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France : Comment « l'extrême-gauche » trahit les travailleurs

L'expérience de Goodyear et de Continental

Par Pierre Mabut et Antoine Lerougetel
27 juin 2009

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De plus en plus de luttes de travailleurs contre les licenciements et les fermetures d'usines en France révèlent au grand jour le schisme politique entre les travailleurs et les groupes de protestations petits-bourgeois, tels Lutte ouvrière (LO) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui prétendent représenter l'« extrême gauche » de la vie politique en France.

A un moment où l'augmentation de telles luttes pose, de façon chaque jour plus pressante, la nécessité d'une coordination et d'une perspective politique indépendante pour les travailleurs, ces groupes émergent comme l'obstacle principal à de tels développements. Orientées vers la bureaucratie syndicale et les partis de l'establishment tels le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PC), ils sont les partisans enthousiastes des indemnités de licenciement et du chômage technique organisés par les syndicats. Tandis que les patrons et les autorités de l'Etat mettent en application des suppressions de postes massives en pleine crise économique qui va s'aggravant, cette réaction est une trahison fondamentale des intérêts de la classe ouvrière.

Après un bond record en France de 1,1 pour cent au premier trimestre de cette année, le chômage devrait atteindre 9,8 pour cent de la population active d'ici la fin de 2009 et 10,7 pour cent à la fin de 2010.

L'industrie des pneumatiques, qui repose entièrement sur l'industrie automobile durement touchée, est emblématique de ces évolutions. Le 17 juin, Michelin annonçait la suppression de 1096 emplois en France. Ceci fait suite à la fermeture de l'usine Continental de Clairoix comptant 1120 travailleurs et le licenciement de 820 travailleurs sur les 1400 de l'usine Goodyear d'Amiens.

En 2007, sous la pression des syndicats, les travailleurs de Continental à Clairoix avaient accepté que la durée hebdomadaire de travail passe de 35 à 40 heures, sans compensation, avec en contrepartie la promesse de la garantie de leurs emplois jusqu'en 2012. Mais la direction a annoncé le 11 mars de cette année qu'elle supprimerait 1900 emplois en fermant l'usine de pneus pour voitures de tourisme de Clairoix et celle de pneus pour véhicules utilitaires de Hanovre.

Les travailleurs de Clairoix ont entrepris une série d'actions de protestation dans les mois qui ont suivi l'annonce de la fermeture de leur usine. Ces actions ont été conduites par Xavier Mathieu, délégué CGT (Confédération générale du travail, dirigée par les staliniens) et sympathisant de LO. Le 23 avril, ils ont participé à une manifestation commune à Hanovre avec leurs collègues allemands dont l'usine sera aussi fermée et ont aussi brièvement occupé, le 6 mai, le site de Sarreguemines dans l'est de la France, où se situe le siège social de Continental.

Rejetant toute lutte, fondée sur des principes, visant à sauver l'usine et ses 1120 emplois, les syndicats de Clairoix ont signé, le 5 juin, avec la direction et l'Etat un accord sur les indemnités de licenciement. Les travailleurs de Clairoix recevront une prime exceptionnelle de 50 000 euros qui vient s'ajouter aux indemnités de licenciement légales de trois cinquièmes du salaire mensuel pour chaque année travaillée dans l'entreprise. Les travailleurs recevront leur salaire jusqu'en décembre 2011. Les travailleurs ayant atteint l'âge de 52 ans d'ici décembre 2009, recevront 80 pour cent de leur traitement jusqu'à la retraite.

L'accord comprend aussi une clause obligeant les syndicats de Clairoix à ne pas engager d'action de solidarité avec les travailleurs des autres sites de Continental. Le Courrier Picard explique que cet accord signifie que « Continental promet d’abandonner les poursuites contre les auteurs du saccage du poste d’entrée de l’usine le 21 avril moyennant un engagement de l’intersyndicale à ne pas détruire ou bloquer les sites Continental en France et à l’étranger. »

Cet accord qui doit être ratifié par le gouvernement, laisse complètement tomber les travailleurs des usines de fournisseurs et détruit les perspectives d'emplois des jeunes de cette région déjà économiquement sinistrée.

Xavier Mathieu a dit à la presse, « On est très fier de ces négociations… » Et il a ajouté « Les gens sont ravis, ils auraient préféré que l’usine ne ferme pas, mais ils sont vraiment satisfaits de cet accord. »

Il ne fait aucun doute que l'accord de Continental a été trouvé avec le soutien et la collaboration du groupe Lutte ouvrière et que cette dernière était pour beaucoup dans l'implication de l'Etat dans cet accord. Mathieu travaille étroitement avec Roland Szpirco, dirigeant LO et conseiller municipal dans la région. Szpirco était sur la liste LO de la circonscription électorale du nord-ouest aux élections européennes.

L'Express du 27 mai écrit, « Xavier Mathieu, lui, ne nie pas l'influence exercée par ce penseur ultraorthodoxe de LO sur le comité de lutte des "Contis". 'Il est mon conseiller', dit-il tranquillement... 'Dès le début, Roland a insisté pour qu'on aille chercher l'Etat par le colback afin d'engager des négociations tripartites', souligne Mathieu. »

L'hebdomadaire de LO a salué l'accord le 5 juin dans un article intitulé « Continental-Clairoix : la lutte arrache de nouveaux reculs, peut-être décisifs. » Il déclare que la lutte des travailleurs « Et cela a fini par payer. » Malgré la promesse du titre, l'article reconnaît que « Même si chacun avait conscience que rien ne pourrait indemniser le désastre social de la fermeture, l'assemblée approuva massivement, avec quatre voix contre et plus de 700 pour, cette base de compromis. » Il est peu probable que la plupart des travailleurs de Clairoix puissent trouver un autre emploi dans un avenir proche.

Les syndicats de Continental et LO ont immédiatement adopté le rôle d'exécuteurs de l'accord qu'ils avaient contracté avec leurs patrons et l'Etat. Le Courrier Picard du 7 juin rapporte, « Les Contis ont strictement encadré la visite de l’usine de Clairoix par les 500 salariés de Goodyear. Le matin même, le mot d’ordre de l’intersyndicale avait été très clair : ‘les gars, on va visiter l’usine mais pas de dégradations. Rien ne sortira de cette usine. Ce serait quand même dommage que tout soit réfusé [l’accord] par l’Etat parce qu’on a fait les cons. On n’a pas envie de tout perdre aujourd’hui. »

Le 26 mai, Goodyear a annoncé son intention de supprimer 800 emplois sur les 1400 de son usine de pneus d'Amiens. L'annonce a été faite au moment où les délégués syndicaux de l'usine de pneus Continental de Clairoix, non loin d'Amiens, finalisaient leur accord de licenciement.

Les syndicats à l'usine Goodyear d'Amiens traitent la trahison de Clairoix comme un exemple à suivre. Le délégué CGT de l'usine, Mickaël Wamen a rendu hommage à l'accord « très honorable », « le combat digne des Contis, un combat de tous. » Wamen a dit que le but était de faire retirer les suppressions de postes mais que s'ils n'y parvenaient pas, « 50 000 euros, ça sera le minimum. Il y a du fric chez Goodyear. Le groupe devra ouvrir le porte-monnaie, sans quoi ça va chier. »

Wamen a le soutien tout entier du NPA. Un article affiché sur le site du parti le 1er juin déclare exemplaire « les conditions de départ arrachées par les syndicats de Continental. »

Le NPA est ouvertement contre toute action de grève et de ce fait toute lutte sérieuse contre les licenciements, soutenant les syndicats de Goodyear. Il écrit, « Se pose maintenant la question des perspectives. Certains, parmi les salariés, ont légitimement envie d’en découdre tout de suite. Très vite, les responsables syndicaux ont indiqué que, les licenciements devant intervenir effectivement en 2010, il s’agissait d’une lutte de longue haleine. Une grève immédiate risquerait, selon eux, de mettre tout le monde à genoux en une semaine ou deux, sans assurance de succès. De plus, il semble nécessaire d’ajuster au mieux les revendications : se battre ou partir dans les meilleures conditions possibles. »

La direction de la CGT chez Goodyear avait clairement révélé son approche chauvine et de collaboration de classe dans une déclaration sur les licenciements faite le 16 juin de l'année dernière : « Nous continuons à demander la tenue d’une table ronde, l’Etat doit intervenir dans ce dossier, où une société américaine bafoue le droit de centaines de salariés français… Nous sommes ouverts au dialogue… or il n’y a aucun responsable qui veuille avec nous travailler dans l’intérêt collectif. »

La collaboration des syndicats dans l'élaboration et la mise en place des attaques contre les acquis sociaux ne date pas d'hier. Mais elle a atteint un nouveau palier avec l'élection du président conservateur Nicolas Sarkozy qui, depuis son élection de 2007, met au point sa politique en collaboration avec les syndicats.

Au printemps 2008, les deux principales confédérations syndicales françaises, la CGT et la CFDT avaient signé la « Position commune » avec Sarkozy et le MEDEF, l'association des patrons. En contrepartie pour le rehaussement de la position financière et légale de ces deux syndicats, l'Etat obtenait le passage d'une loi extrêmement régressive, dérèglementant les protections du temps de travail, réduisant de façon drastique les retraites et mettant fin à la semaine de 35 heures. Le rôle des partis « d'extrême-gauche » tels LO et le NPA était de mettre en avant des « journées nationales d'action » fondamentalement trompeuses par les travailleurs du secteur public, organisées par ces syndicats même qui formulaient ces attaques contre les acquis sociaux.

L'avènement de la crise économique mondiale a étendu les grèves et les actions de protestations à des couches plus larges de la classe ouvrière, par des grèves, des occupations d'usines et des séquestrations de patrons, notamment concentrées dans l'industrie automobile et de l'acier. Ceci pose directement la nécessité d'un parti politique de la classe ouvrière, indépendant, afin de lutter pour le pouvoir politique et la réorganisation socialiste de l'économie en vue de garantir l'emploi et un niveau de vie sûr pour tous les travailleurs.

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