juillet 2009
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L’idée maîtresse du discours prononcé jeudi par Barack Obama à l’occasion du
centenaire de la NAACP (l’Association nationale pour l’avancement des personnes
de couleur) a été de rejeter sur la classe ouvrière afro-américaine la
responsabilité de la crise sociale qui la frappe.
Obama a fait allusion au degré de misère auquel sont confrontés les
travailleurs noirs. Les Afro-Américains sont « bien plus touchés par le chômage
que n’importe qui » et sont « plus susceptibles d’avoir à souffrir d’une
multitude de maladies, mais ont moins de chance d’avoir une assurance maladie, »
a dit le président. Obama a également évoqué le nombre d'une grandeur
disproportionnée d’Afro-Américains qui sont incarcérés dans le système carcéral
massif du pays et qui sont touchés par le sida.
Cette liste tronquée - Obama aurait aussi pu mentionner les ventes forcées de
maisons, la situation des sans-abri, la crise de l’enseignement public dans les
villes, etc - ne donne qu'une vague idée des conditions terribles auxquelles
sont confrontés les travailleurs afro-américains, et sûrement pas les seuls
travailleurs noirs.
Mais quelle est la raison de cette misère ? Et comment Obama pense-t-il la
soulager ?
Là, Obama a recouru à l’ensemble des remèdes universels fallacieux et
droitiers quant à la « responsabilité individuelle » et qui sont employés pour
justifier la destruction des programmes sociaux, exacerbant par là la crise à
laquelle sont confrontées de vastes sections de la classe ouvrière.
« Les programmes du gouvernement ne suffiront pas à conduire nos enfants vers
la Terre promise, » a déclaré Obama. En d’autres termes, les travailleurs noirs
ne peuvent pas s’attendre à bénéficier d’une importante aide sociale du
gouvernement Obama. Au lieu de cela, Obama a affirmé que ce qui était nécessaire
c’était « un nouvel état d’esprit, de nouvelles attitudes. »
D’après Obama, « [L’]un des héritages les plus destructeurs et les plus
durables de la discrimination est la manière dont nous avons intériorisé le sens
des limites, la manière dont tant d’entre nous en sont venus à attendre si peu
de ce monde et d’eux-mêmes. »
Obama sait pertinemment que ceci est une reprise de la théorie largement
discréditée de Daniel Patrick Moynihan de la « culture de la pauvreté ». En
1965, le sociologue (et plus tard sénateur démocrate) avait rédigé une étude
affirmant que la pauvreté parmi les noirs était essentiellement une pathologie
sociale transmise au sein des « familles noires ». Ces conceptions ont toujours
joué un rôle de premier ordre dans le but de restreindre les bénéfices du
système de protection sociale.
Obama a clairement dit que les terribles conditions sociales n’étaient pas
une justification pour que des jeunes noirs puissent bénéficier de l’assistance
gouvernementale. Même s’il existe des problèmes économiques, a-t-il dit, « Ce
n’est pas une raison pour avoir de mauvaises notes, ce n’est pas une raison pour
sécher les cours, ce n’est pas une raison pour abandonner la scolarité et
quitter l’école. »
« Nous devons apprendre à nos enfants…Votre destin est entre vos mains… Pas
d’excuses… toutes ces difficultés vont simplement te rendre plus fort, mieux à
même de prendre part à la compétition. » Pour Obama la faim, la situation de
sans-abri, le harcèlement de la police ne sont pas seulement des « excuses ».
Ces « difficultés » sont en fait un bienfait et rendent les jeunes noirs « plus
forts, mieux à même de prendre part à la compétition. »
Le président a même donné quelques conseils aux parents. « Parents… vous ne
pouvez pas simplement sous-traiter vos obligations parentales, » leur a-t-il
dit. « Cela veut dire mettre la Xbox de côté et mettre nos enfants au lit à une
heure raisonnable. »
Si un politicien blanc avait fait de telles déclarations, il ne fait pas de
doute que lui ou elle aurait été traité de raciste. Mais, en raison de sa
couleur de peau, les paroles d’Obama passent pour être un exemple de « qui
aime bien, châtie bien » (« tough love »). Obama avait prononcé dernièrement un
discours identique en Afrique dans lequel il affirmait que le continent le plus
ravagé par l’impérialisme était responsable de son propre sort. (Voir « La
mission néocoloniale d’Obama en Afrique
»)
La leçon d’Obama faite aux travailleurs afro-africains ressemblent fortement
aux positions de Booker T. Washington (1856-1915), un enseignant noir qui
soutenait que le seul moyen par lequel les noirs pourraient contrer la brutalité
et la pauvreté dans le Sud ségrégationniste où régnaient les lois Jim Crow,
c’était en améliorant leur position par « l’entraide » (« self-help »), et non
par l’action politique.
L'ironie de tout cela réside dans le fait que c'est son opposition amère
contre Booker T. Washington qui avait conduit W.E.B. Du Bois (1868-1963) à
fonder en 1909 la NAACP. Obama a affirmé que la NAACP « ne fut pas fondée pour
obtenir l'aumône. » Peut-être pas. Mais elle fut fondée, et quelles qu’en soient
ses limitations, dans le but de combattre politiquement la répression de la
population noire.
Obama a révélé le contenu essentiel de sa perspective en déclarant : « C’est
parce que les lois Jim Crow ont été abrogées que des PDG noirs dirigent des
entreprises figurant au classement du magazine Fortune des 500 plus
grosses du monde. (Applaudissements.) Parce que les lois sur les droits civiques
ont été votées, que des maires noirs, des gouverneurs noirs, des parlementaires
travaillent en des lieux où par le passé ils auraient [sic] non pas simplement
pu voter, mais pu prendre une gorgée d’eau. Et parce que des gens ordinaires ont
fait ces choses si extraordinaires… qui m’[ont] permis d’être ici ce soir en
tant que 44ème président des Etats-Unis d’Amérique.
(Applaudissements) »
Ce passage a reçu un accueil enthousiaste de la part d’un auditoire constitué
principalement de nantis. Pour cette couche sociale, l’essentiel du mouvement
des droits civiques était de créer une couche de « PDG noirs » et de
politiciens. Ils n’éprouvent que du mépris pour les besoins des travailleurs
noirs.
Le contenu progressiste du mouvement des droits civiques était basé sur la
lutte pour l’égalité. Toutefois, à mesure que les conflits sociaux
s’intensifiaient dans les années 1960, y compris les insurrections populaires
dans les ghettos en 1967-68, une section de l’establishment politique
chercha à créer une classe moyenne noire en adoptant la politique de la
discrimination positive et en l’intégrant dans l’establishment
capitaliste. Au cours des quatre dernières décennies, l’inégalité sociale au
sein de la population noire s’est considérablement accrue.
Obama est le produit de ce processus. Il n’existe rien dans l’histoire
personnelle ou politique d’Obama qui soit relié aux luttes des travailleurs
afro-américains. Il fut choisi très tôt par de puissants cercles politiques et
financiers et qui l’ont escorté jusqu’à la Maison Blanche. En raison de son
passé ethnique particulier, il fut considéré comme quelqu’un de plus apte à
vendre une politique droitière.
Loin de promouvoir les intérêts de la majorité de la population noire, la
politique identitaire est devenue un instrument visant à lancer des attaques
sévères à l’encontre des travailleurs afro-américains et de la classe ouvrière
en général. Alors que son gouvernement débloque plus de 12 mille milliards de
dollars en faveur des grosses institutions financières, Obama manipule la
faillite de l’industrie automobile dans le but de faire baisser les salaires et
les niveaux de vie de la classe ouvrière. Il a proposé une réforme du système de
santé qui aboutirait à un système d’assurance obligatoire et des soins
rationnés. En ce qui concerne l’éducation, qu’il a qualifiée de condition
préalable au succès, Obama soutient la fermeture des écoles publiques, et
l’expansion des écoles privées sous contrat ainsi que les attaques contre les
enseignants.
Le discours d’Obama et l’ensemble du contenu politique de son gouvernement ne
font que prouver que la société est divisée en classes sociales et non en
groupes ethniques.
(Article original paru le 18 juillet 2009)