La semaine dernière, après le sommet du G8 en Italie,
Barack Obama s’est rendu à Accra, la capitale du Ghana en Afrique de l’Ouest,
pour sa première visite en Afrique subsaharienne depuis qu’il est président.
« Le sang de l’Afrique coule dans mes veines », a-t-il dit à son
auditoire ghanéen, « et l’histoire de ma famille reflète les tragédies et
les triomphes de l’histoire africaine plus large ».
La valeur de l’héritage familial d’Obama a été remarquée
très tôt dans sa campagne présidentielle par Zbigniew Brzezinski, ancien
conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter et personnage clé dans
l’élaboration de la politique étrangère d’Obama. En août 2007, Brzezinski a
déclaré qu’Obama « admet que le défi est de présenter un nouveau visage,
une nouvelle direction, une nouvelle définition du rôle des Etats-Unis dans le
monde ».
Brzezinski est l’un des personnages importants de l’establishment
de la politique étrangère américaine qui ont vu en Obama le moyen de donner aux
Etats-Unis un « nouveau visage » au reste du monde. Après les bavures
et les échecs de l’impérialisme américain sous Bush, ils ont jugé que cela
était crucial.
Obama n’a pas déçu au Ghana. Il a joué la carte de son ascendance
africaine, tout comme il avait mis l’accent sur son héritage musulman le mois
précédent au Caire.
L’image des deux enfants d’Obama sortant, éclairés par le
soleil, de la « porte de non-retour » du château de Cape Coast, d’où
tant d’Africains ne sont jamais revenus, est une photo soigneusement élaborée.
En quittant ce théâtre de tant de souffrance humaine, Obama a déclaré :
« Cela nous rappelle qu’aussi terrible que l’histoire puisse être, il est
toujours possible de triompher. »
Cela voulait laisser entendre que peu importe ce dont a
souffert l’Afrique dans le passé, et peu importe ce dont continue à souffrir le
continent aux mains des banques, des sociétés et des gouvernements occidentaux,
cela demeure la responsabilité, et la faute, des peuples africains eux-mêmes.
Obama a apporté un message intransigeant, expliquant de
façon encore plus ouverte que ne l’aurait osé George Bush durant sa visite au
Ghana l’an dernier que l’aide ne serait disponible qu’avec l’implémentation de
politiques servant les intérêts du gouvernement et des entreprises américaines,
et qu’elle se ferait plus rare à l’avenir.
« Le développement », a déclaré Obama devant les
parlementaires, « dépend de la bonne gouvernance. C’est l’ingrédient qui
manque à beaucoup trop d’endroits, et depuis beaucoup trop longtemps. C’est ce
changement qui peut libérer le potentiel de l’Afrique. Seuls les Africains
peuvent en être responsables. »
« Le futur de l’Afrique dépend des Africains »,
a-t-il répété.
Son discours contenait aussi une menace. « Nous avons
la responsabilité de soutenir ceux qui agissent de manière responsable et
d’isoler ceux qui ne le font pas, et c’est exactement ce que les Etats-Unis
vont faire », a déclaré Obama.
Le correspondant de la BBC, Andrew Harding, a été frappé
par le franc-parler avec lequel le président s’est senti capable de s’adresser
à ses invités. Il écrit : « C’était un discours qui couvrait
plusieurs questions, mais M. Obama a la capacité, en raison de son héritage et
de son père qui est kényan, de parler aux Africains et de les rejoindre d’une
manière dont plusieurs chefs d’Etat étrangers, je crois, trouveraient très
difficile d’imiter. »
C’était « un message qu’aucun chef d’Etat occidental
au teint clair n’aurait pu communiquer sans entraîner de ressentiment en
Afrique et d’insultes politiquement correctes des critiques anxieuses à
domicile », a dit Libby Purves, un chroniqueur pour le Times de
Londres.
La référence désobligeante de Purves aux « critiques
anxieuses » politiquement correctes est significative. Il est indéniable
que toute les opportunités qu’à Obama de se présenter comme une alternative
progressiste Bush « au teint clair » sont dues aux prétentions de ses
apologistes de « gauche » ou libéraux selon lesquels un Afro-Américain
à la Maison-Blanche est un gain pour les Noirs de partout et marque une
nouvelle ère de la politique américaine et de la politique mondiale.
Le discours d’Obama fut chaudement accueilli par la droite
républicaine. Bret Stephens, écrivant dans le Wall Street Journal sous
le titre « Obama fait ce qu’il faut en Afrique », décrit le discours
comme étant « de loin le meilleur de sa présidence. »
Ajoutant que, « Depuis que le premier ministre Harold
Macmillan a donné son discours nommé « le vent du changement » (aussi
au Ghana) il y a près de 50 ans [Le discours fut, en fait, donné en Afrique du
Sud], la politique de l’Occident envers l’Afrique a consisté à donner de
l’argent avec mauvaise conscience (ou à un client commode), sans poser de
questions… Peut-être que ça prend un président qui n’est pas encombré par ce
genre de culpabilité pour se débarrasser de cette politique. »
L’approvisionnement en aide a toujours été un mécanisme
politique pour forcer les pays semi-coloniaux à poursuivre des politiques qui
servent les intérêts des donateurs impérialistes. Mais alors que Bush était
obligé de poser quelques gestes pour la forme, comme établir le Compte du défi
du millénaire et augmenter le financement pour le sida et la malaria, Obama a
utilisé la reconnaissance qu’on accorde à son ascendance afin d’insister de
manière catégorique que les gouvernements africains doivent suivre la ligne
américaine.
L’insistance d’Obama pour que le Ghana et d’autres
gouvernements africains réalisent une « bonne gouvernance » est une
demande pour plus de mesures de libre marché qui sont déjà imposées avec des
résultats désastreux pour les conditions sociales de la population. « La
« bonne gouvernance » signifie la privatisation des services
essentiels comme les télécommunications, l’eau et l’électricité ainsi que les
programmes sociaux comme la santé et l’éducation. Cela signifie aussi retirer
les subventions aux petits agriculteurs et abolir les contrôles sur les
importations.
Le Ghana est depuis longtemps engagé sur cette voie et cela
explique pourquoi il a été choisi pour des visites par deux présidents
américains. Bien que n’étant certainement pas l’un des pays les plus pauvres
d’Afrique, 70 pour cent de sa population demeurant dans les régions au Nord
vivent avec moins d’un dollar par jour. L’espérance de vie n’est que de 58 ans.
Les femmes doivent souvent marcher plus de trois kilomètres pour trouver de
l’eau et elle est rarement propre.
La situation se détériorera davantage dans le proche
avenir. La récession a frappé l’Afrique de plein fouet. Le Ghana fut l’un des
pays ayant bénéficié de l’effacement de sa dette en 2005, mais avec la valeur
de sa monnaie qui diminue, il revient rapidement endetté. La réponse du
gouvernement a été d’imposer un budget d’austérité dans une tentative
d’équilibrer les livres comptables.
Obama a fait passer le point focal de la « guerre
contre le terrrorisme » de l’Irak vers l’Afghanistan et le Pakistan. Mais
la place de l’Afrique dans la stratégie mondiale des États-Unis est en
substance la même. Premièrement, l’Afrique demeure une source essentielle de
ressources stratégiques comme le pétrole et le gaz naturel, mais aussi minéraux
stratégiques. Deuxièmement, une grande partie de grandes voies maritimes du
monde longent les côtes de l’Afrique. Il s’en suit que toute administration
américaine doit considérer comme priorité la question de la domination des
Etats-Unis sur l’Afrique.
Le discours d’Obama était destiné aux élites dirigeantes de
toute l’Afrique, et le même message sera transmis par d’autres hauts
responsables de l’administration. Obama n’a pu visiter le Kenya, le pays où son
père est né, parce qu’une année après les élections et la violence
intercommunautaire qui les a suivies, le pays est toujours instable. Mais le
secrétaire d’Etat, Hilary Clinton sera à la tête d’une délégation pour
entreprendre des pourparlers sur un accord commercial entre le Kenya et les États-Unis
qui débuteront cet été.
Comme le voyage d’Obama, le principal but sera d’établir de
nouveau l’hégémonie américaine sur cette région du monde, hégémonie qui est de
plus en plus contestée par l’Europe, l’Inde et la Chine. Les vieilles
puissances coloniales de l’Europe demeurent toujours un rival en Afrique. La
France et la Grande-Bretagne ont des intérêts à défendre dans l’Afrique de
l’Ouest. La Chine est par comparaison un nouveau venu. Le commerce entre
l’Afrique et la Chine atteignait les 10 milliards $ en 2001. Aujourd’hui, il
dépasse les 107 milliards $.
Le Ghana est depuis peu un producteur de pétrole. Les
premiers barils ont été obtenus au début de cette année. Le Ghana intéresse les
Etats-Unis tant pour ses réserves modestes de pétrole que pour la possibilité
de devenir une base d’appui militaire permettant aux États unis de s’imposer
dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Avec moins d’aide financière, Obama devra se reposer encore
plus sur la puissance militaire américaine pour assurer sa domination sur
l’Afrique, tant pour fournir ses clients en équipement militaire qu’en
intervenant directement.
Aucun pays africain n’a encore offert aux Américains
d’installer une base qui accueillera le nouveau commandement américain pour l’Afrique,
Africom. Ghana pourrait bien être le premier si on en juge par l’attention
qu’il reçoit de la Maison-Blanche. Obama a beaucoup insisté sur la
« guerre contre la drogue » et a offert trois bateaux armés au Ghana
pour qu’il puisse patrouiller ses côtes.
Le but des bases Africom est d’offrir le soutien logistique
permettant le déploiement rapide de troupes très mobiles. Djibouti a offert une
base d’une valeur inestimable pour ce genre d’opération en Somalie. Les forces
spéciales américaines de Djibouti ont participé à l’invasion éthiopienne de la
Somalie en 2006 en appui au gouvernement fédéral transitoire, ce qui a plongé
ce pays dans un autre épisode de guerre civile. Obama a récemment augmenté l’aide
militaire des Américains au régime somalien appuyé par les États-Unis.
Un réseau de bases de cette nature donnerait la possibilité
aux États-Unis d’intervenir selon leur bon vouloir sous le couvert de forces
armées mercenaires tant en affirmant cyniquement que les Africains sont en
train de régler leurs problèmes entre eux, à la façon du discours d’Obama au
Ghana.
(Article original anglais paru le 16 juillet 2009)