Des sidérurgistes devant le siège de la société ArcelorMittal au Luxembourg Photo : Pierre Heckler
Une manifestation d’ouvriers métallurgistes, mardi,
devant le siège social luxembourgeois du numéro un mondial de l’acier,
ArcelorMittal, donne une indication de la montée et de l’intensification des
antagonismes de classe en Europe et dans le monde.
Au début de la réunion à laquelle
participaient environ 200 actionnaires, la direction d’ArcelorMittal avait
annoncé la suppression de 9000 emplois, y compris 6000 en Europe. L’Allemagne
devrait en perdre 750, la France 1400 et la Belgique 800. Près de 1000 emplois seront éliminés aux Etats-Unis.
Quelque 1500 ouvriers métallurgistes de Belgique et de France
étaient arrivés par car et par train dans la capitale luxembourgeoise pour
manifester contre les licenciements prévus. Le chômage partiel avait été
introduit il y a plusieurs mois au site français de Charleroi et à l’usine
belge de Liège. A présent des licenciements sont à l’ordre du jour dans les
deux usines.
De nombreux travailleurs étaient particulièrement en colère
parce que la direction avait approuvé le versement d’un dividende de 1,1 milliard
de dollars aux actionnaires en dépit d’une baisse de production et de
licenciements de masse. « Nous perdons nos emplois et les actionnaires
reçoivent les dividendes, » avait été le commentaire d’un travailleur de
l’usine de Florange d’ArcelorMittal lors d’une interview télévisée.
La police avait bouclé le siège du groupe à l’aide de
barrières de protection gardées par des unités de police spéciale. Au cours de
la manifestation, des travailleurs en colère avaient subitement attaqué la
police avec des pavés et des bouteilles. Les barrières métalliques furent
arrachées et les travailleurs essayèrent d’enfoncer la porte d’entrée de
l’immeuble. S’ensuivit une série de violents affrontements avec la police et le
service de sécurité de l’entreprise.
Selon le récit de témoins oculaires, l’un des métallurgistes
avait jeté une bombe fumigène par la fenêtre, répandant ainsi une odeur âcre
jusqu’au lieu de réunion des actionnaires.
Selon son propre site internet, ArcelorMittal est « de
loin le plus gros producteur d’acier du monde ». La société compte au
total une soixantaine d’usines dans plus d’une dizaine de pays, employant 310 000
salariés.
Ce géant de l’acier est né de la fusion rapide d’entreprises
productrices d’acier au cours des dernières décennies. Il est apparu dans sa forme
actuelle en 2007 du fait de la fusion de deux gros aciéristes, Arcelor S.A. et
Mittal Steel Company. L’ancien président de Mittal Steel, Lakshmi Mittal, se
trouve à la tête de la société nouvellement fusionnée et son fils Aditya Mittal
en est le président et le directeur financier. La famille industrielle indienne
Mittal a développé son empire industriel en dépeçant et en restructurant des
usines en mauvais état en Asie. Après l’effondrement des régimes staliniens en
Europe de l’Est et en Union soviétique, elle se spécialisa dans le rachat à bon
marché et dans la privatisation d’anciennes entreprises d’Etat. Son rayon
d’activité s’était étendu à la Roumanie, la Pologne, la République tchèque, la
Bosnie-Herzégovine, le Kazakhstan et l’Ukraine.
Selon le magazine Forbes, Lakshmi Mittal arrive au huitième
rang des personnes les plus riches du monde avec une fortune de 19,3 milliards
de dollars. A l’occasion du mariage de sa fille avec un financier de 25 ans de
la City de Londres, il y a cinq ans, Mittal père avait dépensé 64 millions de
dollars.
L’année passée, le patron d’ArcelorMittal fut décoré de la
médaille Padma Vibhushan (l’ordre suprême du Lotus), la plus haute distinction
indienne, pour « réalisations hautement exceptionnelles ». Le
gouvernement indien organisa aussi à cette occasion une cérémonie solennelle au
« Jour de la République ».
ArcelorMittal profite de l’actuelle crise de l’acier pour
appliquer des mesures drastiques d’économie, de licenciements et de réduction
de salaire et des bénéfices sociaux dans l’ensemble des usines faisant partie
de son empire industriel. Les licenciements déjà annoncés ne sont que début de
la fermeture de sites entiers de production.
Selon la Fédération mondiale de l’Acier, l’industrie de
l’acier vit actuellement une chute de la demande qui est la pire depuis la
Deuxième Guerre mondiale. Dans un contexte de récession mondiale et de baisse
importante de la production automobile et de la construction mécanique, on
s’attend à une chute de 14,9 pour cent de la demande d’acier pour l’année en
cours. Dans l’Union européenne, la chute de la demande sera plus importante
encore et devrait atteindre 28,8 pour cent.
La Féderation de l’Acier prévoit pour 2009 une baisse d’un
quart de la production d’acier brut en Allemagne. Et il semble que ce chiffre
représente actuellement une sous-estimation. En avril, la production allemande
d’acier a chuté de 53,1 pour cent. Selon les chiffres officiels, 45 000
ouvriers sur 94 000 en tout, se trouvent déjà en chômage technique.
Le
rôle des syndicats
Comme dans tous les autres grands trusts, les syndicats
jouent chez ArcelorMittal un rôle clé pour ce qui est de mettre en oeuvre les
coupes dans les emplois et les salaires. Bien que la direction de la société
poursuive une stratégie internationale, que les travailleurs de plusieurs pays
européens et d’autres pays dans le monde soient touchés de la même façon par
les attaques sur les emplois, les salaires et les prestations sociales, les
syndicats refusent d’organiser toute lutte unie de tous ceux qui sont
concernés.
Au contraire, ils collaborent étroitement
avec leurs directions respectives derrière le dos des sidérurgistes et ils
approuvent des concessions destinées à protéger « leur site industriel » aux dépens des ouvriers des autres usines.
Lakshmi Mittal a une expérience considérable des rapports
avec les bureaucrates syndicaux et leur politique opportuniste. En Europe de
l’Est et dans les Etats de l’ancienne Union soviétique, il réalisa son plan de
privatisation en étroite collaboration avec les anciens fonctionnaires des
partis d’Etat. Il a aussi fait, en 2001, un don généreux au Parti travailliste
britannique. Des articles de journaux ont montré à l’époque que cette
générosité était directement liée au soutien apporté par le chef du Parti
travailliste et du gouvernement, Tony Blair, à la prise de contrôle par Mittal
de l’entreprise d’Etat roumaine Sidex.
Quelques jours avant la protestation des sidérurgistes devant l’assemblée des actionnaires au
Luxembourg, la Fédération européenne des métallurgistes (FEM) en avait appelé,
dans un communiqué à la presse, à « la responsabilité et [aux] intérêts personnels » des actionnaires. Les actionnaires devaient
faire en sorte que « Mital
soumette un plan industriel clair » et montrent clairement « comment tous les sites d’Arcelor Mittal pouvaient être préservés de
manière à permettre une reprise de la production quand l’économie
repartira » disait Peter
Scherrer, le secrétaire général de la FEM.
Le communiqué à la presse disait encore : « La FEM exige en particulier que les
actionnaires soutiennent la conclusion d’un accord-cadre européen pour aider à
résoudre la crise de l’entreprise. » En fait, un tel accord est destiné à organiser le démantèlement des
emplois d’une telle manière qu’il puisse être réalisé avec succès par les
syndicats.
La colère des travailleurs, si manifeste dans leur
protestation devant le siège d’ArcelorMittal, n’était pas seulement dirigée
contre les licenciements de masse et le versement simultané de milliards de dividendes.
Elle exprimait aussi l’opposition grandissante au refus des syndicats de
conduire toute lutte internationale en défense des emplois.