Des luttes fractionnelles au sein du
gouvernement travailliste ont abouti lundi à une impasse après qu’un groupe de
rebelles dont le défi avait été encouragé par les médias, a échoué dans sa
tentative de forcer le premier ministre Gordon Brown à démissionner de son
poste de dirigeant du parti.
Brown a été en mesure de défier ses
adversaires lors d’une réunion extraordinaire du groupe parlementaire du Parti
travailliste lundi soir. Il y est parvenu en menaçant les MPs (membres du
parlement) de la perspective d’organiser des élections anticipées au cas où il
serait renversé.
Bien que ceci ne soit pas prescrit par la
constitution, le remplacement de Brown aurait beaucoup de mal à se faire sans l’organisation
de nouvelles élections. Brown est devenu premier ministre non élu après que
Tony Blair a abandonné ses fonctions de premier ministre et le fait d’avoir
consécutivement un deuxième premier ministre travailliste non élu, est
considéré comme politiquement intenable.
Après avoir tout juste obtenu lors des
élections européennes de dimanche dernier le score le plus bas depuis 1910, le
parti se trouve dans une situation désespérée, et la tentative de réunir les 70
députés nécessaires à l’élection d’un nouveau dirigeant a lamentablement
échoué. Néanmoins, les conflits fractionnels continuent de faire rage et Brown
est mortellement blessé. La plupart des commentateurs prédisent une reprise des
hostilités lors du congrès annuel d’octobre.
Quoiqu’il s’ensuive, les évènements de ces
dernières semaines ont révélé l’ampleur de la décrépitude interne du Parti
travailliste (Labour Party) et sa transformation intégrale en une créature
politique de l’oligarchie financière.
Les conflits internes au sein de l’appareil
du Labour se sont presque entièrement concentrés sur les membres du
gouvernement et les anciens ministres. Qu’ils soient partisans de Brown ou plus
étroitement liés à l’ancien premier ministre Blair, ils ont tous joué durant
plus d’une décennie un rôle clé dans l’application de la politique travailliste
droitière et pro-patronale. Aucun de ceux qui se trouvent au premier rang de
ces chamailleries fractionnelles ne s’est opposé à la guerre contre l’Irak, à
l’invasion de l’Afghanistan ou aux nombreuses mesures antidémocratiques liées à
la « guerre contre le terrorisme. »
Le Labour se trouve au bord du précipice
électoral précisément parce que des millions de travailleurs se sont détournés
du parti, écoeurés après avoir connu des années de trahison. Ils n’ont pas voté
pour le Labour parce qu’ils ont conclu que ce parti est autant au service de
l’élite financière que l'est le parti conservateur.
Aucun de ceux qui ont critiqué Brown n'a
fait la moindre allusion à des préoccupations politiques qui seraient de principe.
Au lieu de cela, leurs tirs ont uniquement visé les faiblesses personnelles de
Brown en tant que dirigeant du parti en réclamant un retour aux « années
dorées du New Labour » sous Blair. Derrière leur hésitation à exposer
leurs propres concepts politiques se trouve le fait que leur agenda politique
est complètement dicté par les médias droitiers, tel le Daily Telegraph et, avant tout, le groupe de médias News
Corporation de Rupert Murdoch.
Bien que Brown ait à l’origine été loué par
les grands groupes industriels pour sa volonté de débloquer des milliards de
l’argent du contribuable pour le sauvetage des banquiers britanniques,
l’économie a continué de glisser davantage dans la récession et la livre
sterling a chuté sévèrement sur les marchés des devises. Ceci a conduit de plus
en plus à des appels insistants pour la mise en vigueur de mesures d’austérité
et de coupes brutales des dépenses publiques, mesures qui nécessiteront des
préparatifs en vue d’une confrontation majeure avec la classe ouvrière.
Etant donné que le Labour manque de tout
soutien populaire et que Brown est jugé être indécis, les conservateurs, sous
la direction de David Cameron, sont loués pour leur annonce d’une
« période d’austérité. » Le Telegraph a été à l’origine des révélations sur des
remboursements de notes de frais incorrectes de députés et qui ont été
utilisées dans le but de discréditer le gouvernement et de forcer
l’organisation de nouvelles élections générales. Mais c’est là une arme
émoussée qui menace aussi de discréditer les tories et même le parlement.
Toutefois, il semblait y avoir peu de
solutions de rechange étant donné que le Labour dispose encore d’une majorité
parlementaire significative. Brown n’est pas obligé d'organiser des élections
avant mars 2010. Pour surmonter ce problème, des mesures ont été prises en
coulisse pour recruter quelques membres influents du Labour afin d’évincer
Brown.
Confrontée au risque de perdre le soutien de
Murdoch, une section du parti était plus que disposée à accepter. Une campagne a
été lancée qui a commencé par critiquer la décision de Brown d’élever la
tranche d’imposition la plus élevée à 50 pour cent et s'est poursuivie par une
série de démissions, soigneusement orchestrée, de ministres en vue de façon à
déstabiliser son mandat au moment des élections communales et européennes.
Presque tous les ministres qui ont démissionné ont exclusivement attribué à
Brown la responsabilité de l’impopularité massive du Labour.
Le degré de complicité avec Murdoch a été
souligné suite au départ du ministre du Travail et des Retraites, James
Purnell, dont la lettre de démission a été délibérément divulguée aux journaux
de Murdoch, le Times et le Sun qui l'ont publiée.
Le problème pour les conspirateurs, c'est
qu’au sein du groupe parlementaire on commençait à se rendre compte qu’on leur
demandait de se faire hara-kiri politiquement. Ceci a eu pour conséquence que
personne, y compris le successeur favori de Brown, Alan Johnson, n'a été prêt à
défier immédiatement le premier ministre. Johnson a même accepté le poste de
ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Brown remanié, tout en déclarant
aux médias être prêt à devenir le dirigeant du parti à une date ultérieure.
Le rôle le plus significatif dans le
sauvetage de Brown a été joué par l’ancien ministre de l’Industrie et des
Entreprises, Peter Mandelson. Plus que tout autre, Mandelson peut se vanter
d'être l’architecte intellectuel du projet New Labour. Il a compris que,
indépendamment des illusions que berçaient les comploteurs anti-Brown, il y avait
un enjeu beaucoup plus important que le mandat de premier ministre de Brown.
« Le New Labour, ce n’est pas une
question de nouveaux visages. Il s'agit de politique, » a-t-il dit.
Mandelson s'est rendu compte que si Brown partait dans les conditions actuelles,
c'est le parti lui-même qui en viendrait à se désagréger rapidement. De plus,
personne en dehors du cercle étroit de Westminster et des médias, ne croyait
que Brown était le seul responsable de la crise actuelle du Labour et qu'il
suffirait un nouveau dirigeant pour que le parti puisse espérer se ressaisir.
Afin d’éviter une implosion immédiate et
dans le but de gagner du temps en espérant de renouveler l’alliance du Labour
avec Murdoch et consorts, Mandelson a rafistolé une alliance de tous ceux qui
redoutent un naufrage politique. Son plus grand succès a été de fournir la
justification indispensable au soutien de Brown de la part de la soi-disant
aile gauche du parti.
Pour cela il a suffi d’une vague promesse
d’ajournement de la privatisation projetée de Royal Mail, et ce seulement au
cas où les offres étaient inférieures à celles escomptées. Le lendemain, le
syndicat des Travailleurs en Communication (Communication Workers Union, CWU)
soumettait au gouvernement un moratoire de trois mois sur une action de grève
en invalidant les résultats d’un vote de neuf voix contre une en faveur d’un
débrayage à Londres.
Mandelson a été nommé premier secrétaire
d’Etat. Bien qu'il ne s'agisse que d'un titre honorifique, il implique qu’il se
situe au-dessus de tous les autres membres du gouvernement, mis à part le
premier ministre. Cet avancement de Mandelson, celui-là même qui avait déclaré
que New Labour « était tout à fait à l'aise » avec l'idée que l'on
puisse devenir « indécemment riche », est l'exemple par excellence
qui contredit les affirmations selon lesquelles Brown se situerait quelque peu
à gauche de ses adversaires.
On a besoin de Mandelson comme figure
semi-bonapartiste afin d’empêcher que le groupe parlementaire du Labour ne se
désagrège en fractions belliqueuses. Mais ce conflit se déroule entre des
éléments qui sont uniformément de droite et qui rivalisent pour obtenir les
faveurs des super riches. Ceci suffit à garantir que l’effondrement du Labour
continuera à s'accélérer.
Pour la classe ouvrière, le Labour est déjà
mort. Une nouvelle direction socialiste est de toute urgence nécessaire pour
les travailleurs. Faute de quoi, l’aile droite continuera d’exploiter le vide
créé par l’exclusion de la vie politique de la population laborieuse et de ses
intérêts.