depuis 2005. L’an dernier, le gouvernement minoritaire
conservateur et l’opposition officielle du Parti libéral se sont unis en face
d’une opposition massive de la population à la guerre en Afghanistan pour faire
passer au Parlement une motion afin de repousser la fin de la mission offensive
des FAC en Afghanistan de février 2009 à 2011.
Obama a dit : « Je n’ai pas fait
pression sur le premier ministre pour des engagements au-delà de ceux déjà
faits. Tout ce que j’ai fait, c’est de complimenter le Canada non seulement
pour les troupes qui sont là-bas, pour les 108 soldats morts au combat en
conséquence de l’engagement du Canada en Afghanistan, mais aussi pour le fait
que le plus important récipiendaire de l’aide étrangère du Canada est
l’Afghanistan. »
Même si Obama a bénéficié électoralement de
l’énorme sentiment anti-guerre prévalant aux Etats-Unis, il défend depuis
longtemps l’idée que les Etats-Unis et l’OTAN doivent mener une guerre plus
agressive en Afghanistan et dans les régions limitrophes au Pakistan. Plus tôt
cette semaine, il a approuvé l’envoi de 17 000 soldats supplémentaires en
Afghanistan et ce « renfort » va sans contredit être grandement
élargi après que son administration aura terminé sa révision de la stratégie
afghane dans deux mois.
Les libéraux tout comme les conservateurs
ont donné des signaux clairs au cours des derniers jours qu’ils pourraient être
gagnés à l’idée de prolonger encore une fois la présence des FAC en
Afghanistan.
Au sortir d’une rencontre de 25 minutes
avec Obama, le dirigeant libéral Michael Ignatieff a déclaré aux journalistes
qu’il avait dit au président américain que le rôle de l’OTAN dans la guerre en
Afghanistan devait être clarifié. « Ce que j’ai dit franchement au
président, c’est que "vous ne pouvez pas nous demander de nous engager de
nouveau dans une situation où règne l’incohérence stratégique"… et il a
bien compris ce que je disais. »
La semaine passée, le ministre canadien de
la Défense Peter MacKay a déclaré au quotidien montréalais Le Devoir que
des centaines de soldats canadiens seront toujours déployés en Afghanistan
après 2011 pour entraîner les soldats et les policiers afghans. Habituellement,
ces entraînements impliquent une participation à des missions de combat.
L’élite politique et du monde des affaires
au Canada a été immensément flattée et soulagée qu’Obama choisisse le Canada
pour effectuer sa première visite à l’étranger. Depuis plusieurs dizaines
d’années, les présidents américains avaient pris l’habitude de visiter leur
voisin nord avant tout autre pays, mais, en 2001, Bush avait d’abord visité le
Mexique.
Si la classe dirigeante canadienne accorde
autant d’importance à sa « relation particulière » avec les
Etats-Unis, c’est parce qu’elle considère qu’elle peut mieux faire avancer ses
propres intérêts prédateurs à l’échelle mondiale en s’associant avec Washington
et Wall Street. La division de plus en plus poussée du monde en zones
économiques régionales, la montée de nouvelles puissances comme la Chine et
l’Inde ont intensifié les rivalités entre les grandes puissances. Dans ce
contexte, la diminution de la part du Canada dans le commerce et
l’investissement mondial pousse encore plus la bourgeoisie canadienne à
s’accrocher aux Etats-Unis. C’est toutefois une chose d’attacher sa fortune à une
puissance montante, comme l’étaient les Etats-Unis au vingtième siècle et c’en
est une autre de l’attacher à une puissance dont la base manufacturière s’est
évaporée, dont l’économie est écrasée par une dette colossale et qui a
l’intention de maintenir sa situation dominante au moyen de sa puissance
militaire.
Obama et Harper ont proclamé une
« nouvelle ère de coopération » entre les Etats-Unis et le Canada.
Mais les relations entre les classes dirigeantes des Etats-Unis et du Canada
vont inévitablement connaître d’innombrables frictions et acrimonies dans les
années à venir.
(Article original anglais paru le 21
février 2009)