Vendredi 6 mars, les travailleurs de l'usine
Goss International à Nantes, en France, ont occupé l'usine. Ce matin-là, 300
travailleurs de l'usine avaient été informés que les chaînes de montage
devaient être transférées à la deuxième usine du groupe à Montataire, au Nord
de Paris.
Goss International est l’un des principaux
fabricants de machines d'imprimerie, possédant des usines aux États-Unis, en
France, aux Pays-bas, au Japon et en Chine et employant plus de 4000 personnes
au total.
Le directeur de l'usine de Nantes, Éric
Normand, qui a été associé à la croissance de l'activité tout au long des 14
dernières années, a été renvoyé du jour au lendemain par la direction de la
compagnie lorsqu'il a refusé d'accepter la décision de fermer l'usine. Les
travailleurs occupant l'usine demandaient aussi sa réintégration.
L'occupation s'est poursuivie pendant le
week-end. Les travailleurs ont été persuadés de mettre fin à leur occupation le
mercredi, 11 mars, suite aux garanties données par les dirigeants syndicaux que
certaines opérations pouvaient être maintenues à l'usine et qu'ils se
battraient pour sauver « autant d'emplois que possible ».
Selon Jean-Luc Bonneau, délégué du syndicat
CFDT, « Le site est viable. En 5 ans, il a rapporté 50 millions d'euros de
dividendes aux actionnaires. Sa fermeture n'a aucune justification. » Mais
Bonneau ne dit pas tout.
En fait, la décision de fermer l'usine de
Nantes n'est compréhensible que si l'on examine le contexte de la compagnie.
Goss International est détenue par un actionnaire unique, le fond de pension
MatlinPatterson Global Opportunities Partners, qui a l'intention de vendre
toute la compagnie pour obtenir de l'argent frais pour de nouveaux
investissements dans les entreprises « en difficulté ».
MatlinPatterson est l'un des principaux « fonds vautours »
spécialisés dans l'achat d'entreprises financièrement affaiblies et leur
revente en réalisant une marge élevée après restructuration.
Contrairement à ce qu'a annoncé Jean-Luc
Bonneau aux employés de Nantes sous le choc, la principale raison de la
fermeture n'est pas que, comme il le dit, la capacité de production des deux
sites français est plus élevée que le carnet de commandes, mais plutôt la
volonté d'assurer des profits au fond vautour pour la vente de la compagnie à
un acheteur hypothétique. Ces acheteurs attendent déjà que la direction
actuelle ait fini le sale boulot de « consolidation » pour pouvoir
s'emparer des meilleures parts du gâteau.
Il a été annoncé deux repreneurs possibles
pour la compagnie : Manroland en Allemagne, avec le soutien financier
d'Allianz Capital Partners, et le géant chinois Shanghai Electrics, qui est
déjà partenaire de Goss International dans leur usine de Shanghai. Aucun des
deux acheteurs n'a un intérêt particulier à maintenir les sites de production
en Europe. Manroland a ses propres sites de production en grande série en Allemagne ;
Shanghai Electric préférerait produire en Chine pour profiter des salaires bien
plus bas qu'en France.
Ce serait également une erreur de s'imaginer
que la saignée de Goss s'arrêterait après la fermeture de l'usine de Nantes, il
n'y a aucune garantie que les employés de Goss à Montataire puissent conserver
leurs emplois. Les employés des usines Goss en France, aux États-Unis, au Japon
et en Chine sont soumis au chômage technique et aux suppressions de postes
drastiques depuis des mois. Pourtant, les dirigeants syndicaux n’ont apporté
aucune perspective à l'échelle de toute la compagnie aux travailleurs de Goss
pour défendre leurs intérêts.
L'occupation spontanée par les travailleurs de
Nantes a été une réponse courageuse aux intimidations de la direction.
Il est cependant nécessaire de voir au-delà du
flou créé par la direction au sujet des « réalités du marché », telle
la demande décroissante de machines d'impression due à la crise financière.
Admettre que les capacités de production dépassent le carnet de commandes ne
révèle pas les causes profondes du problème. La question fondamentale est que
la production de machines d'impression dans une société capitaliste est d'abord
entreprise pour générer du profit, et non pour satisfaire les besoins de la
société en livres et en journaux.
Les syndicats prétendent qu'ils peuvent
protéger la plupart des emplois menacés en sacrifiant un certain pourcentage
des salariés. Cette stratégie a déjà eu des conséquences catastrophiques dans
le cas de la fermeture de l'usine Nokia à Bochum en Allemagne, des usines
General Motors à Detroit, de la crise d'Opel en Allemagne, de Saab en Suède et
dans de nombreux autres cas.
Dans ce contexte, les employés de Goss
International à Nantes ne devraient pas croire les promesses actuellement
faites par la direction de la compagnie, laquelle a exprimé une volonté assez
vague d'« envisager » des solutions alternatives, ou les engagements
du maire de la ville à lever des fonds. Ces promesses ne créeront pas de
nouveaux emplois !
Ils doivent également s'opposer à la position
adoptée par les représentants de la CFDT, les secrétaires Wilfried Belloir et
Jean-Luc Bonneau, qui cherchent à désarmer les travailleurs en affirmant que
l'objectif est de se battre pour sauver « autant d'emplois que possible »,
et de négocier de bonnes primes de départ pour ceux qui seront licenciés. Les
syndicalistes ont exprimé leurs espoirs que certaines parties de l'entreprise
pourraient être gardées, comme les services techniques et les départements de
recherche et conception. C'est sur cette base qu'ils ont pu persuader les
travailleurs de mettre un terme à leur occupation de l'usine le 11 mars.
Il n'est possible de défendre les emplois des
salariés de Goss à Nantes qu'en s'appuyant sur une lutte de principe pour
défendre tous les emplois sur tous les sites internationaux. Cela demande donc
une rupture avec la stratégie des syndicats et l'établissement d'un comité
d'usine qui prendrait contact avec leurs collègues de Montataire et de toutes
les usines à l'étranger.
Le sort des travailleurs ne peut pas être
laissé entre les mains de dirigeants de fonds spéculatifs, peu scrupuleux. Une
des exigences centrales des travailleurs doit être l'expropriation de ce genre
d'institutions financières et le placement de leurs ressources, soumises à un
contrôle démocratique, à la disposition de la société dans son ensemble.