Lors de dépositions faites devant le Sénat
américain la semaine dernière, les responsables légaux du gouvernement Obama
ont non seulement défendu le système des tribunaux militaires bidons mis en
place par l’administration Bush, mais ils ont encore proclamé le droit de
l’actuel gouvernement de maintenir des prisonniers en détention illimitée même
si ceux-ci ont été acquittés au cours d’un procès et si les soupçons de crimes
relevant du terrorisme ne pèsent plus sur eux.
Cette exigence de vastes pouvoirs extra
constitutionnels n’est que la plus récente d’une longue suite de décisions
prises par l’administration démocrate et démontrant la continuité de cette
administration avec celle de Bush pour ce qui est du militarisme et des
attaques sur les droits démocratiques.
La déposition faite devant la Commission du
Sénat pour les forces armées par le principal avocat du Pentagone et par le chef
de la division pour la sécurité nationale du département de la Justice eut lieu
dans le contexte d’une tentative du Congrès de reconfigurer le système des
tribunaux militaires mis en place sous l’administration Bush.
En 2006, le Congrès avait passé le Military
Commissions Act (Loi sur les commissions militaires) pour essayer de donner une
apparence légale aux cours martiales mises en place pour juger les soi-disant
« combattants ennemis » et qui avaient été jugées non
constitutionnelles par la Cour suprême américaine. La Haute Cour avait ensuite
également passé un jugement en opposition au système des tribunaux militaires
révisé par le Congrès.
Les efforts actuels, tout comme ceux d’il y a
trois ans, ont pour but de parer à des remises en cause réussies du système en
question par les tribunaux. La Commission du Sénat pour les forces armées avait
introduit une nouvelle législation sur les « commissions militaires »
le mois dernier dans le cadre de la loi budgétaire militaire pour 2010.
Comme le dit le président démocrate de la
commission sénatoriale, Carl Levin du Michigan, le but de cette législation
était de substituer aux anciennes « de nouvelles procédures et un nouveau
langage » qui « restaurerait la confiance dans les commissions
militaires ».
Mais comme l’ont montré les avocats de
l’administration, tout changement reviendra à un pur changement de décor dans
un système digne de George Orwell où le gouvernement détermine qui est apte à
juger, si les accusés sont envoyés devant un tribunal militaire ou un tribunal
civil et même si on libère ceux qu’on aura innocentés.
L’avocat du département de la Justice, David
Kris, dit à la Commission sénatoriale que les procureurs civils et militaires
débattent encore sur la question de savoir si de nombreux détenus qu’on a
décidé de juger le seront devant un tribunal militaire ou civil.
« Il s’agit là d’un jugement impliquant
un grand nombre de faits et qui exige une appréciation soigneuse de toutes les
preuves » dit Kris. Il admit qu’une forme de jugement quelle qu’elle soit
était préférable à une situation où on poursuivait la détention des prisonniers
en tant que « combattant illégal ».
Mais ce qui est clair, c’est que ce processus
« impliquant un grand nombre de faits » a pour but de déterminer
quels prisonniers peuvent passer devant un tribunal civil, lesquels doivent
être envoyés devant un tribunal militaire étant donné la faiblesse des preuves
contre eux et lesquels seront simplement détenus sans procès parce qu’il n’y a
pas de preuve utilisable dans l’un ou dans l’autre type de tribunal. Dans un
tel système, tous doivent être trouvés coupables, la seule question est par
quels moyens.
Une autre inquiétude de l’administration est
sans aucun doute celle de maintenir hors des séances publiques les affaires qui
pourraient faire connaître les crimes haineux commis par l’appareil militaire
et l’appareil de renseignement américain dans la « Guerre contre la
terreur » parmi lesquels il y a la torture, la « restitution
extraordinaire » et les meurtres.
La Maison-Blanche d’Obama a montré à maintes
reprises sa détermination à couvrir ces crimes, en s’opposant, entre autres, à
une décision de justice selon laquelle le Pentagone devait rendre publiques les
photos de torture. Cela comprend aussi la tentative du département de la
Justice de faire annuler les défis légaux contre les pratiques de
l’administration Bush, y compris la restitution extraordinaire, la torture et
l’espionnage intérieur illégal.
Avec Kris témoignait aussi Jeh Johnson,
l’avocat en chef du département de la Défense. Celui-ci, argumenta en faveur du
supposé pouvoir du président de maintenir en prison des détenus sans qu’ils
soient jugés par un tribunal quel qu’il soit et de faire retourner des hommes
en prison sans nouvelle accusation ou sans nouveau procès.
« Il y aura à la fin de cette revue une
catégorie de gens dont nous pensons, dans cette administration, qu’ils doivent
rester en prison pour des raisons de sécurité publique et nationale » dit
Johnson. « Et ce sont des gens à qui on ne fera pas forcément un
procès. »
Il continua ainsi : « La question de
ce qui se passe s’il y a un acquittement est une question intéressante ;
nous parlons de cela souvent au sein de l’administration. Si pour une raison ou
pour une autre, la personne ne reçoit pas une longue peine de prison, alors
pour une question d’autorité légale, je pense que c’est notre opinion que nous
devrions avoir la capacité de détenir cette personne ».
Johnson indiqua que de tels pouvoirs
extraordinaires, qui sont la continuation de la répudiation de l’habeas corpus
(un droit-clé, celui permettant de s’opposer à l’emprisonnement arbitraire) par
l’administration Bush, vient de l’autorisation de la législation d’« usage
de la force militaire » passée en 2001 à la suite des attaques terroristes
du 11 septembre. C’est là le même prétexte légal fourre-tout utilisé par
l’administration Bush pour justifier ses mesures anti-constitutionnelles.
Un membre du Congrès décrivit, de façon juste,
comme des « parodies de procès » un système dans lequel des
poursuites sont entreprises devant des tribunaux militaires ou civils selon
l’endroit où elles sont assurées d’aboutir à une condamnation et dans le cas,
peu probable, où un accusé parviendrait à échapper à la condamnation, le
système peut, dans tous les cas, le renvoyer en prison.
« Ce qui me tracasse est qu’ils semblent
dire, "nous disposons de preuves suffisamment solides contre certaines
personnes, alors on leur fera un procès en bonne et due forme" », dit
le représentant au Congrès Jerrold Nadler (démocrate, New York) au Wall
Street Journal. Poursuivant, il dit : « Pour certaines
personnes, le dossier n’est pas si convaincant, alors on leur fera un procès un
peu moins en bonne et due forme. On leur donnera juste assez de bonne et due
forme pour garantir une condamnation parce que nous savons qu’ils sont
coupables. Ceci n’est pas un procès en bonne et due forme, c’est une parodie de
procès. » Nadler préside un sous-comité judiciaire du Parlement qui a tenu
une audience sur les commissions militaires la semaine dernière.
Dans sa déposition, Kris, du département de la
Justice, reconnut que le fait de savoir si des accusations de « soutien
matériel au terrorisme » peuvent faire l’objet d’un procès devant un
tribunal militaire, qui, selon Obama n’existera que pour poursuivre des
violations du droit de guerre, soulevait de « sérieuses questions ».
Mais il montra clairement que les avocats de
l’administration avaient décidé que l’accusation de « soutien
matériel » pouvait faire l’objet d’un procès devant une commission
militaire et, dans la plupart des cas, être associées à des accusations de
conspiration qui aideraient à faire tenir les condamnations en cas d’appel.
Ce point est significatif étant donné que la
grande majorité de ceux qui sont détenus à la prison de la marine à Guantanamo
Bay (Cuba) ainsi que les milliers de personnes qui ont été jetées en prison en
Irak et en Afghanistan et dans des « sites noirs » de la CIA dans le
monde entier, n’ont été accusés d’aucun acte terroriste spécifique. Ils sont
bien plutôt accusés, sur la base de très peu de preuves ou pas de preuves du
tout, de soutien à, ou d’association avec, des terroristes.
Le « soutien matériel au
terrorisme » a aussi été le principal chef d’accusation dans toute une
suite de machinations judiciaires aux Etats-Unis mêmes et dans lesquelles des
dizaines d’individus ont été piégés par des agents provocateurs du gouvernement
au cours d’opérations « complot terroriste » montées par le FBI.
Les avocats du Pentagone et du département de
la Justice ont affirmé que l’administration et la commission sénatoriale
étaient du même avis pour ce qui était d’interdire l’usage de confessions
obtenues sous la torture pour condamner ceux qui passaient devant des tribunaux
militaires. Des divergences sont cependant apparues entre l’avocat du département
de la Justice Kris et un responsable légal de haut rang en uniforme qui faisait
également une déposition.
Tandis que Kris avertissait de ce que l’usage
de confessions « involontaires » pouvait conduire à ce que des
condamnations pouvaient être cassées en appel, le vice-amiral Bruce MacDonald,
avocat général de la marine, arguait qu’un juge militaire devait être capable
d’évaluer la « fiabilité » de « déclarations forcées » en
décidant si elles pouvaient être retenues en tant que preuve.
Les avocats de l’administration ont aussi
soutenu une disposition dans la législation passée par la Commission
sénatoriale, qui permet l’usage de preuves basées sur le « on-dit »
et qui serait exclu dans un tribunal civil. Comme le dit Kris, l’usage de ce
genre de preuve est nécessaire « étant donné les circonstances uniques des
opérations militaires et de renseignement ».
Le témoignage de l’avocat du Pentagone Jeh
Johnson a aussi remis en cause l’engagement d’Obama de fermer la prison de
Guantanamo jusqu’au 22 janvier 2010. Il accepta le fait que de nombreux
dossiers ne seraient pas près d’ici janvier prochain et refusa de dire où les
tribunaux militaires seraient installés, disant que l’administration
considérait « différentes options ». Il y a quelques mois, le Congrès
avait bloqué le financement du transfert de détenus vers les Etats-Unis.
Dans son témoignage devant la commission
parlementaire mercredi, un ancien procureur à Guantanamo fit une condamnation
cinglante du système des tribunaux militaires, y compris celui, proposé sous
forme rénovée, par l’administration Obama.
Le lieutenant-colonel Darrel Vandeveld,
parlant devant une commission juridique de la Chambre, dit qu’il était le
septième procureur militaire de Guantanamo à démissionner parce qu’il ne
pouvait pas « moralement ou légalement poursuivre l’accusé dans le cadre
du système des commissions militaires ».
La législation du Sénat, accusa-t-il, laissait
en place un système qui est « illégal et anti-constitutionnel » et
qui sert à « saper les valeurs fondamentales de justice et de
liberté ».
Disant qu’il était allé à Guantanamo comme un
« vrai croyant », Vandeveld précisa que sa conception avait été
radicalement changée par le cas du jeune Afghan qu’il avait pour tâche de
poursuivre, Mohammed Jawad.
Il décrivit ainsi les éléments de base de
l’accusation contre Jawad qui pouvait avoir 12 ans lors de son arrestation par
les troupes américaines en Afghanistan : « Une confession obtenue
sous la torture, deux tentatives de suicide de la part de l’accusé, des
interrogatoires injurieux, la retenue de preuves à décharge vis-à-vis de la
défense, l’incompétence juridique et des tentatives hideuses de couvrir les
fautes d’un système irrémédiablement ruiné ».
L’administration Obama continue de détenir ce
jeune qui fut confronté à la détention, à la torture et aux injures pendant
près de sept ans, sur la base d’aveux extraits sous la torture.
Ce qui devient de plus en plus évident, c’est
que l’actuelle administration maintient et étend l’infrastructure d’Etat
policier créée par son prédécesseur avec l’affirmation bidon qu’un « procès
en bonne et due forme » a été rétabli et qui ne sert qu’à donner à ce
système hors de la légalité une apparence de légitimité.
Ce système n’affectera pas seulement les 229
détenus de Guantanamo, bien que ce ne soit pas là une mince affaire, étant
donné que des hommes innocents y ont été emprisonnés et torturés pendant sept
années. Il sera aussi en place pour les détenus qui seront kidnappés à l’avenir
dans le monde entier par l’armée américaine et la CIA, ainsi que pour quiconque
sera considéré par le président des Etats-Unis (que ce soit Obama ou ses
successeurs) comme une menace pour la sécurité nationale, y compris des
citoyens américains.
Peu importe que ce « combattant ennemi »
puisse prouver son innocence devant un tribunal ! Le président tout
puissant peut tout simplement ignorer le verdict et le maintenir en prison.
Cela correspond à la définition standard d’une dictature.