La façon dont est traitée l’éruption de grippe porcine
souligne à quel point il est difficile, dans le contexte politique actuel, de
séparer la science médicale des intérêts de la grande entreprise et des programmes
politiques des gouvernements qui les représentent. Cette question a été traitée
de manière sensationnelle et confuse, au détriment d’une réaction rationnelle à
la menace de santé publique posée par la grippe porcine.
Les médias et les autorités publiques, particulièrement aux
Etats-Unis, font subir depuis plus d’une semaine à la population une couverture
incessante sur l’épidémie de grippe porcine. Mais malgré les heures de
reportages télévisés et les pages de commentaires dans les journaux, peu de
lumière a été faite sur la nature du virus ou les conditions de pauvreté et de
détérioration des infrastructures sociales qui jouent un rôle majeur sur le
nombre de victimes qu’une telle éruption de grippe pourrait entraîner, advenant
le cas d’une pandémie mondiale.
Le 30 avril, les médias ont rapporté que l’Organisation
mondiale de la Santé (OMS) s’apprêtait fort probablement à annoncer une
pandémie de grippe porcine de niveau six, soit le niveau le plus élevé sur
l’échelle de l’OMS. La directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, a déclaré,
« C’est l’ensemble de l’humanité qui est menacée durant une
pandémie. »
L’OMS a cependant affirmé peu de temps après qu’elle allait
continuer d’utiliser le terme « pandémie » même s’il « s’avère
que le nouveau virus ne cause essentiellement que des symptômes bénins ».
Actuellement, l’éruption de grippe porcine ne semble pas à
la veille de menacer l’ensemble de l’humanité. Le décompte officiel de l’OMS
affichait hier 787 cas confirmés de grippe porcine chez l’humain, dont 506 au
Mexique, où est initialement apparue la maladie.
Le gouvernement mexicain a réduit son décompte de décès
liés à la grippe porcine, le faisant passer de 176 à 100, desquels 19 cas ont
été « confirmés ». Le seul cas de décès de grippe porcine à
l’extérieur du Mexique jusqu’à maintenant est celui d’un bambin mexicain, qui
est décédé après son arrivée aux Etats-Unis.
L’évocation de pandémie, sans explication sérieuse du sens
scientifique de ce concept, a créé une atmosphère publique de crainte. Depuis
le 11-Septembre, les médias américains et le gouvernement, tout
particulièrement, ont adopté les campagnes de peur comme tactique pour
alimenter les craintes et désorienter politiquement la population, pour ensuite
exploiter ce climat afin de justifier une politique étrangère militariste et
des attaques sur les droits démocratiques.
Des reportages ont expliqué la signification d’une pandémie
en faisant référence à la peste noire qui avait dévasté le tiers de la
population de l’Europe au 14e siècle, ou à l’épidémie de grippe de 1918 qui
avait tué de 30 à 50 millions de personnes à travers le monde. En réalité, la
grippe porcine a jusqu’à maintenant causé beaucoup moins de morts que la grippe
saisonnière normale.
Le risque d’une épidémie plus large de grippe porcine ne
peut être rejeté, mais actuellement sa propagation diminue et ceux qui sont
infectés ont des symptômes plus faibles. Sa transmission des porcs à l’homme,
et entre les humains, provoque des inquiétudes chez les scientifiques qu’elle
puisse avoir la structure génétique, possiblement après mutation, pouvant
déclencher une épidémie plus importante. Sa propagation entre humains pourrait
entraîner de nouvelles mutations qui pourraient rendre le virus plus ou moins
dangereux pour l’homme.
Les biologistes ont fait remarquer que l’épidémie de 1918
avait commencé par une première vague peu importante qui, avec le début de la
saison normale de grippe à l’automne, avait pris une forme beaucoup plus
virulente et mortelle.
Les références des médias à l’épidémie de 1918 portent
cependant à confusion, étant donné qu’elles font abstraction du contexte
historique qui y est rattachée. Plusieurs des outils essentiels d’une réponse
contemporaine à une épidémie de grippe, soit des médicaments antiviraux,
l’analyse de l’ADN, des réseaux internet de surveillance, étaient inconnus en
1918, lorsque l’hygiène moderne était largement inaccessible même aux masses
populaires des pays riches. De subséquentes éruptions de grippe ont causé
beaucoup moins de morts : 2 millions en 1957 et de 1 à 3 millions à
travers le monde en 1968 par rapport à entre 250 000 et 500 000 en
moyenne par saison de grippe.
L’influenza peut être contrée en déployant promptement les
ressources médicales et le personnel afin d’isoler et traiter l’éruption
initiale avant qu’elle ne devienne une pandémie mondiale.
Les plus grands obstacles à cela ne sont pas techniques,
mais sont plutôt les contradictions sociales du capitalisme mondial : la
pauvreté et le manque d’établissements médicaux dans de grandes parties de la
planète, l’influence politique des grandes compagnies, incluant les firmes
pharmaceutiques géantes, la division du monde en Etats-nations compétitifs et
les programmes réactionnaires des politiciens bourgeois.
L’état physique de la classe ouvrière elle-même est une
question majeure. Plusieurs millions de travailleurs n’ont pas accès à un
régime alimentaire sain, à un logement salubre et à un sommeil adéquat qui sont
tous requis pour maintenir un système immunitaire en santé. De telles questions
ne sont cependant presque jamais abordées dans les commentaires médiatiques ou
dans les déclarations des gouvernements.
La présente épidémie a débuté à la fin mars dans une petite
ville mexicaine, La Gloria, qui est le site de Granjas Carroll, une ferme
industrielle porcine qui est en grande partie détenue par des intérêts
américains, Smithfield Foods. Même après que l’épidémie de grippe ait débuté,
les responsables mexicains ont menacé et arrêté les habitants qui protestaient
contre le lac à ciel ouvert de la ferme qui contenait des excréments de porcs
et des produits toxiques qui menaçaient leur santé.
Plusieurs de ceux qui sont devenus malades étaient trop
pauvres pour obtenir le traitement par des professionnels médicaux (le
gouvernement mexicain avait reconnu qu’il était à court de personnel dans cette
région). Ils arrivaient à l’hôpital avec une pneumonie sévère, rendant le
traitement antiviral inefficace.
Lors de l’émission « Meet the press » de NBC hier,
on a demandé à la secrétaire à la Santé et aux services sociaux, Kathleen
Sebelius, la secrétaire du département de la Sécurité intérieure, Janet
Napolitano et le directeur par intérim des centres américains pour le contrôle
de la maladie, Dr Richard Besser, pourquoi le taux de mortalité était beaucoup
plus élevé au Mexique qu’aux Etats-Unis. Aucun des responsables n’a mentionné
la pauvreté ou le manque d’accès aux soins médicaux comme étant des facteurs
dans les morts reliés à la grippe porcine au Mexique.
Autre manifestation du rôle destructif du
pouvoir de la grande entreprise, les pressions de l’industrie du porc sur l’OMS
et le gouvernement américain ont réussi à changer le nom de la grippe porcine.
La façon dont les autorités ont répondu, presque immédiatement, aux exigences
des demandes de la grande entreprise est une indication de la subordination de
toute considération sociale au profit privé.
La réponse à la grippe porcine aux
Etats-Unis a montré comment le déclin des conditions sociales représente un
danger important dans le cas d’une épidémie sérieuse. Les officiels du
gouvernement ont donné le conseil aux Américains de consulter leur médecin dans
le cas où ils auraient les symptômes d’une grippe, sans tenir compte du fait
qu’ils sont à la tête d’un pays — « le pays le plus riche au monde »
— dans lequel 47 millions de personnes, soit le sixième de la population, n’ont
pas d’assurance médicale.
Dans de telles conditions, il n’est pas
surprenant que plusieurs villes américaines aient rapporté que leurs urgences
avaient été débordées parce que beaucoup craignant avoir la grippe n’avaient
pas de médecin personnel.
Certaines autorités du niveau local ont
réagi en instaurant des mesures de panique qui n’ont réussi qu’à augmenter
inutilement l’appréhension de la population et à lui imposer des frais
supplémentaires alors qu’elle est déjà lourdement grevée par la plus grande
crise économique depuis la Grande Dépression. Toutes les écoles de Fort Worth
ont été fermées, 80 000 enfants devant demeurer à la maison, alors que le
gouverneur du Texas Rick Perry critiquait « la certaine quantité de
sensationnalisme dans les médias » sur la question de la grippe porcine.
Des officiels américains ont exigé que les
familles commencent à se préparer pour faire face à une fermeture prolongée des
écoles, ceci dans un pays qui n’offre aucun congé payé pour les urgences
médicales familiales.
La réponse du gouvernement américain à la
grippe porcine reflète l’immense croissance de l’influence politique de
l’appareil de sécurité de l’armée et vient en fait la renforcer encore plus.
L’opinion publique est conditionnée à considérer toute urgence, y compris la
grippe, comme une menace à la « sécurité nationale » qui serait liée,
par implication, à la « guerre au terrorisme ».
Ainsi Napolitano, un avocat sans expérience
du monde médical, est amené à l’avant-plan en tant que principal porte-parole
de l’administration Obama sur les questions de la crise. L’administration Obama
aurait prétendument fait siens les plans de la précédente administration Bush
sur les pandémies, des plans qui prévoyaient que l’armée devait mettre en
quarantaine des sections entières des Etats-Unis.
Les politiciens et les médias américains
ont à maintes reprises avancé des propositions réactionnaires, proposant de fermer
la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, même si des responsables de la
santé publique ont plusieurs fois affirmé que de telles mesures ne
contribueraient en rien à empêcher la propagation de la maladie. De telles
propositions ont pour but d’élargir les préjugés et la xénophobie
anti-mexicains.
Tout ceci ne fait que montrer les immenses
contradictions entre les capacités techniques de l’humanité à faire face à une
crise de santé publique et les priorités sociales et intérêts de classe qui
existent sous le système capitaliste.